USA: des étudiants soldats en armes sur les campus ! by Benjamin Pestieau Friday February 14, 2003 at 12:33 AM |
«Aux cours ou au resto, je croise des régiments d'étudiants soldats, en armes et uniforme», m'explique Pierre, qui étudie aux USA. J'ai voulu en savoir plus: longue discussion avec Pierre et cap sur internet. Le résultat est édifiant...
Ces étudiants soldats qu'on rencontre dans les universités des Etats-Unis appartiennent aux ROTC, les Army Reserve Officer's Training Corps. Il s'agit d'officiers en formation de l'armée US (de terre, de l'air ou marine). Celle-ci propose aux meilleurs candidats, sur base d'une sélection poussée, une formation entièrement gratuite dans plus de 600 écoles supérieures ou universités. L'armée paie tout pour ses ROTC: le minerval (autour de 20.000 euros aux USA), les livres, le logement et, en plus de cela, un salaire étudiant mensuel allant de 250 à 400 dollars (autant en euros). En échange, l'étudiant doit suivre à mi-temps une formation militaire, d'abord sur le campus de l'université, puis dans une base de l'armée.
«Moi je paie 20.000 dollars de minerval, m'explique Pierre. Heureusement, j'ai une bourse. Et je ne suis pas dans une université de top niveau, où les droits d'inscription annuels avoisinent les 50.000 dollars! Aux USA, l'université est inabordable si tu n'as pas de bourse. Et comme il n'y en a pas du tout assez, beaucoup de jeunes se tournent vers l'armée.» Sur le site des ROTC de la prestigieuse université de Cornell, on peut d'ailleurs lire: «Les ROTC constitue le seul moyen d'avoir une aide financière, basée sur le mérite, pour étudier à Cornell.»
Endoctrinement intensif
Un salaire étudiant? Impossible! L'enseignement gratuit? Impossible! Voilà ce qu'on entend parfois dans le mouvement étudiant. L'exemple des ROTC montre que lorsqu'un Etat capitaliste a besoin de quelque chose (ici des officiers en nombre pour son armée), l'impossible se réalise. Mais on n'apprend pas ce qu'on veut chez les ROTC. «Pourquoi étudier chez les ROTC à Cornell? explique un des sites locaux de ce corps. Parce que la liberté n'est pas gratuite. C'est un privilège de vivre aux Etats-Unis d'Amérique. (...) Aucune autre profession n'offre le privilège et l'honneur grandioses de défendre notre nation.» Des mots manquent toutefois à cette perle pour lui donner son véritable sens: «C'est un privilège de vivre aux USA lorsque vous êtes milliardaires. Dans ce cas, tout vous est permis. Aucun autre métier n'offre la possibilité de défendre au mieux les intérêts de ces quelques milliardaires du pétrole et de l'armement!»
«Les cours donnés aux ROTC vous apprennent comment réussir dans un monde compétitif, aussi bien pendant vos études qu'au-delà», lit-on encore sur internet (1). Effectivement, il vaut mieux être compétitif pour survivre dans ce pays qui ne laisse pas de place aux malades sans argent, aux travailleurs, aux chômeurs. Cela doit certainement être un atout d'être «compétitif» et sans remords dans sa réussite personnelle. Ce genre de citation contraste profondément avec ce que j'ai appris sur l'armée du Vietnam, où je me suis rendu l'été passé (2). L'armée n'y est pas une armée pour l'élite, mais une véritable armée populaire. Elle s'est formée dans la guerre de libération contre les USA et développe un esprit collectif, d'aide à la population. Par exemple, j'ai vu plusieurs fois des soldats aidant à la construction de routes. Et j'ai assisté à une représentation culturelle organisée par l'armée dans un village reculé du pays.
La dictature sur les campus
La présence des étudiants soldats aux Etats-Unis n'est pas sans conséquence pour la vie des campus même. Les universités font tout pour attirer l'armée et les ROTC dans leurs installations. C'est une grande source de revenus. Tout leur est permis.
«Un jour, raconte Pierre, un professeur de mon université distribuait des tracts de mobilisation pour une manifestation contre la guerre que veut mener Bush contre l'Irak. C'était pour la grande manifestation de Washington en septembre. Elle s'est fait rapidement molester par des ROTC. Il y a eu des bousculades. La police a été appelée et... c'est le professeur qui s'est fait embarquer! Elle n'a plus jamais distribué de tract.» Un autre exemple lui revient: «Le cercle des étudiants musulmans a recueilli quelques centaines de signatures sur le campus pour empêcher que l'université ne collabore avec le FBI, qui réclame le fichier détaillé de l'université et plus précisément des étudiants d'origine arabe ou musulmane. Un joli succès pour une petite université comme la mienne. Mais tout s'est fait en cachette, il n'y a jamais eu de récoltes publiques de signatures. C'est trop dangereux.»
L'arbre qui cache la forêt
La présence des ROTC dans les facs US n'est qu'un élément de la militarisation de l'enseignement aux Etats-Unis. Dans ce pays, l'enseignement supérieur constitue un grand marché. La concurrence, la compétition y est totale. Chaque fac tente tout pour attirer un maximum d'argent et être ainsi compétitive. Les facs dépendent beaucoup de fonds non publics. Ceux-ci sont de deux ordres: les droits d'inscription des étudiants et les contrats de recherche. Les facs qui sont moins compétitives attireront moins d'étudiant (fortunés) et moins de contrats de recherche. Elles seront vouées à être des universités de bas de gamme. C'est en fait, poussé à son terme, le processus de Bologne (entamé en 1999 pour réformer l'enseignement supérieur européen et en faire un marché concurrentiel à l'échelle du continent).
L'armée US, qui ne manque pas de moyens, est une grande source de revenus sur les deux tableaux: en plus de fournir des bataillons d'étudiants à des centaines d'universités, elle fournit également de gros contrats de recherche. Par exemple, la prestigieuse université de Berkeley (Californie) a reçu pour plus de 80 millions de dollars de contrats de recherche de la part du ministère de la Défense, de l'Intérieur et de la Nasa (aérospatial). C'est 20 millions de plus qu'en 1999 et cette seule contribution correspond à plus de 70% de tout le budget consacré à la recheche dans une université comme l'ULB.
(1) http://www.armyrotc.com (2) J'ai fait partie d'une délégation de 90 jeunes qui s'est rendue au Vietnam pendant 3 semaines pour y faire du travail volontaire et découvrir le pays.
.