arch/ive/ief (2000 - 2005)

La guerre d'Irak et la crise d'hégémonie des Etats-Unis
by G. Buster Sunday February 02, 2003 at 11:54 AM
sap-pos@freegates.be 02/523.40.23 29 rue Plantin, 1070 Bruxelles

A mesure que l'on s'approche du 27 janvier, date à laquelle le Conseil de Sécurité des Nations Unies devra discuter du rapport des inspecteurs qui recherchent des armes des de destruction massive en Irak, deux tendances contradictoires semblent se dessiner.

A mesure que l'on s'approche du 27 janvier, date à laquelle le Conseil de Sécurité des Nations Unies devra discuter du rapport des inspecteurs qui recherchent des armes des de destruction massive en Irak, deux tendances contradictoires semblent se dessiner. D'une part, l'Administration Bush augmente la pression pour une intervention militaire: en accélérant le déploiement de forces dans le Golfe; en remettant en question le travail des inspections et la coopération irakienne et en forçant diplomatiquement la constitution d'une coalition contre l'Irak avec l'argument que l'agression est décidée et que seuls leurs véritables alliés participeront au partage du butin.

D'autre part, la position de l'Administration Bush s'affaiblit. Malgré ses critiques, le travail des inspecteurs a été défendu par le Secrétaire général de l'ONU et par le reste des membres du Conseil de Sécurité (CS). Du fait de l'absence de preuves sur l'existence d'armes de destruction de masse, il est très difficile pour le CS d'appuyer sans hésiter les certitudes infondées de Washington.

De même que l'approbation de la résolution 1441 en novembre dernier a supposé un important effort diplomatique des Etats-Unis - qui a profité à Powell face à Cheney-Rumsfeld - il est plus que prévisible que la réunion du CS du 27 janvier voit se répéter un scénario de résistances plus ou moins ouvertes, de négociations secrètes et de propositions, non seulement de la part des membres permanents mais également des autres qui le composent, afin de donner plus de temps aux inspecteurs.

Ainsi, l'Administration Bush ne perd pas seulement un temps précieux pour ses plans de guerre mais devra également conditionner en partie ces derniers en prenant en compte quelques unes des exigences de ses possibles alliés dans la coalition et surtout, cela va permettre le développement d'un mouvement contre la guerre dans toutes les rues de la planète, à commencer par celles des Etats-Unis.

L'argument en faveur de la guerre est celui de la nécessité de forger un monde plus sûr, libéré de la menace « terroriste » - qui pourrait obtenir des armes de destruction massive en Irak - et du danger de déstabilisation géogstratégique que suppose l'existence du régime de Saddam Hussein. Mais c'est depuis les déclarations de Bush sur son intention d'en finir avec le régime irakien que le Moyen-Orient s'est transformé en un poudrière. La politique de l'Administration Bush a servi de justification à Sharon pour en finir, dans la pratique, avec l'Autorité Palestinienne et pour se préparer à expulser des Territoires occupés des dizaines de milliers de Palestiniens dès le début des premiers bombardements étasuniens. Cette agression militaire étasunienne brisera de manière définitive l'équilibre des forces établi dans la région après les guerres Iran-Irak et du Golfe, ce qui affectera profondément les intérêts à long terme de tous les Etats et gouvernements de la zone et les obligera à prendre des mesures préventives.

Ces derniers mois ont également démontré qu'il n'existe aucun plan réaliste de reconstruction de l'Irak. Les tentatives de réunir l'opposition irakienne, tout d'abord par la CIA et ensuite par Tony Blair, ont mis en lumière la faiblesse et la corruption de cette opposition. L'objectif d'éviter la partition du pays - dans le but de maintenir l'équilibre géostratégique que l'intervention US va elle-même briser - ne pourra être atteint, selon Condoleeza Rice, qu'avec la création d'un protectorat étasunien avec un général US à sa tête et épaulé par une administration civile désignée par le Conseil de Sécurité. L'échec de la reconstruction de l'Afghanistan - qui est de nouveau aux mains de « Seigneurs de la guerre » financés par le narco-trafic - est un exemple trop récent que pour croire que les Etats-Unis parviendront à faire mieux en Irak, où les dimensions du problème et ses implications géostratégiques sont beaucoup plus élevées. L'Union européenne, quant à elle, ne semble en tous les cas pas capable, ni disposée d'ailleurs, à assumer le poids de la facture d'une telle tâche.

Les conséquences de la guerre contre l'Irak seront donc une instabilité internationale majeure et encore plus de terrorisme. Et en vérité, c'est déjà le cas. Les implications du contrôle des plus grandes réserves pétrolières après l'Arabie Saoudite sont tellement directes qu'elle affectent toutes les puissances. En pleine récession économique, la montée des prix du pétrole jusqu'à 40 dollars le baril au moment où éclatera la guerre sera un cauchemar pour les pays consommateurs. La situation au Venezuela, avec comme arrière-fond la privatisation de son entreprise pétrolière nationale au cas où le gouvernement Chavez serait renversé, est une autre scène du même scénario de repartage des ressources dans lequel participent non seulement l'Administration Bush, étroitement lié à l'industrie pétrolière, mais également la nouvelle oligarchie russe et les grandes compagnies pétrolières de l'UE et du Japon. Une victime supplémentaire de ce conflit sera l'OPEP.

Le récent bras de fer diplomatique avec la Corée du Nord a affaiblit encore plus la position de l'Administration Bush. A la différence de Saddam Hussein, Kim Jong Il a publiquement annoncé la remise en marche de son programme nucléaire. Et cela en réaction au fait que les Etats-Unis n'avaient pas accomplis leurs engagements de 1994 de fournir une aide en énergie substitutive et face à la menace d'une intervention militaire préventive telle qu'elle est inscrite dans la nouvelle stratégie militaire étasunienne.

A partir de la position de force que lui permet la possession de missiles nucléaires, la Corée du Nord a vu sa position diplomatique renforcée suite à la médiation de la Russie, de la Chine, du Japon et de la Corée du Sud elle-même, tandis que Washington devait se résigner à une politique de contention diplomatique. Cela démontre que le problème patent de Saddam Hussein n'est pas qu'il possède des armes de destruction massive comme la Corée du Nord, mais tout bonnement qu'il n'en n'a pas, ce qui l'empêche de jouer sur la même logique de chantage nucléaire que Kim Jong Il.

Cependant, le principal problème très pragmatique et brûlant qu'affronte l'Administration Bush est d'une nature très différente. Bush pourrait-il être réélu président des Etats-Unis si Saddam Hussein est toujours au pouvoir en 2004? La présidence de Bush, obtenue au milieu d'un scandale électoral et avec moins de voix que son rival Gore, s'est révélée n'être qu'un exercice d'affirmation impérialiste après le 11 septembre face à une situation géostratégique sans cesse plus complexe et instable et face à une récession économique sans issue visible. A mesure que les fuites en avant de l'Administration Bush se sont faites de plus en plus notoires, la nécessité d'une démonstration de force est de plus en en plus urgente pour Washington, non seulement afin de rétablir la crédibilité d'une Administration incapable de capturer le Mollah Omar ou Ben Laden, de mettre à genoux Hugo Chavez ou Kim Jong Il, mais également pour assurer les propres bases sur lesquelles repose l'hégémonie internationale des Etats-Unis.

Cette hégémonie pourra-t-elle supporter qu'un débat au sein du CS de l'ONU avec ses alliés, le mouvement pour la paix dans les rues ou la simple perspective du coût élevé économique et militaire de l'intervention paralyse les préparatifs et la guerre elle-même contre l'Irak? C'est plus que douteux. De la même façon que l'Administration Bush a engagé sa propre crédibilité, seule la guerre peut rétablir son hégémonie internationale à court terme, en dépit du fait que les conséquences à moyen et long terme pourront être désastreuses.

C'est pour cela que Bush veut et a absolument besoin de cette guerre. C'est pour cela qu'il est d'autant plus important de lever le maximum d'obstacles possibles et de le faire à partir du mouvement anti-guerre avec une position indépendante, capable de comprendre la dynamique implicite de la globalisation néolibérale qui a amené cette situation géostratégique de crise de l'hégémonie US. Du résultat de cette crise dépendra directement et pour de longues années l'existence d'un cadre international dans lequel soient possibles des issues progressistes pour les luttes de résistance contre le néolibéralisme qui se tiennent partout dans le monde.