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Appel à la mobilisation
by Vincent Bouchard Friday February 14, 2003 at 02:20 PM
societelibre@lautre.net

Levons-nous, organisons-nous et démontrons notre mécontentement ! Aujourd'hui, oui, mais demain aussi, avec toujours le même but : construire ce monde meilleur, libertaire et égalitaire, qui assurera à nos prochains une pleine liberté, un environnement sain et une société humaine fraternelle et solidaire.

Pour être franc, je ne crois pas que le mouvement contre la guerre n'a de véritable chance d'arrêter la guerre contre l'Irak lancée par les États-Unis. Pourquoi alors faut-il s'impliquer dans le mouvement, pourquoi alors sortir dans les rues pour manifester, pourquoi démontrer notre mécontentement ?

Parce que c'est dans ces moments de l'Histoire où le système en place devient si intransigeant et arrogant que les mouvements sociaux se développent. C'est dans l'indignation et la frustration que les prises de conscience ont lieu et que l'humain sort de sa torpeur habituelle. C'est à ces moments précis de l'Histoire que les révolutions et les restructurations de la société ont lieu.

Je suis impliqué activement dans le mouvement contre la guerre britannique présentement et je vois l'effervescence de ce mouvement social prendre forme. Les gens se rendent bien compte que malgré le beau discours des politiciens et des médias depuis des décennies sur les prouesses de la démocratie parlementaire, le peuple n'a aucun pouvoir et sa voix ne compte pas dans les décisions politiques importantes - Blair ne se préoccupe pas beaucoup du fait que seulement 30% de la population anglaise approuve une attaque militaire, que ce soit avec ou sans l'autorisation de l'ONU, et que 81% de la population croit qu'un nouveau mandat de l'ONU est nécessaire avant toute attaque en Irak... [1]

Les gens se rendent compte aussi de l'amalgame "gens du pouvoir-capitalistes", par la transparence de l'influence de l'industrie pétrolière sur la décision américo-britannique d'attaquer l'Irak. Ils comprennent que tout ce qui compte pour les supposés dirigeants démocratiques est la voix des maîtres capitalistes, et non celle du peuple comme le mot démocratie le sous-entend. Ils sont éblouis par l'immoralité du pouvoir capitaliste, qui est prêt à tuer des millions d'Iraquiens pour avoir du pétrole moins cher.

Les gens se rendent aussi compte qu'ils se font constamment manipuler par le pouvoir, qu'il soit démocratique ou dictatorial. Ils sont stupéfiés par les techniques de manipulation - pensons seulement au fameux document de l'intelligence britannique plagié sur, entre autres, un article d'un assistant de recherche datant d'une douzaine d'années [2]- que leurs élus n'hésitent pas à utiliser pour rallier l'opinion publique à leurs desseins capitalistes, plutôt que d'écouter la voix du peuple comme le voudrait le principe démocratique.

Les gens se rendent compte que l'éducation capitaliste les abrutit à un point tel qu'il faut des événements scandaleux comme cette guerre pour qu'ils sortent de leur torpeur et aperçoivent la stupidité du système sociétaire. Ils perçoivent, en observant le comportement des maîtres capitalistes, le résultat de l'éducation promue par la société : une mentalité de compétition, purement individualiste, égoïste et immorale ; seuls le profit, les intérêts personnels et le pouvoir sont importants. La vie de millions d'Iraquiens ne pèsent rien dans la balance du profit capitaliste et du pouvoir pseudo-démocratique. Ils comprennent enfin que les seules libertés du peuple dans le système actuel sont celles de compétitionner avec tous ses frères humains, de consommer, d'acheter et de voter entre quelques partis représentant un spectre très étroit des opinions politiques, et ce, seulement à tous les quatre ans. Ils saisissent que la solidarité, la fraternité et la véritable liberté individuelle et sociale ne font pas partie du système hiérarchique capitaliste ; elles sont même enrayées dès le départ par la mentalité capitaliste du "Il faut se battre dans la vie pour survivre".

En outre, les gens prennent conscience de la puissance destructrice du nationalisme, avec la montée du sentiment patriotique américain. Ils réussissent à différencier nationalisme et culture, et à associer plusieurs maux de la société à leur source nationaliste. Ils saisissent que la majorité des guerres de l'Histoire se fondent sur des excès nationalistes et capitalistes. Ils se rendent compte aussi de la futilité de la notion de nationalisme (la patrie ? le drapeau ? l'hymne national ? le territoire ? - la Terre appartient à tous à ce que je sache !) et de la haine artificielle et la division du peuple qu'il promeut - pensons seulement à Israël et la Palestine...

De plus, les gens prennent conscience que le problème n'est pas seulement Bush ou Blair comme tel, mais le système que nous acceptons qui leur donne l'immense pouvoir de déclarer la guerre en notre nom. Tout comme le problème n'est pas seulement le maître capitaliste milliardaire, mais le fait que nous acceptions qu'il s'enrichisse en exploitant le labeur de la majorité de la population. Ainsi, les gens comprennent qu'il ne faut pas prôner la haine, que ce soit la haine des Américains ou la haine des Arabes, mais qu'il faut plutôt combattre le système qui donne le droit à des monstres avides de profit et de pouvoir de prendre des décisions de grande envergure au nom du peuple, sans son consentement. Tout comme il faut combattre l'absence de moralité de la société qui les mène à prendre de telles décisions complètement immorales, mais aussi la cause de cette absence de moralité, l'éducation capitaliste que l'on reçoit, son individualisme extrême et sa négation de la solidarité et de la coopération. Et tout comme les gens saisissent qu'il ne faut pas personnifier les causes des problèmes, ils comprennent qu'on ne peut pas non plus personnifier les solutions, et donc que l'édification d'une société libre et égalitaire se fera par l'ensemble de la population, et non pas par un leader-Sauveur qui prendra contrôle du système social.

Dans la même veine, ils se rendent compte que la reconstruction ne passera pas par la mise en place de nouvelles Vérités, d'un nouveau dogmatisme, d'un nouveau système social élitiste. Mais plutôt que le seul moyen d'édifier cette société libre et égalitaire est de donner à chacun et à tous les moyens et la possibilité d'interpréter, de choisir et d'agir en conséquence, hors de toute détermination extérieure non-désirée et régimes préconçus. Il est inutile de remplacer un pouvoir par un autre pouvoir ; il faut enrayer le pouvoir et redonner à chacun sa liberté personnelle et sociale. En ce sens, ils conçoivent qu'ils ne doivent pas à leur tour imposer leur vue à leurs confrères humains, mais que leur rôle se limite à donner des conseils, à organiser, à mettre sur pied des initiatives populaires et à donner constamment l'exemple du principe d'égalité qu'ils préconisent : "ne jamais faire aux autres ce qu'on ne voudrait pas qu'ils nous fassent".

Bref, c'est dans ces moments enrageants de l'Histoire que les gens se rendent compte que le capitalisme et la hiérarchisation du pouvoir doivent être enrayés de la société humaine une fois pour toutes. C'est dans ces moments que le peuple prend conscience de la stupidité du système qui l'entoure et qu'il se met à réfléchir au futur de la race humaine, qui ne peut passer que par une restructuration complète de la société basée sur les mouvements sociaux et sur les valeurs morales à la base de la société humaine : liberté, solidarité, démocratie, égalité, fraternité.

C'est pour toutes ces raisons que je crois que le mouvement contre la guerre est d'une importance capitale. Non pas parce que j'ai espoir d'arrêter l'impulsion impérialiste et capitaliste américaine qui mènera à l'attaque fatale, que l'on sait déjà bien au-delà de l'opinion du peuple (elle ne s'en préoccupe que pour manipuler son consentement), mais parce que j'ai espoir que le peuple profitera de cette intransigeance absurde pour sortir de sa torpeur et commencer cette reconstruction de la société tant nécessaire à la survie de la race humaine. C'est aussi parce que j'ai confiance en chacun de vous et que je crois fermement au potentiel des gens de réfléchir et de dépasser les barrières imposées par l'éducation capitaliste. Et c'est parce que je vois en cette mobilisation colossale l'espoir d'un monde meilleur, d'où seront enrayés le capitalisme et le pouvoir, et où l'égalité et la liberté permettront à chacun de développer son plein potentiel et de grandir en toute solidarité et harmonie.

Levons-nous, organisons-nous et démontrons notre mécontentement ! Aujourd'hui, oui, mais demain aussi, avec toujours le même but : construire ce monde meilleur, libertaire et égalitaire, qui assurera à nos prochains une pleine liberté, un environnement sain et une société humaine fraternelle et solidaire.


Références : [1] http://www.globalpolicy.org/ngos/advocacy/protest/iraq/2003/0121uk.htm

[2] http://www.guardian.co.uk/Iraq/Story/0,2763,890916,00.html

Tiré du média libre ZOMBIE - Zone Ouverte de Mobilisation pour Briser les Inégalité et Exclusions, http://zombie.lautre.net