Journal de Bagdad (mardi 18 mars) by Colette Moulaert Monday March 24, 2003 at 01:03 PM |
Bagdad, 18 mars.
Geert Van Moorter. Je passe un instant chez un coiffeur. Un bonhomme très liant, qui s'appelle Hussein. Il ne veut pas que je le paie mais, enfin, j'insiste. Parmi ses clients, le seul sujet de conversation, c'est la guerre. Avec eux, je saisis quelques morts d'arabe.
Je suis allé vérifier l'issue de secours de l'hôtel Palestine, où nous séjournons, Colette et moi, au 8e. A proximité de nos chambres, il y a un escalier de secours et un abri-cave pour les résidents de l'hôtel. Nous gardons toujours nos affaires emballées, au cas où. Il se peut que le gérant de nuit nous indique également de bons contacts, il se souvient de nous, l'an dernier. Il est terriblement nerveux, n'arrête pas de soupirer et de faire non de la tête. "Ce type (Bush), il est cinglé ! Nous sommes un peuple qui aime la paix !", dit-il.
Colette est pédiatre, moi, médecin urgentiste. A nous deux, nous allions une certaine compétence médicale qui peut toujours s'avérer utile quand ça va éclater. Nous nous rendons au Croissant Rouge irakien (l'équivalent de notre Croix Rouge) et y proposons nos services. Nous devons répéter notre demande via un papelard officiel, indiquer nos motivations, etc. Nous leur expliquons que Médecine pour le Tiers Monde n'a rien d'une ONG classique. Nous voulons vraiment soutenir la population et nos confrères. Et comme je l'ai déjà fait l'an dernier aux Philippines, avec des réfugiés intérieurs qui avait fui les exactions de l'armée gouvernementale. Quand les médecins écoutent vraiment les histoires de leurs patients, dans une telle situation, cela représente une part non négligeable de leur travail médical. Et puis, surtout, les gens apprécient que nous nous installions alors que les autres mettent les voiles car c'est précisément maintenant qu'ils vont avoir besoin de beaucoup de soutien.
Irak, Bagdad, Colette Moulaert, Bouclier Humain
En direct de Bagdad: l'émotion à son comble
Les docteurs Colette Moulaert et Geert Van Moorter sont partis pour l'Irak samedi dernier. Pour soutenir le peuple irakien, mais aussi pour témoigner des horreurs de la guerre. Ils nous envoient ces quelques nouvelles…
Colette Moulaert, 18 mars. « Hier soir, des enfants en uniforme scolaire ou déguisés en anges ont joué et chanté l'amour, la paix. Une cinquantaine de petits, âgés de 4 à 12 ans, beaux comme tous les enfants du monde.
Une musique violente et guerrière déferle. La majorité des petits tombent, mais les autres viennent avec leur message de paix les relever, les consoler. Si les GI 's pouvaient voir cela! Ce tableau rejoint le superbe calicot des Sud-coréens, représentant un œuf fait de missiles de tous les pays. Et notre drapeau noir jaune rouge n'a pas été oublié! Honte à nous de ne pas avoir arrêté les engins de la mort quand nous le pouvions!
Ce matin, un petit enfant de trois ans accompagné de ses parents s'est jeté dans mes bras et m'a embrassé très fort. C'est tout à fait inhabituel car les enfants sont en général très réticents.
A notre arrivée en Irak, nous étions étonnés de voir que la vie suivait son cours comme si de rien n'était. Bagdad grouillait de monde, tous les commerces étaient ouverts, les maçons construisaient les maisons, les voitures klaxonnaient à qui mieux mieux.
Mais aujourd'hui, c'est la confusion, pour reprendre le terme d'un Irakien qui m'a offert un verre à la terrasse d'un café. L'atmosphère a changé. Nous rencontrons les Boucliers Humains. Beaucoup restent, d'autres partent. Ce sont des moments difficiles pour eux, ils ont vécu ensemble depuis des semaines et sont déchirés entre leur famille et un sentiment de trahison envers ces gens qu'ils aiment.
Confusion est le mot que je cherchais. Les Irakiens sont prêts, mais à quoi? La tension monte. Je rentre à l'hôtel pour voir le déchargement du camion de CNN. Les journalistes vont occuper quelques étages avec tout leur matériel, générateurs, tanks d'eau, nourriture aseptisée. Les travailleurs de l'hôtel ne sont pas contents de les voir, ils sont arrogants. Les journalistes restent entre eux et ne disent même pas bonjour. Deux mondes se côtoient: celui de la résistance et celui des journalistes qui vont couvrir sans état d'âme l'horreur qui se prépare. Quand ils nous filment, j'ai l'impression qu'ils préparent notre nécrologie!
Heureusement Nadia et son groupe de cinq Algériens viennent d'arriver. Quelle joie de revoir la présidente de « SOS Enfants Irak » d'Algérie. Elle était avec nous lors de la Mission internationale de paix en avril de l'année dernière. Elle a quitté sa famille, sept enfants âgés de 8 à 27 ans, pour être un Bouclier Humain. Elle retrouve Bilal, son fils adoptif, qui est en dernière année de géographie politique à l'université de Bagdad. Ce matin, ses professeurs lui ont demandé pourquoi il était encore là, alors que les 5.000 étudiants arabes avaient quitté Bagdad. Il leur a répondu fièrement que sa mère arrivait et qu'il n'allait pas fuir quand les femmes défendent le peuple irakien. »
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