arch/ive/ief (2000 - 2005)

Dr Van Moorter: histoires horrifiantes de Bagdad
by Dirk Adriaensens Saturday March 22, 2003 at 10:45 PM
sos.irak@skynet.be

journal quotidien de Bagdad: www.m3m.be et http://www.irak.be/ned/missies/medicalMissionColetteGeert/journal_de_bagdad_22_03_2003b.htm Le Dr Van Moorter n'a qu'une message importante: le solidarité des peuples ici avec l'Irak est de très grande importance et nous devons continuer à RESISTER la logique de guerre de Bush & C°.

20 mars. Appel à la résistance sur les radios américaines

Les bombardements ont été très lourds, même tout près. Fumées épaisses, odeurs d'explosifs. De rage et d'impuissance, j'en avais les larmes aux yeux. Pour la première fois, cette nuit-ci, j'ai pu avoir ma sœur Marijke au téléphone. C'a été un bon moment, nous avons pu échanger des commentaires sur ce qui se passe là-bas et ici, en fait de résistance. Je suis fier qu'une bonne partie de ma famille et de mes amis me soutiennent. Nous ne sommes pas ici « en train de risquer nos vies comme des cons », comme certains le suggèrent peut-être, nous sommes ici au nom d'un tas de gens qui, grâce à notre démarche, se sentiront beaucoup plus directement concernés par ce qui se passe en Irak. La presse belge téléphone régulièrement au comité StopUSA de la région d'Alost. Où alors, ils vont poser des questions à ma famille. A ma mère, ils ont demandé si elle ne pouvait empêcher son fils de se lancer dans une aventure aussi dangereuse. Elle leur a répondu qu'elle n'avait pas envisagé une seule seconde de me retenir. Là, ça me secoue !

La vie que nous menons ici est très intense, je ne dors que trois ou quatre heures par nuit. Ma mère va encore dire que je pousse le bouchon un peu loin mais, même ici, c'est plus fort que moi, je ne peux toujours pas dormir en paix. Nous travaillons « à pauses », en quelque sorte, Colette fait la « pause de jour », et moi, la « pause de nuit ». Ainsi, la nuit dernière, j'ai assisté à un « show live » de la radio nationale de Washington, DC, relayé par 98 radios locales. Ces Amerloques, quand même ! un show de quatre heures sur la guerre, et en direct ! Avec, manifestement, l'intention de faire du show avant tout ! « Tous contre le cancer ! ». Tiens, ouais, une idée, pourquoi pas un show « Tous contre la guerre ! » ? Je suis parvenu à placer un appel aux chers z'auditeurs américains pour qu'ils protestent en masse. Je leur ai dit que les Irakiens n'avaient strictement rien contre eux, mais uniquement contre leur gouvernement et leur président qui, ici, ont sur la conscience une colossale violation des droits de l'homme.

Le soutien d'un front particulièrement motivé, en Belgique même !
Il n'y en a sûrement pas que pour nous, ici, nous pouvons nous appuyer sur une grande équipe qui soutient notre mission et diffuse nos infos à travers le monde. Bert De Belder, coordinateur de Médecine pour le Tiers Monde, est à l'écoute pour ainsi dire jour et nuit. Wim De Ceukeleire, qui se trouve en ce moment aux Philippines, toujours pour Médecine pour le Tiers Monde, traduit nos communiqués journaliers en anglais, après quoi, ils sont envoyés au monde entier. Dirk Adriaensens, de S.O.S. Irak-Belgique, ne demeure pas en reste non plus. Son site web, http://www.irak.be, est le site le plus consulté d'Europe en ce qui concerne la situation en Irak. De la sorte, nos infos touchent des milliers de personnes. A Caterpillar – Charleroi, lundi, ils vont faire grève contre la guerre ! C'est dans ce contexte que notre présence se justifie le plus, en incorporant le plus de monde possible dans la lutte contre cette barbarie sans précédent. En même temps, ça nous donne le sentiment d'agir comme il le faut, et cela nous met du cœur aux tripes.

21 mars. « Le moral des Irakiens demeure intact ! »

On voit de plus en plus de militaires dans les rues, maintenant. La police a troqué le képi pour un casque et, au lieu d'avoir un pistolet un la ceinture, elle a un kalachnikov à la bretelle. Partout, les militaires dressent des postes de défense à l'aide de sacs de sable, et ils s'enterrent.

La population irakienne réagit assez calmement. Elle commence à avoir l'habitude. Plusieurs gens nous disent qu'ils ne plieront pas, que leur pays a déjà été détruit à plusieurs reprises au cours de l'histoire mais que, chaque fois, il s'est redressé. Jusqu'à présent, leur moral est demeuré intact. Les gens se soutiennent mutuellement. Par contre, ça panique plus du côté des journalistes…

« United States of Aggression, c'est encore un euphémisme ! »
Nous venons de subir des bombardements très lourds, avec des explosions gigantesques, les vitres ont été drôlement secouées, on a vu des boules de feu éclater un peu partout. Quelle infamie ! Quelle boucherie ! Les chirurgiens que nous avons rencontrés aujourd'hui à l'hôpital Saddam sont littéralement débordés. On ne voit pas les bombes arriver, mais ce sont des explosions massives, qui provoquent des secousses impressionnantes. Colette laisse aller sa colère contre cette barbarie, j'essaie de la filmer. De temps en temps, il me faut déglutir, pour secouer la pression qui pèse sur mes tympans. Quelle bande de salauds ! Ca n'a vraiment aucun sens !

Et encore, nous sommes à l'endroit le plus sûr, dans notre hôtel. Nous y sommes restés afin de pouvoir envoyer nos comptes rendus sur toutes les saloperies causées par cette guerre et pour remonter un peu le moral des gens d'ici, pour qu'ils esquissent ne serait-ce qu'un sourire, pour leur serrer la pince, les prendre dans nos bras… Ici, pas mal de pisse-vinaigre hausseraient les épaules, mais nous, nous savons de quoi nous parlons. Nous sommes soutenus dans le monde entier, nous donnons des interviews en Argentine, au Canada, en Afrique du Sud, à Washington, en France, en Australie… Chaque fois, nous appelons à la résistance. De temps à autre, nous dénonçons également l'attitude hypocrite de la Belgique. Chaque fois, nous faisons l'éloge de nos confrères iraniens qui continuent à faire leur boulot dans les conditions les plus intenables. Nous racontons à qui veut l'entendre ici qu'il y a des protestations dans le monde entier. StopUSA, United States of Aggression, c'est encore un euphémisme. Celui qui oserait encore dire que l'expression est exagérée devrait venir vivre les bombardements qu'on subit ici. Mais ces gens-là n'en ont que foutre des droits de l'homme ou de la démocratie ! A-t-on déjà vu installer la démocratie à coups de bombes, ho !!!

« Les Etats-Unis vont se heurter à un sacré mur »
22 heures. Les sirènes retentissent de nouveau. Ca sent la poudre partout, une odeur particulièrement irritante. Mais qu'est-ce que ce doit être pour les gens qui ne sont pas en lieu sûr, comme nous, ici ? Les enfants que nous avons vus ce matin, à l'hôpital, se trouvent exactement dans la zone qui est sous le feu pour l'instant. Qu'est-ce qu'ils doivent donc ressentir, maintenant, par quelles angoisses ne doivent-ils pas passer, eux et leurs parents ? C'est un crime contre l'humanité. Il faut qu'on traîne Bush, Blair et toute cette clique devant un tribunal pénal. Mais soyons confiants : Un jour, leur tour viendra, ça ne fait pas un pli !

Nous faut-il croire, maintenant, qu'il n'y a rien à faire, à entreprendre contre cette agression, que les Etats-Unis, décidément, sont tout-puissants ? Hier soir, je lisais encore la préface d'un bouquin que j'ai reçu des Philippines, « L'hégémonie impérialiste américaine et la crise : ce qu'il en est réellement de la guerre contre le terrorisme. » Un extrait : « L'arrogance du recours à la puissance militaire des Etats-Unis, la seule superpuissance à avoir survécu, est en même temps un signe d'une faiblesse interne, fatale, en fin de compte, de l'impérialisme américain, qui se dissimule derrière une prétendue puissance militaire écrasante. Partout, les gens s'organisent en mouvements de masse et s'engagent dans des actions révolutionnaires en vue de riposter à la guerre impérialiste et à la combattre. » Il y a quelques années à peine, j'aurais trouvé ce genre de phrases ronflantes et sloganesques. La formulation est un peu lourde pour des gens qui vivent dans un cadre encore relativement protégé. Mais maintenant, après tous ces bombardements, je trouve leur contenu absolument correct. Les gens du tiers monde tournent beaucoup moins autour du bout que nous pour appeler un chat un chat. C'est cela, la barbarie de l'impérialisme qui, pour de vulgaires raisons économiques, n'hésite pas une seconde à orchestrer tous ces massacres et destructions. De plus en plus de gens finissent par se rendre compte que ça ne peut plus durer, et ça, c'est la note positive de l'affaire.

Tout à l'heure, un Irakien me le disait encore : « Les Etats-Unis pourront peut-être avoir la victoire sur le plan militaire, mais ils seront détestés à jamais, ici, et, après leur ‘victoire', ils continueront à se heurter à une sacrée résistance. Les gens haïssent les Etats-Unis, je ne veux pas dire les citoyens américains, non, mais leur gouvernement, leur président. Finalement, les Etats-Unis vont se heurter tête première à un mur. Et, après ça, quoi qu'ils fassent, nous finirons quand même par relever la tête ! »

Les gosses pour la paix, en Belgique et en Irak
Dans le fauteuil, je vois la série de dessins que les gosses de la région d'Alost ont faits pour la paix, et qui sont destinés aux gosses de l'Irak. J'en vois un, d'un garçon de neuf ans, de Wichelen, un char biffé à coups de gros traits rouges. Il y en a avec des fleurs, avec des messages de paix… Je n'ai plus pu les remettre aux enfants irakiens, la plupart des écoles avaient déjà été fermées en raison de la menace de guerre. Encore un droit dont les gosses sont spoliés et ce, au nom des… droits de l'homme ! J'apprends qu'un grand nombre d'écoles belges ont fait grève. Continuez, seulement, donnez l'exemple à pas mal de plus vieux, souvent aigris, ou blindés !…

Les équipes de secours, elles aussi, cibles des bombes ?
Je remarque que les bâtiments bombardés, chaque fois, le sont une nouvelle fois à un quart d'heure ou une demi-heure d'intervalle. Nous le voyons très bien de notre chambre d'hôtel, au 8e étage. C'est crapuleux ! Chaque fois qu'une bombe ou un missile tombe, les équipes de secours se pressent sur place. La seconde attaque sur les mêmes objectifs vise manifestement à liquider les équipes de secours (pompiers, ambulances, etc.). Cela aussi, c'est une violation des conventions humanitaires internationales, dont Bush et consorts se moquent comme de leur première culotte. Ils font cela pour démoraliser la population. D'ici, j'entends des ambulances qui foncent. Imaginez – et, en Belgique, c'est un boulot que je fais régulièrement – que vous débarquez en plein catastrophe et qu'on se met à vous tirer dessus…

22.30 heures. Une nouvelle vague de bombardements, une fois de plus, assez loin, cette fois. A 22.45 h seulement, nous entendons les sirènes des ambulances. Pour les survivants, cela veut dire que les secours n'arriveront qu'une heure ou deux après les faits (les premières attaques ont débuté à 20 heures). Et vlan, une fois de plus, des bombes au même endroit ! J'espère que mes collègues secouristes ne sont pas justement en train de chercher des blessés et des survivants sur le site même… Pour les survivants aussi, ça doit être atroce, il doit sûrement y en avoir pas mal qui meurent dans les pires angoisses, en perdant leur sang jusqu'à la dernière goutte, ou atrocement brûles, ou avec des membres arrachés… Ici aussi, je sais de quoi je parle, j'ai vu de près la guerre en Afghanistan et en Yougoslavie. Monsieur le président, dormez bien ! Et, nom de Dieu, vous autres, du gouvernement belge, arrêtez donc des transports d'armes, vous aides des assassins ! Mais nom de Dieu, arrêtez cette connerie !