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Folie néolibérale en Colombie
by RISBAL Monday January 27, 2003 at 08:22 AM
risbal@collectifs.net Bruxelles, Belgique

Pourquoi la Colombie a-t-elle accepté de mener de profondes réformes économiques d'austérité, touchant la majorité des Colombiens, en échange d'un prêt dont elle n'a pas vraiment besoin? La réponse se situe dans le rapport militaire et économique complexe qui existe entre Washington et Bogotá.

Folie néolibérale en Colombie

Par Gary Leech, Colombia Report, 20.01.03.

La semaine dernière, le Fonds Monétaire International (FMI) a accepté d'octroyer à la Colombie $2.1 milliards pour les deux prochaines années aussi longtemps que l'administration Uribe respecte l'ordre du jour économique mis en avant par l'institution internationale. Cet ordre du jour comprend la privatisation d'une des plus grandes banques du pays, Bancafe, la réforme du système des pensions et le licenciement de dizaines de milliers de fonctionnaires publics afin de surmonter le déficit budgétaire.


Tout en annonçant le nouvel accord, les fonctionnaires de FMI ont indiqué clairement qu'ils ne s'attendent pas à ce que la Colombie emploie cet argent, que le prêteur international classifie comme un "stand-by loan" (prêt de réserve). En d'autres termes, la Colombie s'est vue accorder une ligne de crédit de $2.1 milliards - dont $264 millions disponibles immédiatement – qu'elle peut utiliser en cas d'urgence économique. Tout ceci nous amène à nous poser une question: Pourquoi la Colombie a-t-elle accepté de mener de profondes réformes économiques d'austérité, touchant la majorité des Colombiens, en échange d'un prêt dont elle n'a pas vraiment besoin? La réponse se situe dans le rapport militaire et économique complexe qui existe entre Washington et Bogotá.


Vers la fin des années 80, les narcotrafiquants – les leaders du cartel de Medellín en premier – lancèrent dans les villes une campagne d'attentats visant à convaincre le gouvernement colombien d'en finir avec les extraditions des seigneurs de la drogue vers les Etats-Unis où ils devaient être jugés. A l'époque, Bogotá s'était tournée vers l'administration Bush Senior afin de recevoir une aide militaire pour combattre les narcotrafiquants. Le Président Bush fut plus qu'heureux de fournir l'aide nécessaire, quoique accompagnée de certaines conditions. En échange d'une aide de $2.2 milliards (Initiative Andine), Bush exigea des réformes économiques basées sur "des politiques de marché". Peu de temps après avoir reçu l'aide, l'administration de Gaviria initia "une ouverture économique", qui permit la mise en application des politiques néolibérales réclamées par Washington.

Tandis que les fonctionnaires colombiens aiment pointer du doigt la violence comme grande responsable de la détérioration économique du pays durant la décennie passée, la faute en revient plus exactement à l'application de politiques néolibérales. Après tout, l'intensité du conflit colombien dans les années 1940 et 1950 a de loin dépassé celle des années 90, mais, pendant cette période, la Colombie a bénéficié d'une croissance économique impressionnante qui s'est poursuivie, en fait, jusqu'aux années 90, faisant de la Colombie un des pays les plus stables économiquement en Amérique latine pendant la deuxième moitié du vingtième siècle.


Mais, en 1999, l'économie colombienne est entrée dans sa plus grave récession depuis plus d'un demi-siècle. Plus inquiétant encore pour l'élite politique et économique colombienne fut la croissance de la force militaire des guérillas de gauche du pays. Pour la première fois en plus de 40 ans de lutte armée, les rebelles étaient capables de menacer sérieusement l'élite urbaine colombienne par les enlèvements et les bombardements. Et comme elle l'avait fait une décennie plus tôt, confrontée alors à la campagne urbaine d'attentats du cartel de Medellín, Bogotá s'est à nouveau tournée vers Washington pour accroître l'aide militaire afin de combattre la progression des insurgés. Les administrations de Pastrana et de Clinton ont alors conçu le Plan Colombie, faisant appel à d'importants montants d'aide étrangère afin de booster l'économie colombienne, de diminuer nettement le trafic de drogue, et d'en finir avec la guerre civile.


Le composant économique du Plan Colombie consiste simplement dans une série de mesures d'austérité imposées par le FMI. En décembre 1999, un mois seulement après que l'administration de Pastrana se soit vue accorder un prêt de $2.7 milliards par le FMI, le Président Clinton proposait à la Colombie $1.6 milliards, essentiellement sous forme d'aide militaire - dont $1.3 milliards de dollars approuvés par le Congrès en juillet 2000 faisant de la Colombie le troisième destinataire en matière d'aide militaire des Etats-Unis dans le monde, après Israël et l'Egypte. A l'instar de ce qui s'était passé dix ans plus tôt, Bogotá a adhéré à des politiques économiques qui ont favorisé les intérêts économiques des Etats-Unis et des sociétés multinationales en échange d'une aide militaire accrue servant les intérêts de l'élite politique et économique colombienne et de Washington.


Les termes du prêt accordé en 1999 par le FMI à la Colombie sont pratiquement identiques à ceux de l'accord de la semaine dernière. La Colombie a été forcée d'abaisser des tarifs douaniers, de privatiser des entités d'Etat, et de mettre en application des politiques fiscales acceptables pour le FMI. En dépit de la résistance des syndicats, des insurgés et même de la Cour constitutionnelle, Bogotá a satisfait les exigences économiques de Washington. Et en échange de l'application de ces politiques qui ont déjà échoué dans l'amélioration de la situation économique supportée par une majorité de Colombiens, Bogotá n'a pas reçu un penny du prêt de $2.7 milliards du FMI. Comme c'est le cas pour le nouveau prêt, l'argent a simplement servi de ligne de crédit inutilisée.


Les fonctionnaires de Bogotá clament que l'approbation du prêt par le FMI leur facilitera l'obtention d'environ $8 milliards de subventions par d'autres sources, comme la Banque mondiale (Bm) et la Banque interaméricaine de développement (BID). Mais ces institutions de prêt ont pourtant octroyé dans le passé des fonds à des pays sans exiger une approbation de facto par le FMI de leur réputation de solvabilité. En outre, à la différence de ce qui se passe pour un individu, la réputation de solvabilité déterminée par le FMI n'est pas basée sur un pays après l'exécution du remboursement de sa dette, mais sur la bonne volonté d'une nation à se soumettre à des mesures d'austérité néolibérales favorisant les intérêts économiques des Etats-Unis et des sociétés multinationales.


Il est tragique qu'un pays soit forcé d'abandonner son autonomie politique et économique en fonction de demandes exigeant la mise en application de politiques appauvrissant ses citoyens afin de stopper, quoique seulement temporairement, l'hémorragie économique. Et pour ajouter l'insulte aux dommages, ces politiques imposées par le FMI garantissent pratiquement que l'emprunteur soit forcé de revenir pour demander une nouvelle aumône dans un proche avenir. Mais ce qui est bien plus tragique, et absolument ridicule, est qu'un pays soit obligé de mettre en application des mesures d'austérité néolibérales plaçant son bien-être économique dans les mains de sociétés multinationales en échange de rien du tout.


Washington est parvenu à avoir sa part du gâteau et à la manger aussi. Le Président Uribe cherche désespérément l'aide militaire accrue des Etats-Unis, que Washington est plus qu'heureuse d'octroyer, particulièrement quand cette aide peut être employée comme un moyen d'obtenir les réformes économiques désirées. Comme cela a été démontré la semaine dernière, les réformes économiques ont coïncidé de nouveau avec une escalade militaire des Etats-Unis en Colombie. En vertu du nouvel accord de prêt du FMI, l'administration d'Uribe a accepté l'application de nouvelles mesures économiques d'austérité.. En même temps, Washington a expédié 70 militaires des forces spéciales de l'US Army en Colombie au nom de la guerre contre le terrorisme. En conséquence, les Etats-Unis ont réussi à augmenter nettement leur rôle militaire et économique en Colombie à la demande de cette élite politique et économique du pays, qui essaye désespérément de préserver son propre statut privilégié face à la menace croissante des insurgés.

* Traduction de l'anglais: Frédéric Lévêque, pour RISBAL.