Caterpillar: Une autre manière de négocier les conventions by Mouvement pour une Alternative Socialiste Tuesday January 14, 2003 at 11:01 PM |
Une entrevue avec Antonio Cocciolo délégué FGTB (CMB) à Caterpillar
Une entrevue avec Antonio Cocciolo délégué FGTB (CMB) à Caterpillar Gosselies |
La façon dont les directions syndicales FGTB et CSC ont négocié l'accord interprofessionnel choque beaucoup de militants syndicaux: absence de consultation de la base avant de négocier (et aussi après), black out pendant les négociations... pour apprendre en fin de compte, via la presse, qu'il n'y a quasiment rien dans l'accord. A titre de comparaison, nous avons rencontré un délégué de Caterpillar pour lui demander comment les négociations pour les conventions se passent dans son usine.
Peux-tu faire un rappel des conventions d'entreprises précédentes?
Antonio Cocciolo: En 1996 on avait un accord jusque 1999, dans le cadre du plan Mc Kie, un plan d'austérité qui imposait une réduction de la masse salariale de 360 millions de FB. Ce plan a touché l'ensemble des travailleurs, mais de manière différente: le salaire d'embauche (les jeunes) a été diminué de 9%, les travailleurs en place ont subi le gel des primes d'ancienneté. Il y a ensuite eu une convention pour 1999 et 2000. Le plan d'austérité se terminait et on a pu regagner une partie du terrain cédé. On a mis en place un mécanisme de rattrapage de la perte de 9% sur le salaire de base des jeunes embauchés (environ 30FB de l'heure).
Et après 2000?
A.C.: Nous avons tenu à scinder en deux les négociations et les conventions. Une première par-tie sur le pouvoir d'achat, la réduction du temps de travail (RTT) et des points spécifiques à l'entreprise a finalisée avant février 2001. Ensuite nous avons entamé les négociations sur une deuxième partie: la fin de carrière (prépension) et les contrats à durée déterminée (CDD). Les négociations ont duré pendant neuf mois.
Comment vous y êtes vous pris? Comment avez-vous informé et mobilisé les travailleurs?
A.C.: Compte-tenu des équipes et des bâtiments, une assemblée de l'ensemble du person-nel représente en réalité six as-semblées qui regroupent chacune de 500 à 600 travailleurs. En septembre 2001 nous avons présenté à l'assemblée notre cahier de revendications en expliquant pourquoi nous estimions important de lier la question des fins de carrière et le problème des CDD. Nous considérons qu'il faut aller à contre-courant de la politique que les gouvernements européens mettent en place pour retarder l'âge de la fin de carrière. Nous avons considéré aussi qu'il était possible de régler le problème d'une partie de travailleurs sous CDD: dès qu'un travailleur part en prépension, un travailleur sous CDD devient CDI.
Avant toute négociation, nous avons la pratique de demander à l'assemblée si la revendication est correcte, afin de vérifier si on est bien en phase avec les travailleurs. Quand on a eu le mandat des travailleurs, nous avons commencé les négociations. Dans un premier temps, la direction était intéressée par les prépensions. Mais comme l'orientation était en contradiction avec la politique des patrons à l'échelle européenne, fin 2001 la direction a fait marche arrière, probablement sous pression de Agoria (ex-Fabrimétal, l'organisation patronale de la métallurgie en Belgique).
Comment avez-vous réagi face au blocage des négociations?
A.C.: Nous avons mobilisé les travailleurs au cours d'assemblées générales en expliquant la politique des gouvernements en Europe. C'était au moment du sommet de Barcelone. Pour débloquer la situation, nous avons ensuite organisé deux fois 24 heures de grève (février et avril 2002). Après les journées de grève, nous nous sommes remis autour de la table. Nous avons pu finalement obtenir une convention, valable jusque juin 2003, qui prévoit la prépension à 55 ans pour ceux qui ont 38 ans de carrière. Les conditions financières sont celles de la Convention nationale n°17 (indemnité de chômage + la moitié de la différence entre le montant de l'indemnité de chômage et le salaire net antérieur) avec un complément Caterpillar (2.200FB nets indexés + une diminution de la quote-part du travailleur dans le financement de l'assurance médicale propre à l'entreprise).
L'important est que lors d'un départ en prépension, le travailleur qui part est remplacé, à terme, par un travailleur sous CDI. Nous demandions une convention de 10 ans pour signifier que nous voulions un accord permanent sur ce point. Nous n'avons pas gagné sur ce plan puisque la convention s'arrête en juin 2003.
Comment la suite va-t-elle se dérouler?
A.C.: Notre convention sur les salaires et sur la RTT prend fin en décembre 2002. Après l'accord interprofessionnel et les conventions de secteur, nous allons entamer les négociations pour une nouvelle convention d'entreprise 2003-2004. A cette occasion nous voulons remettre sur la table la question de la fin de carrière.
Comment vois-tu le résultat de l'accord interprofessionnel et les futures négociations au niveau de l'entreprise?
A.C.: En principe, l'accord interprofessionnel (AIC) n'est pas contraignant. En pratique les patrons vont prévoir une enveloppe financière en rapport avec l'AIC (5,4% de hausse de coût salarial réparti sur 2 ans, index compris). Si on a le rapport de forces, ou pourra dépasser ce plafond. Lors de la convention précédente nous avons obtenu 7,8% alors que le plafond était de 6,6%. Dans l'enveloppe, nous voulons améliorer le statut du prépensionné et essayer de prolonger l'accord sur les prépensions et sur la transformation des CDD en CDI. Ce problème des CDD (20% de l'ensemble des 3.100 ouvriers) est un facteur important de flexibilité qui pèse sur les conditions de travail de l'ensemble des travailleurs. L'inspection sociale a permis des dérogations à la loi et Caterpillar peut aller jusque 6 contrats de 6 mois consécutifs pour un même travailleur. Ce n'est plus de la flexibilité conjoncturelle mais structurelle. Nous sommes conscients que ce qui a été obtenu pour les CDD est une victoire partielle car quand un CDD devient CDI pour remplacer un prépensionné, un autre CDD est embauché pour remplacé le CDD devenu CDI. Dans notre micro espace, en l'absence de mobilisation d'ensemble, nous organisons la résistance. Ce sont des bagarres dures à mener car elles sont aussi idéologiques.
Propos recueillis par Guy Van Sinoy