Mexique: Libre Echange, sécurité nationale & paramilitarisme by RISBAL Monday January 27, 2003 at 08:39 AM |
risbal@collectifs.net Bruxelles, Belgique |
Dans le cadre de la globalisation économique, l'Union Américaine a proposé de maintenir son leadership et de freiner le protagonisme d'autres pays qui contestent des espaces physico-économiques et culturo-symboliques du globe. Ainsi, l'approfondissement des mesures de contrôle sur les pays des Amériques s'avère indispensable pour les Etats-Unis, prioritairement sur ceux qui se trouvent au-delà du Rio Bravo, afin de maintenir leur "espace naturel d'influence".
Mexique: Libre Echange, sécurité nationale & paramilitarisme
Par Ricardo Martínez Martínez, Rebelión, 19.01.02.*
L'alibi des temps actuels
Avec la mise en œuvre de la Zone de Libre Echange des Amériques [ALCA, sigles en espagnol], les Etats-Unis cherche à consolider leur hégémonie mondiale. Cet objectif nécessite - vu les conditions actuelles de rivalité mondiale entre des États ou des blocs puissants - de contrôler l'approvisionnement régional du pétrole, de maintenir liés à son économie les marchés de consommation industrielle, technologique, et domestique latino-américains; de s'approprier les réserves naturelles et les "poumons" biologiques de la zone; et, principalement, de maintenir captif le "capital humain", potentiellement nécessaire aux mégaprojets d'industries assembleuses et maquiladoras. À cet effet, Washington accélère des accords régionaux de libre échange (le Chili et le Salvador) et de sécurité (Colombie et Équateur) après avoir fait des pas de géant dans la même direction avec l'Accord de Libre Echange Nord-Américain (ALENA), lequel est entré en vigueur le 1er janvier 1994 et pour son chapitre agricole le premier de l'an 2003.
Avec la signature de l'accord de libre échange entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, les objectifs prioritaires de Washington sont au nombre de trois: 1) fortifier les mécanismes de dépendance-subordination économique, prioritairement avec le Mexique; 2) consolider le plan politique stratégique nord-américain et 3) assurer l'intégration des armées dans l'orbite du Pentagone.
C'est ainsi que furent établies les bases et la force d'attraction des pays latino-américains pour les Etats Unis. L'ALENA a été la mesure la plus importante de la relance de la politique expansionniste, de la carotte et du bâton, de l'Union Américaine pour les pays latins du continent.
Déjà, en 1993, James Jones, ex-ambassadeur dans notre pays, révéla le sens du traité. "L'ALENA est beaucoup plus que cela (un accord commercial): je crois que c'est la plus importante mesure géopolitique de ces temps ... En parlant vrai, notre décision sur l'ALENA représente une stratégie extraordinaire pour les Etats-Unis", (extrait de Sécurité Nationale mexicaine dans l'après-guerre froide, John Saxe Fernández).
Avec la déclaration de cet ex-diplomate ont été mis en évidence les intentions de tout un projet de domination continentale et ainsi d'une nouvelle zone d'exclusivité géopolitique hémisphérique.
Panaméricanisme et Sécurité Nationale
Dans le cadre de la globalisation économique, l'Union Américaine a proposé de maintenir son leadership et de freiner le protagonisme d'autres pays qui contestent des espaces physico-économiques et culturo-symboliques du globe. Ainsi, l'approfondissement des mesures de contrôle sur les pays des Amériques s'avère indispensable pour les Etats-Unis, prioritairement sur ceux qui se trouvent au-delà du Rio Bravo, afin de maintenir leur "espace naturel d'influence".
En 1991, les spécialistes George Friedman et Meredith Lebard ont signalé dans la publication The Coming War With Japan (la Guerre que vient avec le Japon) quelques éléments articulateurs des nécessités géopolitiques étasuniennes. À savoir, que l'armée des Etats-Unis doit complètement dominer l'Amérique du Nord; qu'aucune autre puissance ou groupe de puissances doivent exister sur l'hémisphère avec des capacités pouvant mettre en question l'hégémonie des Etats-Unis; qu'aucune nation d'Euro-Asie ne doit concurrencer la domination étasunienne sur les océans.
L'idée de Jefferson et de Monroe de défendre l'"espace vital" du pays justifie l'intromission de ses organes de sécurité dans les pays d'Amérique latine. La CIA et le Pentagone ont influencé, depuis longtemps, leurs activités militaires. Nous assistons actuellement à la formation de corps d'élite, à la collaboration anti-narcotique et contre-insurrectionnelle en Colombie, en Argentine et au Mexique.
L'étape historique que nous vivons aujourd'hui est marquée constamment par la lutte pour des espaces géographico-économiques, et pour la domination financière, politique, psychologique, scientifique et militaire. De là l'orientation des nouvelles politiques extérieures des Etats-Unis pour complèter un "bloc américain" qui permette de conquérir l'hégémonie globale, sous prétexte de l'existence d'ennemis "terroristes" ou de "cancers sociaux".
Dans le domaine militaire, les Etats-Unis cherchent à rééditer la thèse monroeiste et de la Sécurité Nationale panaméricaine. Bien que la "menace rouge" des pays dits socialistes n'existent plus, ce qui décide des différences politiques, conceptuelles et pragmatiques dans l'exécution diplomatique, coercitive ou clandestine de la guerre contre "l'ennemi", l'actuelle situation introduit des éléments de violences institutionnelle et clandestine formulées depuis les écoles étasuniennes d'endoctrinement militaire dans le but d'en finir avec l'"ennemi interne" et ses alliés (indirects) qui défient leur suprématie.
S'il y a longtemps, les postulats stratégiques de la Sécurité Nationale ont été appliqués dans un contexte politique et économique mondial spécifique, ils renaissent aujourd'hui adaptés à l'actuelle situation, représentant, même, la séquelle logique de la domination. Pendant les années 70 et 80, dans les pays latino-américains, la doctrine est érigée sur base de la guerre totale et permanente, atemporelle et supra-classiste avec pour objectif, d'une part, de maintenir la "discipline sociale" et la politique de fer de l'Unité Nationale, et d'autre part, comme l'a dit en 1994 Josés Luis Piñeyro dans Géopolitique et Sécurité Nationale en Amérique latine, l'existence d'une élite dirigeante, conductrice du projet national. "l'État... c'est tout et qui représente les intérêts de toute la population, de toute la nation. Les manifestations pathologiques, d'infirmité qui apparaissent dans le corps social national, il faut les extirper immédiatement, les opérer comme étant un cancer social."
Cette base idéologique continue à être maintenue, en essence, mais l'ennemi à mettre en échec ou à neutraliser n'est plus le communisme national et international mais l'adversaire qui contamine le corps social dans le cadre d'une situation économique en crise : à savoir les acteurs populaires revendicatifs ou révolutionnaires comme l'EZLN au Mexique, l'ELN et les FARC en Colombie, les piqueteros en Argentine, etc, mais aussi le "développement-alisme" de gouvernements constitutionnels comme celui de Hugo Chávez au Venezuela.
La stratégie du panaméricanisme ou l'intégration des mesures de sécurité dans le continent est minutieusement dessinée au Pentagone et dans ses écoles de formation militaire. "Les gouvernements de Bush père et de Clinton ont promu via le Pentagone un panaméricanisme militaire, en réussissant à incorporer le Conseil Interaméricain de Défense [JID, sigles en espagnol] comme un organisme consultatif de l'Organisation des États Américains (OEA). Dans ce contexte les Etats-Unis ont augmenté de manière remarquable leur présence militaire en Amérique latine au cours des dernières années, en fonction d'un plan conçu à Washington par l'École de Guerre, en novembre 1991", signale Carlos Fazio dans le El Tercer Vínculo, de la Teoría del Caos a la Teoría de la Militarización.
Actuellement, Bush junior approfondit la politique de ses prédécesseurs et avec le prétexte de la guerre contre le terrorisme, applique des politiques unilatérales de sécurité globale qui passent nécessairement par les pays latino-américains.
Après les événements du 11 septembre le 2001, les effectifs militaires étasuniens ont augmenté dans les bases situées dans les Antilles néerlandaises, à Comalapsa au Salvador et à Manta en l'Équateur. Le résultat: permettre aux militaires des Etats-Unis de contrôler la région andine et de coordonner la guerre du gouvernement colombien contre les guérillas du FARC et l'ELN.
Le gouvernement de George Bush a menacé, sous le prétexte d'avoir trouvé une zone de refuge de terroristes islamiques dans le Cône Sud, de mettre en place de nouvelles enclaves guerrières dans la zone connue comme "la triple frontière", région entre l'Argentine, le Brésil et l'Uruguay.
La Guerre de Basse Intensité et les lords de la terreur dans le sud-est mexicain.
La directive de base "de la nouvelle guerre totale" livrée contre le "cancer social" est renforcée depuis les années ‘80, quand furent mises en œuvre les actions clandestines des escadrons de la mort paramilitaires contre la révolte civile et armée en Amérique Centrale. La typologie, dégagée des manuels de l'École des Amériques qui a été fondée en 1946, est la Guerre de Basse Intensité (GBI). Cette directive combine des tâches de renseignement, d'actions civiques, de guerre psychologique, de contrôle de populations et d'actions armées menés par des groupes illégaux liés le pouvoir gouvernemental.
L'actuelle présence et les actions des groupes paramilitaires dans l'état du Chiapas ont lieu dans un cadre correspondant à une stratégie géopolitique. L'objectif est de maintenir le contrôle social par des moyens militaires, par la combinaison d'activités de surface des forces armées régulières et d'actions clandestines menées par des forces irrégulières.
"Dans une des phases de la guerre de contre-insurrection, afin d'éviter le discrédit des militaires ou face à leur incapacité de venir à bout des mouvements armés, les gouvernements destinent leurs ressources à la formation d'une quatrième force armée irrégulière... pouvant exercer la violence étatique sans les limitations que la loi impose", a indiqué dans un article de la revue Memoria l'ex-membre de la Commission de Concorde et de Pacification (COCOPA), Gilberto López y Rivas.
L'ex-député fédéral a signalé aussi : "le paramilitarisme n'est pas défini seulement par la similitude de missions ou l'organisation, mais parce qu'il commence par une délégation de la force punitive de l'État... Au Mexique, cette délégation de fonctions est directement provenu de l'Armée..."
Dans les manuels de contre-insurrection étasuniens, le paramilitarisme est conceptualisé ainsi: "La force paramilitaire est organisée pour l'autodéfense ... Ils opèrent dans leur lieux d'origine. Ils peuvent être à temps complet ou à temps partiel, suivant la situation. Ils combinent des capacités d'infanterie de base avec des techniques policières. Ils aident les forces de l'ordre, y compris dans la recherche d'infrastructure des insurgés. Ils fournissent aussi une défense locale contre les forces insurgées. Avec la police, ils séparent les insurgés du peuple afin d'éviter que ceux-là puissent mobiliser des forces et des ressources .Les forces armées régulières sont le principal garant derrière lequel le développement politique et socio-économique suit son cours. Sa fonction primaire est de protéger les forces gouvernementales, policières et paramilitaires devant les forces insurgées." (Field Manual 100-20 "Stability and Support Operations", Chapter 6. Foreign Internal Conflicts" United States Army Command and General Staff College, Fort Leavenworth, Kansas, 1997.) (Darrin Wodd, Masiosare, La Jornada, 11 janvier 1998)
Pour leur part, des organismes de droits humains dans notre pays indiquent que le paramilitarisme a comme base l'illégalité et la génération de la terreur. "Pour le Centre de droits humains (Fray Bartolomé de Las Casas), nous avons défini les groupes paramilitaires comme organisations illégales de personnes qui utilisent la violence et la terreur pour affaiblir l'opposition armée et civile et ils le font en étant soutenus par des agents de l'État à travers des appuis économiques, militaires, de l'entraînement, de la protection et l'impunité." Dans l'Etat du Chiapas, les groupes paramilitaires opèrent dans les régions où est présent l'EZLN, dénonce l'organisation civile, et elle cite : "ces groupes ont une logique de contre-insurrection. Une des formes de la contre-insurrection qui sont appliquées tant au Chiapas qu'en Amérique latine, est la GBI, stratégie créée aux Etats-Unis et qui a quatre objectifs: isoler, user, diviser et désorganiser les mouvements sociaux à travers la peur, la tension, la confusion et la confrontation des familles et les communautés".
Dans le rapport sur les forces armées que a rendu un groupe de députés fédéraux en 1999, on indique que la doctrine étasunienne, laquelle se base sur l'existence de groupes illégaux paramilitaires, a été adoptée au Mexique. Dans un des deux volumes du Manuel de Guerre Irrégulière (MGI), publiés par le Secrétariat de la Défense Nationale, sont spécifiées les Opérations de Contre-Guérillas et de Restauration de l'Ordre, où dans lesquelles apparaissent à la lumière du jour l'existence de groupes paramilitaires soutenant activement le gouvernement étatique et fédéral dans la GBI.
Les prémisses de la guerre irrégulière - selon le rapport des députés – utilisent le personnel civil militarisé comme moyen fondamental: il est dirigé, formé et coordonné par le commandant militaire du secteur; il soutient les arrières-gardes; il sert d'informateur via des récompenses ou des organisations secrètes d'information; il sert de guide de troupes, camouflé ou uniformisé comme militaire.
Selon le MGI, la population civile peut servir dans la guerre. "Le commandant (militaire) du théâtre d'opération devra employer la population civile pour localiser, harceler et détruire les forces ennemies. Le contrôle de la population civile dose la labeur sociale, le rationnement tactique de médicaments et vivres, l'isolement de bases occultes d'appui, organise des comités, interdit des réunions, effectue des recherches chroniques, et restreint des mouvements via le contrôle d'identité et, éventuellement, des couvre-feu."
Pendant la gestion de trois années du général Mario Renán Castillo à la tête de la Septième Région Militaire, l'application de la doctrine de contre-insurrection a été mise en évidence. Au moins six groupes paramilitaires ont été fortifiés dans la zone nord et les Altos du Chiapas, dont Máscara Rojo (Masque Rouge), groupe paramilitaire qui a perpétré le massacre de 45 indigènes le 22 décembre 1997 dans la Communauté d'Acteal, commune de Chenalhó.
Mario Renán Castillo a été le coordinateur général d'inspection et de contrôle de l'Armée et de la Force Aérienne; il vient du Centre d'Entraînement de Guerre Psychologique, d'Opérations Spéciales et de Forces Spéciales de Fort Bragg, Caroline du Nord, où on dispense des cours de contre-insurrection et de GBI. Renán Castillo a été le stratège de l'offensive contre l'EZLN en février 1995. (Masiosare, la Jornada)
"Un autre indice de la complicité présumée entre militaires et paramilitaires est la présence d'éléments militaires à la direction de forces policières au Chiapas, comme cela a été le cas du général brigadier Julio Cesar Santiago Díaz, qui au moment du massacre d'Acteal occupait le poste de directeur de la Police Auxiliaire et chef des assesseurs de la coordination de Sécurité Publique de l'Etat du Chiapas et une enquête préalable a été ouverte contre lui comme responsable présumé des infractions, homicides et lésions par omission", indique le rapport des députés.
Les groupes paramilitaires sont une force contre-insurgée active au Chiapas. Tandis que l'Armée dévoile sa force de retenue passive, les paramilitaires se consacrent au harcèlement avec des actions armées contre les bases d'appui zapatistes, les leaders paysans, les évêques et prêtres du Diocèse de San Cristóbal de La Casas. Cette scène suppose l'application d'une tactique militaire de contre-guérilla connue comme l'"Enclume et Marteau", laquelle consiste à ce que l'armée et les institutions policières adoptent des fonctions de forces de retenue (enclume) permettant aux groupes paramilitaires d'agir comme un marteau-piqueur (marteau) contre l'EZLN et ses sympathisants.
Des représentants du Comité de droits humains Fray Pedro Lorenzo de la Nada ont dénoncé en août 2001, pendant le cycle de conférences " la Militarisation, le Conflit Armé et son Entrampa ", que, dans la communauté de Monte Líbano, un campement militaire a été installé afin de contenir l'influence de l'EZLN.
"Nous avons des rapports sur des groupes de soldats, de 30 à 50, portant des shorts, des chemisettes de sport qui sortent en courrant en formation avec leurs armes près des maisons des familles de bases d'appui zapatistes. Là, ils arrêtent et commencent à faire des exercices, ils disent des consignes qu'ils vont tuer les zapatistes, qu'ils vont boire leur sang, et qui ne restera pas de traces d'eux au Chiapas."
Ces mesures de contre-insurrection décrites ont été appliquées au Guatemala, au Salvador et au Nicaragua avec comme résultat une véritable catastrophe humanitaire : des milliers de déplacés de guerre, un génocide, des famines, des anéantissements sélectifs, des persécutions et des assassinats.
*Traduction (esp-fr) : Frédéric Lévêque, pour RISBAL.
© COPYLEFT REBELION 2003