arch/ive/ief (2000 - 2005)

Journal de Bagdad (lundi 17 mars)
by Colette Moulaert Monday March 24, 2003 at 01:01 PM

Nous logeons à l'hôtel Palestine. Plus symbolique que ça, impossible. En Belgique aussi, nous essayons toujours de faire le lien entre l'Irak et la Palestine. Nous sommes arrivés ici hier vers midi, heure locale, après 22 heures de voyage.

Je n'ai pas encore entendu les nouvelles aujourd'hui, mais la journée était en tout cas passionnante. Nous avons retrouvé quelques connaissances. Les amis de l'association d'amitié irakienne qui nous ont accompagnés lors de la mission internationale de paix en avril dernier. J'ai reconnu Tarik le premier. Il était visiblement content de nous revoir. Embrassades, etc. C'était comme retrouver un ami. `

Plus tard dans la journée, nous avons retrouvé plusieurs participants de la mission d'avril: Fraticelli, le petit Corse, Julia d'Angleterre, Markus d'Allemagne, Thomas l'Autrichien,... Une sorte de retour au bercail. Entre-temps, les rumeurs vont bon train à propos de la date de l'attaque, surtout parmi les étrangers. Certains sont déjà partis.

Rencontre avec Gilles Munier, qui a écrit un guide sur l'Irak. Il me donne un exemplaire, chouette. Il nous raconte qu'une rumeur avait répandu que l'hôtel Rachid était sur la liste des cibles de Bush. Du coup, CNN avait quitté l'hôtel et tous les autres journalistes ont suivi. Il règne une sorte de psychose parmi certains journalistes. Munier en a même rencontré un qui transportait deux perruches dans une cage. Comme les mineurs chez nous dans le temps qui emmenaient descanaris dans le puits. S'il y avait du grisou, l'oiseau tombait de son perchoir à la moindre petite dose. Ce journaliste allait vérifier au 12ème étage la présence de gaz toxique. Ridicule.

Bagdad Nous avons aussi appris que tous les émetteurs des chaînes d'information étrangères sont installées autour du Ministère de l'Information. Comme ça, si Bush bombarde ce ministère, tout le matériel de la presse internationale le sera aussi.

Gilles: «La population ici réagit de façon un peu schizofrène. Les jeunes ont l'habitude de vivre sous la menace de guerre, ils n'ont jamais rien connu d'autre. Les plus âgés ont une sérieuse frousse. Les jeunes n'ont pas d'autre choix que d'accepter cette situation comme normale. Tout ce que l'Irak accepte comme condition est immédiatement suivi de nouvelles exigences.

Si les USA veulent raser l'Irak en quelques jours, ce ne sera qu'une pâle victoire. Bagdad s'étend sur 30 ou 40 km, et compte 4 à 5 millions d'habitants. Impossible à occuper de façon durable. La "démocratie américaine" doit soi-disant sortir des ruines de Bagdad, comment vont-ils s'y prendre? Ils ne pourront pas contrôler une telle ville. Même après une victoire militaire, ils auront des problèmes.»

Après, j'écris un premier bout de journal. Je ne veux pas me reposer, ni prendre de douche, ne pas perdre de temps, car il est possible que dans deux jours on ne sache plus rien envoyer. C'est dingue. Grâce à Bush, j'apprends à travailler avec un appareil photo digital et une caméra vidéo. Je peux enregistrer des images sur un portable, les traiter avec Photoshop et puis les envoyer par internet.

Bagdad En "visite médicale" avec des "vitamines"

Finalement, nous allons nous promener au bord du Tigre. Nous abordons des gens ici et là en disant "Nous venons de Belgique, Belgica". Et nous voulons leur exprimer notre solidarité. La Belgique éveille des réactions positives. On parle avec les mains et les pieds. On rit. Ici, on ne dirait pas que la guerre va éclater dans quelques jours..

Des gens sortent d'un théâtre. Parmi eux, quelques femmes maquillées, sans voile. Plus loin, un feu de bois sur lequel on grille du poisson. Spécialité de la région. Il fait humide, le feu est bienvenu. Il règne ici une ambiance accueillante, pas du tout hostile, pas du tout "militaire".

Quelqu'un nous invite à boire quelque chose. Nous acceptons volontiers. Nous commandons un thé. Ali Huassein, notre hôte, a gagné la médaille d'or du marathon au championnat du monde de 1985 à Hiroshima. Il nous montre fièrement la preuve de sa participation. Et la photo de cette heure de gloire. Il nous raconte: «Nous ne voulons pas de guerre. J'aimerais pouvoir boire quelque chose avec vous ici chaque jour, parler et rire, fumer la pipe à eau. Mais Bush n'est pas d'accord. Ils mentent à notre sujet. Nous n'avons pas ces armes chimiques et biologiques. Il en veut à notre pétrole.»

Nous prenons encore quelques photos, de la vie quotidienne ici. Après-demain, ce sera peut-être fini. Il sera peut-être trop tard. Le regard des gens n'est pas du tout résigné, ils ont leur fierté. Quelqu'un demande: "Pourquoi venez-vous ici, alors que la guerre va commencer?" Nous: "parce que nous voulons justement être avec vous, pour montrer notre solidarité." Les gens nous manifestent leurs remerciements et leur respect. On voit que ça leur fait plaisir. Et ça nous donne de l'énergie, un sentiment terrible, de plaisir mutuel. Une expérience inoubliable.

J'ai ce soir le sentiment de ne pas être venu pour rien. Je suis très content d'être là.