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Le Marché arme de destruction massive
by CNT AIT Monday February 17, 2003 at 06:07 PM

Il existe des guerres dont on nous parle tant et tant que l'on finit par les voir comme la pire horreur du monde. La guerre "promise" en Irak et peut-être dans tout le Moyen-Orient est de celles-là. Et puis, il y les guerres dont on nous parle si peu, ou alors à voix basse, par un article à la sauvette au fond d'un quotidien pour intello gauchisant. Ce sont des combats sans armée, des embuscades sans revolver, des massacres sans bombe

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LA PLUS TERRIBLE DES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE : LE MARCHÉ
mercredi 12 février 2003
Il existe des guerres dont on nous parle tant et tant que l'on finit par les voir comme la pire horreur du monde. La guerre "promise" en Irak et peut-être dans tout le Moyen-Orient est de celles-là. Comme aux temps bénis des missiles "Scuds" et "Patriotes" de la Guerre du Golfe, on nous abreuve de fausses nouvelles, bien avant le début même des hostilités. Et soyons sûrs que grâce à CNN, Al Jesira et aux services de propagande de l'ONU et de l'armée américaine, on sera, par télé interposée, aux premières loges de ce nouveau War-Game planétaire.
La fin du show est paraît-il déjà prévue. L'ONU fera la police et les américains exploiteront le pétrole en attendant que les Irakiens apprennent les valeurs de la démocratie façon occidentale. Des milliers d'Irakiens vont mourir sous les bombes, et quelques G.I. feront d'émouvants macchabées décorés au nom de la liberté. L'axe du bien aura triomphé d'un tyran que l'on donnera en pâture à un pseudo tribunal international. Chacun ira de son hypothèse sur les raisons d'une telle boucherie : sauvetage de la démocratie, rééquilibrage stratégique, flicage occidentale du monde, OPA musclée sur le pétrole, opération électorale américaine, les analyses nous tomberont sur la tête comme une pluie de bombes sur Bagdad. On verra même des femmes en faire tomber leur voile et des humanitaires télégéniques en kaki nous rejouer la valse des sacs de blé, des sacs de riz. Ça, ce sont les guerres dont on nous parle, dont on meuble nos peurs intérieures et nos vieux souvenirs de liberté.
Et puis, il y les guerres dont on nous parle si peu, ou alors à voix basse, par un article à la sauvette au fond d'un quotidien pour intello gauchisant. Ce sont des combats sans armée, des embuscades sans revolver, des massacres sans bombe. Ainsi, à Genève, en décembre 2002, tandis que le petit écran se partageait entre l'axe du bien de chez Bush et le saumon fumé de chez Machin, un affrontement bref et terrifiant condamnait à une mort certaine près de 70 millions d'êtres humains. A cette date, se réunissaient les instances décisionnelles de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) pour ratifier un accord international sur la production de médicaments génériques [1].

"Aucune maladie rentable ne pourra être inclue dans la liste des maladies prioritaires"

Cet accord prévoyait la facilitation de l'accès aux médicaments génériques pour les pays en voie de développement, en autorisant leur fabrication par des pays émergents à faible prix sous licence. Il devait permettre aux pays pauvres de se procurer à bas prix les médicaments indispensables pour combattre les grandes épidémies qui les frappent (sida, malaria, tuberculose, etc.). Le système prévoyait une série d'exemptions sur les droits des brevets, permettant ainsi aux pays sans capacité de production nationale d'importer des copies bon marché de médicaments brevetés. Mais sur les 146 pays membres de l'OMC (il y a environ 200 pays sur cette planète), un seul refusa de voter cet accord, les Etats-Unis ! Raison invoquée : le texte n'était pas assez précis sur les maladies couvertes. En fait, l'administration américaine de Bush défend les intérêts des multinationales pharmaceutiques qui ont dépensé plus d'un milliard de dollars pour le soutenir lors des dernières élections américaines. L'industrie pharmaceutique voit d'un très mauvais oeil la fabrication de génériques, car cela réduirait les profits monstrueux qu'elle engrange en ayant, sous couvert de brevet, le monopole de la commercialisation de ces molécules qu'elle vend bien sûr à des prix sans rapport avec les coûts de production. Un représentant de l'industrie du médicament, présent à Genève, résuma la situation en affirmant, non sans cynisme "qu'aucune maladie rentable pour cette industrie ne pourra être inclue dans la liste des maladies prioritaires (qui auraient dû bénéficier de cet accord)". L'accord fut rejeté car, l'OMC fonctionnant selon le principe du consensus, le refus d'un seul pays suffit à bloquer un accord. En réalité, les américains ont de tels moyens de répression économique (droits de douane exorbitants, embargo sur les matières premières, suspension des prêts bancaires) qu'aucun pays ne peut se permettre de les braver sous peine de faillite à moyen terme. Les pays européens [2 ], dont l'industrie du médicament se porte à merveille, jouent les humanistes effarouchés en votant "pour l'accord" mais ne bronchent pas davantage, trop heureux de voir les américains défendre seuls leurs intérêts communs.
Une guerre sans arme, une guerre silencieuse, sans spectacle, une guerre de tous les jours où les morts se comptent par millions. Le sida frappe aujourd'hui 40 millions de personnes dans le monde, dont trois millions d'enfants, et plus de 90 % ne bénéficient pas d'anti-rétroviraux. La malaria frappe en Afrique un million de personnes par an, c'est-à-dire à peu près 3 000 par jour. Deux milliards de personnes n'ont pas accès aux médicaments essentiels. Chaque année, 17 millions de personnes meurent de maladies infectieuses. 90% d'entre elles vivent dans les pays dits "du Sud" alors que les pays dits "du Nord" accaparent 82 % du marché mondial des médicaments. Pourtant, pour un grand nombre de ces maladies, il existe des médicaments efficaces ou limitant fortement les effets de la maladie, mais ces médicaments sont à vendre... au prix fixé par les firmes pharmaceutiques. On atteint là le comble du cynisme capitaliste. Tandis que Bush et consorts nous font des leçons de bien et de mal en se préparant à offrir aux multinationales le pétrole irakien, ils assassinent au nom de la liberté du marché des millions d'êtres humains.
Ce triste bal genevois sous les lambris du palais moderne de l'OMC où le fric danse sur les cadavres du marché n'est qu'un épisode d'une guerre encore plus vaste. Ce non-accord international ou plutôt cet accord pour interdire de se soigner à la majorité des hommes et des femmes de cette terre, n'est qu'une des facettes d'une domination totale. Le même fonctionnement est assuré dans d'autres domaines par d'autres instances représentant le même pouvoir.

"les prédateurs ... héritiers de cette classe de dominateurs qui gèrent l'économie depuis cinq cents ans."

Banque mondiale et FMI (Fond Monétaire International) gèrent la planète à coups de prêts, d'accords économiques, de subventions, contre l'engagement des Etats à appliquer leurs directives. Dans un livre dénonçant ce pouvoir planétaire [3 ], Jean Ziegler, homme politique suisse se réclamant du mouvement des anti-mondialistes, explique qui sont ces maîtres du monde : "Ce sont les minces oligarchies qui détiennent le capital financier spéculatif mondialisé et que, dans mon livre, j'appelle les prédateurs. Ce sont les héritiers de cette classe de dominateurs blancs traditionnels qui gèrent l'économie depuis cinq cents ans. Près de 90 % des 1 000 milliards de dollars échangés chaque jour passent par les mains de ces sociétés. Des sociétés multinationales, comme Microsoft, l'Union des banques suisses, la Société Générale, General Food... Aujourd'hui, 200 de ces entreprises contrôlent près de 28 % de la production de richesse mondiale". Ces maîtres du monde exercent leur pouvoir à travers les organisations supra-nationales telles que le Fond Monétaire International (FMI), la Banque mondiale et l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), qui mettent en oeuvre le consensus de Washington. Il s'agit d'un ensemble d'accords informels conclus tout au long des années 80-90 entre les principales sociétés transcontinentales, les banques de Wall Street, la Réserve fédérale américaine et les organismes financiers internationaux (FMI, Banque mondiale).
Ces accords informels visent à obtenir la liquidation de toute instance régulatrice (Etat ou organisation internationale), la libéralisation la plus totale et rapide de tous les marchés et l'instauration à terme d'un marché mondial unifié et totalement autorégulé.
La voilà, la guerre totale. L'armée du profit, sans couleur ni drapeau mais avec pour artillerie le dollar, pille et massacre la planète jour après jour.
De 1890 à 1990, la population mondiale à été multipliée par 4, la richesse par 14 et la production industrielle par 40 ! Les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. Aujourd'hui, 826 millions de personnes sont chroniquement et gravement sous-alimentées. Chaque jour, 100 000 personnes meurent de la faim ou de ses suites immédiates. En décidant en quelques minutes de déplacer leurs capitaux en fonction de la maximisation des profits, les "maîtres du monde" décident cha-que jour de la vie et de la mort de centaines de milliers de personnes. Saddam ou Oussama, purs produits du système capitaliste, despotes sanguinaires, qui nous sont vendus comme les bourreaux des temps modernes, ne servent-ils pas entre autres manipulations à nous faire oublier l'arme de destruction massive la plus efficiente : le marché ?
Interrogé par un journaleux sur le devenir de tout cela, ce même Jean Ziegler, député européen, expert auprès de l'ONU, sociologue établi, donc peu soupçonnable de terrorisme, répondit : "Il n'est pas question aujourd'hui de négocier une coalition hâtive entre quelques restes de gauchisme et des ruines du trotskisme. Il faut changer de perspective : on est aujourd'hui dans un moment de rupture des temps... Lorsque ces institutions nous demandent ce que nous voulons et nous reprochent de ne pas avoir de projet et donc de ne pouvoir dialoguer avec nous, je donne l'exemple des révolutionnaires de 1789 : ils savaient ce qu'ils ne voulaient pas, mais n'avaient pas de projet précis. Demander aux altermondialistes quel est leur projet, c'est comme demander, au soir du 14 juillet, à ceux qui avaient pris la Bastille de réciter le premier article de la Constitution de la Ière République ou de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ! Le programme du mouvement se fait en marchant".
Adrien, Tarbes

OMC : Comment ça marche ?

L'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), constituée de 146 états-membres, a été créée en 1995 pour succéder au GATT (ancienne instance régissant les accords commerciaux). Elle se donne pour objet de définir les mesures assurant la régulation du commerce mondial. Trois organes gèrent conjointement l'OMC.
1_ l'Organe d'évaluation des politiques commerciales.
Il se compose de l'OMC elle-même, de la Banque Mondiale et du Fond Monétaire International. Les votes se font au prorata des contributions financières des pays membres (1 dollar = 1 voix). On imagine le poids des pays du Sud !
2 _ Le Conseil général.
Il gère les affaires courantes lors des réunions souvent informelles sur les sujets sensibles. Les émissaires des acteurs économiques les plus puissants sont omniprésents. Ils encadrent les travaux. Les pays pauvres n'ont pas les moyens de suivre les travaux simultanés et sont obligés de "choisir" leur sujet. Une quarantaine de ces pays n'ont même pas de représentant à Genève, ou réussissent seulement à se payer un ambassadeur commun à plusieurs. Les décisions doivent être prises au consensus, sans jamais de vote. Le calendrier et le contenu des négociations est entre les mains du "QUAD" (Etats-Unis, Canada, Japon, Union Européenne).
3_ L'organe de règlement des différends (ORD).
C'est la juridiction mondiale compétente pour tous les accords. Seuls les critères commerciaux sont pris en compte. L'accord de tous est nécessaire pour ne pas appliquer de sanctions.
[d'après un texte de la confédération paysanne]


[1 ] Médicament générique : lorsqu'une firme dépose un brevet pour une nouvelle molécule thérapeutique, elle a l'exclusivité de la fabrication et de la commercialisation de cette molécule. Après un certain nombre d'années, la protection du brevet tombe et cette molécule peut être fabriquée et vendue par n'importe quelle firme.
[2 ] L'Union européenne a lancé, jeudi 8 janvier 2002, une initiative pour tenter de débloquer les négociations à l'OMC sur l'accès des pays pauvres aux médicaments, en présentant un compromis qui donnerait un rôle d'arbitre à l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Sachant que l'OMS est également la proie des lobbies du médicament, on mesure le " courage " des gouvernants européens.
[3] Jean Ziegler, " Les Nouveaux Maîtres du Monde et ceux qui leur résistent ".