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Une loi pour eux ...
by George Monbiot Tuesday March 25, 2003 at 10:14 PM

« Les États-Unis supportent-ils vraiment la convention de Genève ou non ? » Voici un excellent article de George Monbiot, publié aujourd'hui dans le journal britannique The Guardian -- je l'ai traduit de l'anglais pour les lecteurs francophones. Pour l'original avec les références bibliographiques, rendez-vous au http://www.monbiot.com/dsp_article.cfm?article_id=569

Une loi pour eux ...

Les États-Unis supportent-ils vraiment la convention de Genève ou non?

Soudainement, le gouvernement des États-Unis a découvert les vertus de la loi internationale. Même s'il est dans le cours d'une guerre illégale contre un état souverain, même s'il cherche a détruire tout traité qui bloque ses ambitions d'administrer le monde, lorsque cinq de ses soldats en captivité ont été exhibés à la télévision irakienne dimanche dernier, Donald Rumsfeld, le secrétaire de défense des É-U, s'est plaint immédiatement que «montrer des photos de prisonniers de guerre de façon humiliante pour ces derniers va à l'encontre des conventions de Genève».

M. Rumsfeld a, évidemment, tout à fait raison. L'article 13 de la troisième convention, concernant le traitement des prisonniers, insiste qu'ils «doivent être protégés en tout temps ... contre les insultes et la curiosité publique». Cette clause fait partie des brèches possibles les moins graves des règles de la guerre, mais les conventions, ratifiées par l'Irak en 1956, ne sont pas négotiables. Si vous les transgressez, vous devez vous attendre à une prosécution pour crimes de guerre.

C'est pour cela que Rumsfeld devrait être plus prudent. Car ce converti enthousiaste à la cause de la guerre «légale» est, en tant que chef du département de la défense, responsable pour une série de crimes suffisante, si jamais il doit comparaître en cour, à le faire emprisonner pour le restant de sa vie.

Sa camp de prison à la baie de Guantanamo, à Cuba, où sont tenus 641 hommes (dont neuf sont des citoyens britanniques), est en contravention d'au moins 15 articles de la troisième convention. Le gouvernement américain bréchait déjà le premier (l'article 13) dès l'arrivée des prisonniers, en les montrant, tout comme l'ont fait les Irakiens, à la télévision. Cependant, dans ce cas, les prisonniers n'étaient pas encouragés à s'addresser aux caméras. Ils étaient agenouillés par terre avec leurs mains ligotées dans le dos, aveuglés par des lunettes noires et assourdis avec des bouchons à oreilles. En contravention de l'article 18, ils étaient privés de leurs vêtements et possessions. On les interna dans un pénitentiaire (en contravention de l'article 22), sans installations de messe (26), sans cantine (28), sans lieux religieux (34), sans opportunités pour de l'exercise physique (38), sans accès au texte de la convention (41), sans accès aux paquets de livres et d'aliments (72), et sans leur permettre d'écrire des lettres à leurs familles (70 et 71).

Ces prisonniers n'ont pas été «libérés et rapatriés sans délai après la cessation des hostilités actives» (118) parce que, selon les autorités américaines, leur interrogation pourrait -- un jour -- révéler des informations intéressantes sur al-Qaïda. L'article 17 maintient que les captifs sont obligés à fournir seulement leur nom, grade, numéro, et date de naissance. Aucune «coercition ne peut être infligée aux prisonniers de guerre afin d'obtenir quelque sorte d'information». Dans le but de les «casser», les autorités ont placé les prisonniers dans des cellules individuelles où ils sont l'objet de ce qu'on l'on appelle torture lite (torture «légère»): déprivation de sommeil, et exposition continue à la lumière forte. Sans surprendre personne, plusieurs des prisonniers ont tenté le suicide, en essayant de se casser la tête sur les murs ou de se couper les poignets avec des ustensiles en plastique.

Le gouvernement des É-U prétend que ces hommes ne sont pas assujettis aux conventions de Genève, puisqu'ils ne sont pas des «prisonniers de guerre», mais plutôt des «combattants illégitimes». On pourrait dire la même chose, avec forcément plus de justice, à propos des soldats Américains détenus par les Irakiens lors de l'invasion illégale de leur pays. Mais cette re-définition constitue elle-même une contravention de l'article 4 de la troisième convention, qui maintient que les personnes détenues en tant que membres soupçonnés d'une militia (le Taliban) ou d'un groupe de volontaires (al-Qaïda) doivent être traités comme des prisonniers de guerre.

Même s'il n'y a aucun doute sur la façon de classifier de telles personnes, l'article 5 insiste qu'ils doivent «jouir de la protection de la présente convention jusqu'au moment où leur statut est déterminé par un tribunal compétent». Mais lorsque, au début du mois, les avocats représentant 16 de ces détenus demandèrent une audition par la cour, le US Court of Appeals (cour d'appel des É-U) jugea que puisque la baie de Guantanamo ne fait pas partie du territoire souverain des É-U, les hommes ne sont pas protégés par la constitution américaine. Plusieurs de ces prisonniers semblent s'être trouvés en Afghanistan en tant qu'enseignants, ingénieurs, ou travailleurs sociaux. Si le gouvernement américain leur permet de comparaître devant une cour, ou s'il les libère, son manque de preuves embarrassant verrait la lumière du jour.

Vous hésiteriez probablement à décrire ces prisonniers en tant que chanceux, à défaut de connaître le triste sort de certains autres hommes capturés par les Américains et leurs alliés en Afghanistan. Le 21 novembre 2001, quelque 8 000 soldats talibans et civils pashtounes se sont rendus à Konduz au commandant de l'«alliance du nord», le général Abdul Rashid Dostum. Plusieurs d'entre eux sont disparus à tout jamais. Tel que raconté dans le film de Jamie Doran «Massacre Afghan - Convoi de la Mort» (Afghan Massacre - Convoy of Death), des centaines, probablement des milliers d'entre eux furent chargés dans des conteneurs à Qala-i-Zeini, près de Mazar-i-Sharif, le 26 et le 27 novembre. Les portes furent scellées et on laissa les conteneurs exposés au soleil pendant plusieurs journées. Éventuellement, les camions sont partis pour la prison de Sheberghan, à 120 km de là. Les prisonniers, plusieurs d'entre eux mourant d'asphyxiation et de soif, se mirent à frapper sur les côtés des camions. C'est alors que les hommes de Dostum arrêtèrent le convoi et ouvrirent le feu sur les conteneurs avec des armes automatiques. Lorsqu'ils arrivèrent à Sheberghan, la plupart des captifs étaient morts.

Les soldats des forces spéciales américaines observèrent le déchargement des corps des prisonniers. Ils avisèrent les hommes de Dostum de «s'en débarrasser avant que des photos satellitaires peuvent être prises». Doran interrogea un soldat de l'Alliance du Nord qui gardait la prison. «J'étais témoin lorsqu'un soldat américain cassa le cou d'un prisonnier. Les Américains faisaient ce qu'ils voulaient. Nous n'avions aucun pouvoir pour les arrêter.» Un autre soldat lui dit: «Ils amènerent les prisonniers dehors pour les battre et ensuite les retourner à la prison. Mais parfois ils n'étaient pas retournés, et disparaîssaient.»

Plusieurs des survivants furent chargés à nouveau dans les conteneurs avec les corps, puis transportés à Dasht-i-Leili, dans le désert. Dans la présence de quelque 30 ou 40 soldats des forces spéciales américaines, les morts et les vivants furent déchargés dans des fossés. On ouvrit le feu sur tout ce qui bougea. Le journal allemand Die Zeit investigua les allégations et conclut que «personne ne doute que les Américains étaient de la partie. Même aux plus hauts niveaux il n'y a pas de doutes à ce sujet». Le groupe américain Physicians for Human Rights visita les lieux identifiés par les témoins de Doran et conclut qu'ils «contenaient tous des restes humains, en accord avec leur désignation en tant que lieux d'enterrement possibles».

Il ne devrait pas être nécessaire de remarquer que l'hospitalité de ce genre est aussi en contravention de la troisième convention de Genève, qui prohibe «la violence à la vie et aux personnes, en particulier les meurtres de tout genre, la mutilation, le traitement cruel et la torture», ainsi que les exécutions extra-judiciaires. Le département de Donald Rumsfeld, assisté par les médias malléables, a fait son possible pour supprimer le film de Jamie Doran, tandis que le général Dostum a commencé à assassiner ses témoins.

Il n'est donc pas difficile de voir pourquoi le gouvernement des É-U s'est initiallement battu contre l'établissement de la Cour pénale internationale, et puis contre l'inclusion de ses citoyens dans la juridiction de la Cour. Les cinq soldats traînés hier devant les caméras devraient se considérer chanceux qu'ils ne sont pas prisonniers des forces américaines qui se battent pour la civilisation, mais plutôt des Irakiens «barbares et inhumains».

«Les États-Unis supportent-ils vraiment la convention de Genève ou non?» Voici un article de George Monbiot, publié aujourd'hui dans le journal britannique The Guardian -- je l'ai traduit de l'anglais pour les lecteurs francophones. Pour l'original avec les références documentaires, rendez-vous au http://www.monbiot.com/dsp_article.cfm?article_id=569

TRADUIT DE L'ANGLAIS PAR ANONYME, INDYMEDIA MONTRÉAL -- l'original est disponible au http://www.monbiot.com/dsp_article.cfm?article_id=569.