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Les colonisations
by Dominique Monday March 17, 2003 at 02:36 PM
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Ce texte donne la parole aux témoins de la colonisation et jette un regard cru et lucide sur ce qui fut le début de l'enfer pour les 80 pour cent de la planète... Il montre encore qu'une autre rencontre aurait été possible.

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Les colonisations

Ce texte donne la parole aux témoins de la colonisation et jette un regard cru et lucide sur ce qui fut le début de l'enfer pour les 80 pour cent de la planète. Il montre aussi que ce que Bush appelle le conflit entre la vieille Europe et la nouvelle Amérique, ce qui n'appelle aucune réaction réelle de l'Europe, composée en majorité par un gang des anciens colonisateurs, est en fait un conflit entre une société corrompue au plus au point et un autre monde fondé sur la solidarité de chacun par rapport à tous. Il montre encore que, loin des clichés des livres d'histoire, c'est autre monde existait et que les colonisateurs n'ont fait que le détruire, alors qu'une autre rencontre aurait été possible.

De trés large extraits de ce livre figurent ici. Le premier de ces extraits est ici.

b) -- Les occasions manquées: de Thomas More à Montaigne.

Dès les débuts de cette ère historique qui s'ouvre, en 1492, par l'invasion de l'Amérique, il y eut des hommes qui perçurent le sens de la nouvelle barbarie de cet Occident qui se considérait comme la seule civilisation possible et la seule porteuse de la modernité, et montrèrent qu'en ce moment de fracture de l'histoire cet Occident faisait fausse route.

Les esprits les plus lucides de l'époque comme Mgr Bartolomé de Las Casas, fils d'un compagnon de Christophe Colomb, premier prêtre ordonné aux Amériques et premier évêque de Chiapas, dans son livre sur La destruction des Indes écrit: "la barbarie est venue d'Europe."

Le témoin le plus significatif en est Thomas More (1478-1535) qui écrivit la première Utopie de l'Europe. Sa vision de l'avenir n'est pas faite de rêves subjectifs ni de fantaisies imaginatives.

Le premier livre de son utopie est au contraire une analyse profonde du passage qui s'opère sous ses yeux, en Angleterre, d'une société féodale et agricole, à un capitalisme marchand inauguré par l'industrie de la laine.

Avocat de la corporation des merciers, il connaissait tous les mécanismes du commerce de la laine avec les flamands auprès desquels il fut envoyé comme ambassadeur, à Anvers, pour régler les contentieux avec les tisserands. Puis pour apaiser les conflits des marchands anglais et français. Membre du Parlement il se spécialise dans le contrôle des dépenses de l'Etat.

A l'avènement d'Henri VIII, Thomas More ose espérer, écrit-il, que le roi serait "un père pour le peuple et non un maître d'esclaves." En 1529, il accède à la plus haute magistrature d'Angleterre: celle de chancelier du royaume. Mais il refuse inflexiblement le divorce d'Henri VIII d'avec Catherine d'Espagne, et plus encore, comme catholique fidèle, à l'acte de suprématie de 1533, qui fit du roi le chef suprême de l'Eglise anglicane. Accusé pour son opposition intransigeante, sa tête tomba sous la hache du bourreau le 6 juin 1534.

Ainsi l'auteur de la première Utopie, qui contient en germe l'esprit de tous les socialismes européens, est non pas un rêveur, mais un homme de terrain qui, à tous les niveaux de responsabilité qui furent les siens (jusqu'au plus élevé), a connu et vécu les débuts du capitalisme marchand. Il en a analysé les mécanismes et les effets pervers.

La première partie de son utopie est consacrée à l'examen de la mutation anglaise.

Pour alimenter le commerce de la laine les anciens féodaux et les riches marchands ont accaparé les terres où les petits paysans pratiquent des cultures vivrières, les ont chassé de leurs fermes, ont clôturé (actes d'enclosures) d'immenses espaces pour y élever des moutons pour le marché de la laine. Thomas More fait une description minutieuse et tragique de cette opération du capitalisme naissant:

"Ainsi un avare affamé enferme des milliers d'arpents dans un même enclos: et d'honnêtes cultivateurs sont chassés de leurs maisons, les uns par la fraude, les autres par la violence, les plus heureux par une suite de vexations et de tracasseries qui les forcent à vendre leurs propriétés. Et ces familles, plus nombreuses que riches (car l'agriculture a besoin de beaucoup de bras), émigrent à travers les campagnes, maris et femmes, veuves et orphelins, pères et mères avec de petits enfants. Les malheureux fuient en pleurant le toit qui les a vus naître, le sol qui les a nourris, et ils ne trouvent pas où se réfugier. Alors, ils vendent à vil prix ce qu'ils ont pu emporter de leurs effets, marchandise dont la valeur est déjà bien peu de chose. Cette faible ressource épuisée, que leur restera-t-il, Le vol, et puis la pendaison dans les fermes." (23)

"Mettez un frein à l'avare égoïsme des riches; ôtez-leur le droit d'accaparement et de monopole. Donnez à l'agriculture un large développement; créez des manufactures de laine et d'autres branches d'industrie, où vienne s'occuper utilement cette foule d'hommes dont la misère a fait, juqu'à présent, des voleurs ou des vagabonds." (24)

A ceux qui ne voient que "la potence comme barrière contre le brigandage" sa réponse est: " Ma conviction intime est qu'il y a de l'injustice à tuer un homme pour avoir pris de l'argent, puisque la société humaine ne peut pas être organisée de manière à garantir à chacun une égale portion de bien. "

Et voici la thèse centrale qui se dégage de la critique de l'ordre établi en Angleterre par la victoire du capitalisme:

"Partout où la propriété est un droit individuel, où toutes les choses se mesurent à l'argent, là on ne pourra jamais organiser la justice et la propriété sociale, à moins que vous n'appeliez juste la société où ce qu'il y a de meilleur est le partage des plus méchants, et que vous n'estimiez parfaitement heureux l'Etat où la fortune publique se trouve la proie d'une poignée d'individus insatiables de jouissances, tandis que la masse est dévorée par la misère.

"L'égalité, est, je crois, impossible dans un Etat où la possession est privée et absolue; car chacun s'y autorise de divers titres et droits pour attirer à soi autant qu'il peut, et la richesse nationale, quelque grande qu'elle soit, finit par tomber en la possession d'un petit nombre d'individus qui ne laissent aux autres qu'indigence et misère.

Voilà ce qui me persuade invinciblement que l'unique moyen de distribuer les biens avec égalité, avec justice, et de constituer le bonheur du genre humain, c'est l'abolition de la propriété. Tant que le droit de propriété sera le fondement de l'édifice social, la classe la plus nombreuse et la plus estimable n'aura en partage que disette, tourments et désespoir."

"C'est pourquoi, lorsque j'envisage et j'observe les républiques aujourd'hui florissantes, je n'y vois qu'une conspiration des riches faisant au mieux leurs affaires sous le nom et le titre fastueux de république. Les conjurés cherchent par toutes les ruses et par tous les moyens possibles à atteindre ce double but: premièrement s'assurer la possession certaine et indéfinie d'une fortune plus ou moins mal acquise; secondement, abuser de la misère des pauvres, abuser de leurs personnes, et acheter au plus bas prix possible leur industrie et leurs labeurs. Et ces machinations décrétées par les riches au nom de l'Etat et par conséquent au nom même des pauvres, sont devenues des lois."

A cette société fondée sur le pouvoir absolu du marché de l'argent, Thomas More n'oppose pas de rêveries romantiques. Il se veut aussi expérimental dans ses projets que dans ses critiques.

Il montre qu'une société, radicalement différente en son principe même, est possible. Elle est possible puisqu'elle existe déjà, même avec ses insuffisances, dans le Nouveau Monde.

Il existe là une autre forme de développement dont le but n'est pas l'accumulation de l'or mais l'épanouissement de l'homme: "C'est dans ce développement complet qu'ils font consister le vrai bonheur." (Livre II)

La source première d'information de Thomas More, ce sont les rapports d'Amerigo Vespucci (celui qui donna à l'Amérique son nom) sur ses quatre voyages au Nouveau Monde, publiés en 1507, et aussi des témoins oculaires tels que son interlocuteur, Raphaël, dont il nous dit: "Le Portugal est son pays. Jeune encore il abandonna son patrimoine à ses frères; dévoré de la passion de courir le monde, il s'attacha à la personne et à la fortune d'Amerigo Vespucci. Il n'a pas quitté un instant ce grand navigateur pendant les trois derniers de ses quatre voyages dont on lit partout aujourd'hui la relation." (Livre I)

Raphaël lui dit: "Votre imagination ne se forme aucune idée d'une république semblable, ou ne s'en forme qu'une idée fausse. Si vous aviez été en Utopie, si vous aviez assisté au spectacle de ses institutions et de ses moeurs, comme moi qui y ai passé cinq années de ma vie, et qui n'ai pu me décider a en sortir que pour révéler ce nouveau monde à l'ancien, vous avoueriez que nulle part il n'existe de société aussi parfaitement organisée."

"Il y a observé, dit Thomas More, un grand nombre de lois capables d'éclairer, de régénérer les séniles nations et royaumes de la vieille Europe... que de siècles il nous faudra pour leur emprunter ce qu'il y a de plus parfait dans leur civilisation."

A l'encontre des économistes du capitalisme naissant, qui considéraient les lois du marché comme des lois naturelles, Raphaël "découvre des peuples, des villes, des bourgs où.... en complet désaccord avec les institutions de notre continent, où l'or est adoré comme un dieu, recherché comme le souverain bien.... tout concourt à tenir l'or et l'argent en ignominie." Ils n'en font point une monnaie. "L'or et l'argent n'ont aucune vertu, aucun usage, aucune propriété... aucune valeur que celle que la nature leur a donnée... C'est la folie humaine qui a mis tant de prix à leur rareté."

"En Utopie, l'avarice est impossible, puisque l'argent n'y est d'aucun usage; et, partant, quelle abondante source de chagrin n'a-t-elle pas tarie? Qui ne sait, en effet, que les fraudes, les vols, les rapines, les rixes, les tumultes, les querelles, les séditions, les meurtres, les trahisons, les empoisonnements, qui ne sait, dis-je, que tous ces crimes dont la société se venge par des supplices permanents sans pouvoir les prévenir, seraient anéantis le jour où l'argent aurait disparu? Alors disparaîtraient aussi la crainte, l'inquiétude, les soins, les fatigues et les veilles. La pauvreté même, qui seule paralt avoir besoin d'argent, la pauvreté diminuerait à l'instant, si la monnaie était complètement abolie."

A l'inverse de nos sociétés où la richesse est la mesure de toute chose, "ce qui renversait toutes ses idées, c'était le fondement sur lequel s'est édifiée cette république étrange, je veux dire la communauté de vie et de biens sans commerce d'argent."

Dans une société où le marché devient le régulateur de toutes les relations sociales, chaque homme est un concurrent, un rival, aucune communauté n'est possible, seul triomphe l'individualisme, où, comme écrit Thomas More: "ce que vous ajoutez à l'avoir d'un individu, vous l'otez à celui de son voisin."

Le contraire de cet individualisme, c'est la communauté, c'est à dire une société dont chaque membre se sent responsable de tous les autres.

"Ailleurs, écrit Thomas More, le principe du tien et du mien est consacré par une organisation dont le mécanisme est aussi compliqué que vicieux. Des milliers de lois n'y suffisent pas encore pour que tout individu puisse acquérir une propriété, la défendre, et la distinguer de la propriété d'autrui."

J'ai essayé, continua Raphaël, de vous décrire la forme de cette république, que je crois non seulement la meilleure, mais encore la seule qui puisse s'arroger à bon droit le nom de république. Car, partout ailleurs ceux qui parlent d'intérêt général ne songent qu'à leur intérêt personnel; tandis que là où l'on ne possède rien en propre, tout le monde s'occupe sérieusement de là chose publique, parce que le bien particulier se confond réellement avec le bien général.

En Utopie où tout appartient à tous, personne ne peut manquer de rien, une fois que les greniers publics sont remplis. Car la fortune de l'Etat n'est jamais injustement distribuée en ce pays; l'on n'y voit ni pauvre ni mendiant.

Le refus du luxe et de l'inutile a pour conséquence que "la population n'exerce que des professions utiles", là encore aux antipodes des sociétés où l'appétit de consommation engendre le parasitisme:

"N'est-elle pas inique et ingrate la société qui prodigue tant de biens a ceux qu'on appelle nobles, à des joailliers, à des oisifs, ou à ces artisans de luxe, qui ne savent que flatter et servir des voluptés frivoles? quand d'autre part, elle n'a ni coeur ni souci pour le laboureur, le charbonnier, le manoeuvre, le charretier, l'ouvrier, sans lesquels il n'existerait pas de sociéte. Dans son cruel égoïsme, elle abuse de la vigueur de leur jeunesse pour tirer d'eux le plus de travail et de profit."

"Chacun ne se livrant qu'à des travaux utiles" le travail matériel y est de courte durée, et néanmoins ce travail produit l'abondance et le superflu. Quand il y a encombrement de produits un décret autorise une diminution sur la durée du travail, car le gouvernement ne cherche pas à fatiguer les citoyens par d'inutiles labeurs.

"Le but des institutions sociales en Utopie est de fournir d'abord aux besoins de la consommation publique et individuelle, puis de laisser à chacun le plus de temps possible pour s'affranchir de la servitude du corps, cultiver librement son esprit, développer ses facultés intellectuelles par l'étude des sciences et des lettres. C'est dans ce développement complet qu'ils font consister le vrai bonheur."

Thomas More évoque le haut niveau de connaissances scientifiques atteint par les Indiens, notamment en astronomie.

Evoquant enfin leur sagesse et leur religion il souligne leur signification humaine: "Ils définissent la vertu: vivre selon la nature. Dieu, en créant l'homme, ne lui donna pas d'autre destinée."

"Les habitants de l'île, qui ne croient pas au christianisme, ne s'opposent point à sa propagation", car ils "flétrissent sévèrement, au nom de la morale, l'homme qui dégrade la dignité de sa nature au point de penser que.. le monde marche au hasard. " [C'est qu'ils vivent la religion fondamentale et première qui est en tout homme: dire Dieu, de quelque nom qu'on l'appelle, c'est dire: la vie a un sens. R.G. ]

"Aussi quand je compare les institutions européennes à celles des autres pays, je ne puis assez admirer la sagesse et l'humanité d'une part, et déplorer, de l'autre, la déraison et la barbarie."

* * *

Montaigne (1533-1592), dans ses Essais (Livre I, chapitre 11, intitulé:Des cannibales porte un jugement aussi sévère sur l'orientation nouvelle de l'histoire et il évoque ce qu'aurait pu être, entre les deux mondes, une autre rencontre, fondée sur le dialogue et la fécondation réciproque et non sur la négation de l'autre et la guerre de pillage et d'extermination des Indiens d'Amérique.

Montaigne part de l'Histoire générale des Indes de Lopez de Gomara. Il en fait une lecture critique en écoutant les témoignages d'un navigateur des Amériques qui lui fait rencontrer " diverses fois plusieurs matelots et marchands qu'il avait connus en ce voyage. " (Essais. Livre I, chap.31).

Il ne se contente pas de maudire les massacres des envahisseurs: "Qui mit jamais à tel prix le marché et le trafic? Tant de villes rasées, tant de nations exterminées, tant de millions de peuples passés au fil de l'épée, et la plus riche et belle partie du monde bouleversée pour la négociation des perles et du poivre: mécaniques victoires. Jamais l'ambition, jamais les inimitiés publiques ne poussèrent les hommes les uns contre les autres a si horribles hostilités et calamités si misérables." (Essais. Livre III, chap. VI)

Par contre, ajoute Montaigne (I, 21) "il n'y a rien de barbare et de sauvage en cette nation... à moins que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage... Ils sont sauvages au sens où nous appelons "sauvages" les fruits que la nature seule a produits... alors que ce sont ceux que nous avons altérés par notre artifice et détournés de l'ordre commun que nous devrions appeler sauvages."

Monseigneur Bartolome de Las Casas confirme la barbarie des envahisseurs: "pour nourrir les chiens, ils mènent des Indiens enchaînés... ils les tuent et tiennent une boucherie ambulante de viande humaine."

Le sage Montaigne, à qui furent rapportés ces témoignages oculaires de juges et de prêtres, écrit sur les cannibales: "Je ne suis pas marri que nous remarquions l'horreur barbare qu'il y a en une telle action... mais jugeant bien de leur faute, nous sommes aveugles sur les nôtres. Je pense qu'il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu'à le manger mort, à le déchirer, par tourments et par torture... le faire mordre par les chiens... que de le rôtir et le manger après qu'il a trépassé... Nous les pouvons donc appeler barbares... mais non pas par rapport à nous qui les surpassons en toutes sortes de barbaries." (I, 31)

Il compare le courage des Indiens acceptant de "souffrir la mort plus volontiers que de se soumettre à la domination de ceux qui les ont si honteusement abusés", et la mécanique victoire des envahisseurs, en raison de la disparité des armes. (Essais III,6)

En parallèle à la rapacité des Occidentaux, uniquement préoccupés par la recherche de mines d'or, il évoque la splendeur de leur architecture, "la magnificence des villes de Cuzco et de Mexico" (III 6)

Son témoignage sur cet urbanisme est confirmé par les témoins. Le chroniqueur Bernal Diez de Castillo, qui entra à Tenochtitlan (l'actuel Mexico) avec les troupes de Cortes écrit: "Il y avait parmi nous des soldats qui avaient été à Constantinople, en Italie, à Rome, et ils disaient qu'une place construite avec tant d'harmonie et avec tant de monde, et où il règnait tant d'ordre, ils ne l'avaient jamais vu nulle part."

Au Pérou Pizarre lui-même s'écrie: "Rien dans la chrétienté n'égale la magnificence de ces routes." Et, des années plus tard, le savant allemand Guillaume de Humboldt confirmera: "Cette chaussée, pavée de grandes pierres de taille peut être comparée aux plus belles routes des romains, ouvrages les plus utiles et les plus gigantesques que les hommes aient exécutés."

Ce réseau routier n'était que le système de circulation sanguine d'une société qui, la première, donnait l'exemple de l'absence de propriété privée dans une civilisation hautement développée qui exalta les esprits les plus généreux de l'Europe: Campanella semble situer au Pérou l'utopie de sa Cité du soleil, et l'Abbé Morelly écrit dans sa Basiliade que la possibilité d'un système non fondé sur la propriété privée "n'est point imaginaire puisque les moeurs des peuples [qu'il décrit] ressemblent, à peu de choses près, à celle des peuples de l'Empire le plus florissant et le mieux policé qui fut jamais: je veux parler de celui des Péruviens".

Sur la qualité esthétique des oeuvres amérindiennes, nous avons ce témoignages d'Albert Dürer dans ses Lettres: " J'ai vu les choses rapportées au roi du nouveau pays doré: un soleil d'or massif grand d'une bonne toise ... une lune d'argent massif... et tout cela est bien plus beau à voir que des prodiges... je n'ai jamais rien vu qui m'aie plus réjoui le coeur que ces choses."

Il reste très peu de ces oeuvres, car les conquistadores les fondaient en lingots.

La science des Mayas était en bien des points supérieure à celle de l'Europe à la même époque.

En astronomie, leurs prêtres calculaient l'année astronomique avec 365,222 jours, chiffre plus exact que celui du calendrier de Grégoire XIII (1502 -1585), postérieur de cinq siècles: il n'entraîne qu'une erreur d'un jour sur six mille ans.

Il construisirent une table prévoyant les éclipses solaires.

Cela suppose un grand développement en mathématiques: leur système numérique, non pas décimal comme le nôtre, mais vigésimal, était supérieur aux systèmes que connurent les Grecs et les Romains.

Aucun peuple au monde n'a égalé les Indiens d'Amérique (et surtout les Mayas) pour le nombre de plantes domestiquées et cultivées, notamment le maïs, la pomme de terre, le manioc, le caoutchouc.

Montaigne évoque ce qu'aurait pu être, entre l'Europe et l'Amérindie une autre rencontre que celle des soudards et de marchands assoiffés d'or.

"Notre monde vient d'en rencontrer un autre... cet autre monde ne fera qu'entrer en lumière quand le nôtre en sortira.... Bien que je craigne que nous ayons bien fort hâté sa décadence et sa ruine par notre contagion. La plupart de leurs réponses et des négociations faites avec eux témoignent qu'ils ne nous étaient inférieurs ni en clarté d'esprit naturelle ni en pertinence... Combien il eût été aisé de faire son profit d'âmes si neuves...

Au rebours nous nous sommes servis de leur ignorance et inexpérience à les plier plus parfaitement vers trahison, luxure, avarice et vers toutes sortes d'inhumanités et de cruautés à l'exemple et patron de nos moeurs." (Essais III, 6)

Ces quelques remarques sur les Amérindiens ne constituent pas une digression, mais une protection contre la prétention occidentale de représenter le seul modèle de modernité et de progrès, et une évocation d'un avenir possible de rencontre véritable des civilisations pour construire une unité, non pas impériale mais symphonique, du monde.