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Communiqué de l'EZLN
by EZLN (trad. Manu) Sunday February 23, 2003 at 10:26 PM

Communiqué de l'EZLN diffusé durant la manifestation à Rome, Italie, le 15 février 2003. Il a été lu par Heidi Giuliani, la mère de l'activiste Carlo, assassiné par la police italienne à Gênes, en juillet 2001.

EJERCITO ZAPATISTA DE LIBERACION NACIONAL. MEXIQUE. 15 FEVRIER 2003.

FRERES ET SŒURS DE L'ITALIE REBELLE :

Recevez un salut des hommes, femmes, enfants et aînés de l'Ejército Zapatista de Liberación Nacional. Notre parole se fait nuage pour traverser l'océan et atteindre les mondes qu'il y a dans vos cœurs.

Nous savons qu'aujourd'hui se réalisent des mobilisations dans le monde entier pour dire "non" à la guerre de Bush contre le peuple d'Irak.

Et il faut le dire ainsi, parce que ce n'est pas une guerre du peuple nord-américain, ni une guerre contre Saddam Hussein.

C'est une guerre de l'argent, qui est représenté par le sieur Bush (peut-être pour souligner qu'il manque totalement d'intelligence). Et c'est contre l'humanité, dont le destin est aujourd'hui en jeu sur le sol de l'Irak.

C'est la guerre de la peur.

Son objectif n'est pas de renverser Hussein en Irak. Son but n'est pas d'en finir avec Al Qaeda. Elle ne cherche pas non plus à libérer le peuple irakien. Ce ne sont ni la justice ni la démocratie ni la liberté qui animent cette terreur. C'est la peur.

La peur que l'humanité entière ne refuse un policier qui lui dit ce qu'elle doit faire, comment elle doit le faire et quand elle doit le faire.

La peur que l'humanité ne refuse d'être traitée comme un butin.

La peur de cette essence de l'être humain qui se nomme rébellion.

La peur que les millions d'êtres humains qui se mobilisent aujourd'hui dans le monde entier ne triomphent à brandir la cause de la paix.

Parce que les bombes qui seront lancées sur le territoire irakien n'auront pas seulement comme victimes les civils irakiens, enfants, femmes, hommes et vieillards dont la mort sera seulement un accident dans la démarche bousculée et arbitraire de celui qui appelle, à son côté, Dieu comme alibi pour la destruction et la mort.

Celui qui commence cette stupidité (qui est appuyée par Berlusconi en Italie, Blair en Angleterre et Aznar en Espagne), le sieur Bush, a acheté avec de l'argent la puissance qu'il prétend lancer sur le peuple d'Irak.

Parce qu'il ne faut pas oublier que le sieur Bush est le chef de la police mondiale autoproclamée, grâce à une fraude si grande qu'elle ne peut être occultée que par les décombres des Tours Jumelles à New York et le sang des victimes des attentats terroristes du 11 septembre 2001.

Ni Hussein ni le peuple irakien n'importent au gouvernement nord-américain. Ce qui lui importe, c'est de démontrer qu'il peut commettre ses crimes dans une quelconque partie du monde, à un quelconque moment et qu'il peut le faire impunément.

Les bombes qui tomberont en Irak cherchent aussi à tomber sur toutes les nations de la terre. Elles veulent aussi tomber sur nos cœurs et, ainsi, universaliser la peur qu'elles portent en elles.

Cette guerre est contre l'humanité entière, contre tous les hommes et femmes honnêtes.

Cette guerre cherche à ce que nous ayons peur, que nous croyions que celui qui a l'argent et la force militaire a aussi la raison.

Cette guerre prétend que nous courbions l'échine, que nous fassions du cynisme une nouvelle religion, que nous restions silencieux, que nous nous conformions, que nous nous résignions, que nous nous rendions … que nous oubliions…

Que nous oubliions Carlo Giuliani, le rebelle de Gênes.

Pour les zapatistes, nous les hommes sommes ce que rêvent nos morts. Et aujourd'hui nos morts rêvent un "non" rebelle.

Pour nous, il n'y a qu'un mot digne et une action conséquente face à cette guerre. Le mot "non" et l'action rebelle.

Pour cela, nous devons dire "non à la guerre".

Un "non" sans "mais" ni conditions.

Un "non" sans demi-teintes.

Un "non" sans gris qui le tachent.

Un "non" avec toutes les couleurs qui peignent le monde.

Un "non" clair, catégorique, contondant, définiteur, mondial.

Ce qui est en jeu dans cette guerre est la relation entre le puissant et le faible. Le puissant l'est parce qu'il nous fait faibles. Il s'alimente de notre travail, de notre sang. Ainsi il grossit et nous languissons.

Dans cette guerre, le puissant a invoqué Dieu à son côté, pour que nous acceptions son pouvoir et notre faiblesse comme quelque chose d'établi par un dessein divin.

Mais derrière cette guerre il n'y a pas d'autre dieu que le dieu de l'argent, ni plus de raison que le désir de mort et de destruction.

L'unique forteresse du faible est sa dignité. Elle l'anime à lutter pour résister au puissant, pour se rebeller.

Aujourd'hui il y a un "non" qui affaiblit le puissant et qui renforce le faible : le "non" à la guerre.

Certains se demanderont si la parole qui en convoque tant dans le monde entier sera capable d'éviter la guerre, ou, déjà commencée, de l'arrêter.

Mais la question n'est pas de savoir si nous pourrons changer la trajectoire assassine du puissant. Non. La question que nous devrions poser est : pourrons-nous vivre avec la honte de ne pas avoir fait tout ce qui est possible pour éviter et arrêter cette guerre ?

Aucun homme ni femme honnête ne peut rester silencieux et indifférent dans ce moment.

Tous et toutes, chacun avec son ton, avec son mode, avec sa langue, avec son action, devons dire "non".

Et si le puissant veut universaliser la peur avec la mort et la destruction, nous, nous devons universaliser le "non".

Parce que le "non" à cette guerre est aussi un "non" à la peur, "non" à la résignation, "non" à la soumission, "non" à l'oubli, "non" à renoncer à être humains.

C'est un "non" pour l'humanité et contre le néolibéralisme.

Nous désirons que ce "non" traverse les frontières, qu'il se moque des douanes, qu'il dépasse les différences de langue et de culture, et qu'il s'unisse à la part honnête et noble de l'humanité, qui toujours, il ne faut pas l'oublier, sera la majorité.

Parce qu'il y a des négations qui unissent et rendent digne. Parce qu'il y a des négations qui affirment aux hommes et aux femmes dans le meilleur d'eux-mêmes, c'est-à-dire dans leur dignité.

Aujourd'hui le ciel du monde se couvre de nuages d'avions de guerre, de missiles qui s'autodénomment "intelligents" seulement pour occulter la stupidité de ceux qui les envoient et de ceux qui, comme Berlusconi, Blair et Aznar, les justifient, de satellites qui signalent les points où il y a de la vie et il y aura de la mort.

Et le sol du monde se tache de machines de guerre qui auront à peindre de sang et de honte la terre.

Vient la tempête.

Mais le jour poindra seulement si les paroles faites nuages pour traverser les frontières se convertissent en un "non" fait pierre, qui ouvrent une fente dans l'obscurité, une crevasse par laquelle peut se glisser le matin.

Frères et sœurs de l'Italie rebelle et digne :

Acceptez ce "non" que, depuis le Mexique, nous les zapatistes, les plus petits, vous envoyons.

Permettez que notre "non" fraternise avec le vôtre et avec tous les "non" qui fleurissent aujourd'hui sur la terre entière.

Vive la rébellion qui dit "non" !

Mort à la mort !

Depuis les montagnes du Sud-est mexicain. Pour le Comité Clandestino Revolucionario Indígena - Comandancia General del Ejército Zapatista de Liberación Nacional.

Subcomandante Insurgente Marcos.

Mexique, février 2003.