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Pourquoi CNN et El País agressent le gouvernement vénézuélien?
by RISBAL Wednesday December 25, 2002 at 11:21 AM
risbal@collectifs.net Bruxelles, Belgique

Pourquoi CNN et El País agressent le gouvernement vénézuélien? La réponse se trouve au sein du réseau d'affaires économico-politiques du néo-colonialisme espagnol, du néo-libéralisme américain et de certaines oligarchies latino-américaines.

Pourquoi CNN et El País agressent
le gouvernement vénézuélien?

Par Heinz Dieterich Steffan, Rebelión, 23.12.02.

Trois années de guerre d’information de la chaîne de télévision étasunienne CNN et du journal espagnol El País contre le gouvernement constitutionnel de Hugo Chávez obligent à s’interroger sur les motifs de cette agression médiatique incessante. Comment explique-t-on leur attitude anti-éthique contre un des gouvernements les plus démocratiques de l'Amérique latine?

La réponse se trouve au sein du réseau d'affaires économico-politiques du néo-colonialisme espagnol, du néo-libéralisme américain et de certaines oligarchies latino-américaines. Sont en scène le magnat vénézuélien Gustavo Cisneros, l'ex-président social-démocrate vénézuélien Carlos Andres Pérez, de l’Espagne l'ex-premier ministre social-démocrate Felipe González, l'actuel premier ministre José María Aznar, le magnat Jesus de Polanco, l'ex-président argentin Carlos Saúl Menem et l'élite politique républicaine des Etats-Unis, la dynastie Bush en particulier.

Le versant européen du réseau a été établi durant les années 70, quand Felipe González était secrétaire général du Parti Socialiste Ouvrier espagnol (PSOE), et Carlos Andres Pérez président du Venezuela (1974-79). González, choisi, formé et financé par le chef de la social-démocratie allemande et de l’Internationale Socialiste (IS), Willy Brandt, pour la charge de futur premier ministre de l'époque post-Franco, partageait avec Pérez les files de l’Internationale Socialiste. Rapidement, le "Calife rouge andalou" et le caudillo des Caraïbes ont entamé une grande amitié, à laquelle se joignit l’important homme d’affaires Gustavo Cisneros, dont les multiples relations internationales et les richesses furent utiles au socialiste espagnol.

Cisneros est devenu riche à la manière du patronat créole : sous les larges ailes de l’Etat nourricier d'Andres Pérez, dont la nationalisation des industries sidérurgiques et pétrolifères du pays offrait de vastes facilités d'accumulation pour l'ami–chef d'entreprise. Devant son hôte d'outre-mer, Cisneros a fait preuve d’une grande serviabilité, en offrant à González l’utilisation de ses luxueuses maisons du Country Club jusqu'à son avion privé. González fut tellement impressionné qu’une fois premier ministre, il choisit, en 1982, de passer ses premières vacances dans l'île vénézuélienne de La Orchila, qui - ironiquement -, vingt ans plus tard, devint le lieu d'emprisonnement - et d'exécution prévue - du président Chávez, aux mains des auteurs du coup d’Etat.

Au pouvoir, le "Calife Rouge" n'oublia son ami des Caraïbes et dans des circonstances peu claires, sur lesquelles travaillent jusqu’à aujourd'hui le Tribunal Suprême espagnol, l'État socialiste est intervenu lors de la faillite des Galerias Preciados, une des chaînes de supermarchés les plus importantes du pays, pour plaire au chef d'entreprise Gustavo Cisneros (1984). Cisneros vendit ensuite avantageusement les Galeries à une entreprise britannique. Selon un ex-ministre de Carlos Andres Pérez, la manne de ces transactions a filé dans les caisses noires des trois amis.

C’étaient la bonne époque de la fin des années 80, quand les présidences de Felipe González en Espagne (1982-96), Carlos Andres Pérez au Venezuela (1989-93) et Carlos Saúl Menem (1989-99) s’entendaient partiellement, avec un autre ami socialiste important de González au Ministère des travaux Publics, au Chili, Ricardo Lagos [actuellement président de la république chilienne, NDT]. C’étaient aussi l’époque de la crise économique dans la mère patrie et de la décision de González – poursuivie avec une plus grande vigueur ensuite, par Aznar – de dépasser cette crise avec la reconquête du dorado latino-américain. Les nouvelles caravelles s’appelaient maintenant Iberia, Telefónica, Repsol, Endesa, etc., et les traces qu'elles ont laissées n'ont pas été moins destructives comme celles de la première conquista. (1)

Avec la promotion active de González-Aznar, Andres Pérez et Menem, les services bancaires, l'énergie électrique et pétrolière, les communications, les fonds de pensions, les services publics d'eau, tout a été privatisé par "la confrérie" de ces modernisateurs. Après avoir désossé les lignes aériennes vénézuéliennes VIASA, Iberia, la compagnie espagnole répéta ce travail de démembrement avec Aerolíneas Argentinas, en la laissant totalement détruite. Suivit ensuite la grande escroquerie de l’acquisition de Yacimientos Petrolíferos Argentinos (YPF) à Repsol, une entreprise pétrolière espagnole sans pétrole, escroquerie qui a été directement concertée entre Aznar et Menem, sur base d'une amitié personnelle qui incluait des forts financements de Menem à la campagne électorale du Parti Populaire d'Aznar, canalisés, selon les journalistes argentins Daniel Cecchini et Jorge Zicolillo, par le biais de la Secrétaire d'Intelligence de l'État (SIDE).

Dans cette stratégie de conquête transnationale du marché latino-américain et du contrôle idéologique des citoyens espagnols, les bonnes relations de González et d'Aznar ont été, postérieurement, d'une importance suprême, avec le magnat médiatique espagnol, Jesus de Polanco. Polanco, propriétaire du Groupe Prisa, le plus grand conglomérat espagnol de médias, le pays s'est rendu fortifié durant les 70 du franquisme avec le journal, qui a postérieurement joui d’une symbiose étroite avec la regencia socialiste de l'État espagnol (1982-96). Appui médiatique à la politique du "Calife Rouge", d'une part, des faveurs du gouvernement au poulpe médiatique naissant, de l’autre, ont été l'avantage quo quid de cette relation.

L'alliance a été bénéfique pour tous les deux. González a gagné trois élections à la suite avec une majorité absolue, jusqu'à ce qu'il ait épuisé son modèle. Discrédité par la corruption endémique du système; son image souillée par l’enquête sur les escadrons de la mort anti-ETA (GAL), enquête qui a été la douce vengeance de son ami socialiste déçu Baltasar Garzón, alors que González ne lui offrit pas le ministère qu'il lui avait promis, mais qui, pour des raisons d'État, n'est jamais arrivé à prouver la culpabilité du "Calife" - González a laissé la présidence en 1996, pour se transformer en représentant du capital espagnol en Amérique latine et en gourou spirituel de partis politiques de centre-gauche et de centre-droite latino-américains, auxquelles il vend généralement l'histoire de la "transition" espagnole.

C’est dans cette fonction qu’il est apparu le 20 décembre 2001, en pleine crise sociale argentine, lors d’une "mission officielle" du gouvernement Aznar dans le bureau de Fernando de la Rúa à la Casa Rosada, pour insister auprès du président sortant et

postérieurement, auprès du nouveau président Saá - que la dévaluation était inacceptable pour l'Espagne et que la dollarisation était la seule sortie à la crise.

De son côté, Polanco a prospéré avec son Groupe Prisa à un tel degré qu’il est, de nos jours, propriétaire de 65 télévisions locales en Espagne, de divers canaux nationaux de télévision, de la Editorial Santillana et du journal El País, le plus vendu d’Espagne, suivi par El Mundo et l’ABC. Des recettes supérieures à mille millions de dollars de Prisa, 25% du total est produit en Amérique latine, pourcentage qui en 2004 devrait s'élever à 40%; 32.5% du total provient de Editorial Santillana qui a une incidence forte sur le système éducatif latino-américain, et 24% de El País

Polanco a choisi l'Amérique latine comme marché d’avenir. Il possède des investissements dans Radio Caracol (Colombie) et un holding international, avec des Colombiens à Miami, qui intègre 105 stations de radio en Colombie, au Chili, à Panama, au Costa Rica, en France, aux Etats-Unis, au Mexique et d’autres médias au Brésil et en Bolivie. L'amitié avec González continue et s’étend au président socialiste chilien Ricardo Lagos. En novembre de l'année passée, Polanco, González et Ricardo Lagos ont déjeuné ensemble au Palais de la Moneda à Santiago du Chili, en délibérant sur l’acquisition par le Groupe Prisa du quotidien chilien La Nación.(2)

Les possibles bénéfices de la transaction, ou comme dit le jargon médiatique contemporain, les synergies, sont évidents. Lagos obtiendrait de l’appui médiatique à sa politique gouvernementale et Polanco des bénéfices. C’est, de fait, le modus operandi du magnat espagnol, qui s’est ouvert les portes des palais présidentiels latino-americains, fait qui pourrait être illustré par plusieurs exemples récents.

Dans cette mise en scène politico-économico-médiatique des grands négoces néo-libéraux et de la trahison politique apparaît le Lieutenant-Colonel Hugo Chávez avec sa proposition de développementalisme démocratique et de souveraineté économique – politique nationale heurtant évidemment les intérêts néo-coloniaux du capital espagnol et de ses alliés locaux. Le magnat Cisneros soutint initialement le candidat présidentiel, confiant de pouvoir continuer à jouer son double rôle historique d'éminence grise de tous les présidents vénézuéliens et de pouvoir continuer à profiter économiquement des largesses de l’Etat nourricier.

Mais, les deux ambitions se sont révélées illusoires, quand Chávez n'accepta ni le rôle de serviteur de l’oligarchie, ni de renoncer à la refondation démocratique de l'État. Par la suite, le gouvernement à peine formé en février 1999, Cisneros commença la guerre médiatique au travers de ses vastes réseaux de télévision et de ses investissements et mobilisa ses alliés internationaux en Europe et aux Etats-Unis. (3)

Et ses amis espagnols, par solidarité de classe et relations personnelles, ne le laissèrent pas tomber. El País débuta une campagne de propagande de guerre contre le gouvernement de Chávez. Polanco, jamais en retard quand une bonne occasion se présente, étendit la symbiose avec le "socialisme" espagnol au projet néo-colonial d'Aznar et se transforma en une des têtes de lance idéologiques. Sa position de centre-droite devint quasiment identique à celle de El Mundo et du quotidien pro-monarchique ABC, et ensemble ils se transformèrent en croisés pour détruire le gouvernement démocratique de Chávez.

La conversation téléphonique du président Aznar avec le président golpista Pedro Carmona dans le Palais de Miraflores, effectuée par une haut membre de l'Opus Dei vénézuélien et secrétaire des Relations Extérieures, pour un jour, de Carmona, est la reconnaissance de facto du gouvernement espagnol des auteurs du coup d’Etat (4) et une célébration prématurée de l’acquisition d’un nouveau butin pétrolier avec lequel Repsol resterait. Mais, les militaires démocratiques et le peuple frustrent le coup transnational.

*Traduction : Frédéric Lévêque
Texte original : ¿Por qué CNN y El País agreden al gobierno venezolano?

Notes du traducteur:

(1) A consulter à ce sujet: La politique latino-américaine de la droite espagnole: velléités néo-coloniales

(2) Maurice Lemoine, dans "Coups d’Etats sans frontières" précise que "Propriétaire d'El Pais, le groupe Prisa possède 19 % des actions de Radio Caracol, dont l'actionnaire majoritaire, le puissant groupe colombien ValBavaria, a pour partenaire principal M. Julio Santo Domingo (l'homme le plus riche de Colombie) et... le groupe Cisneros, qui domine l'industrie des médias au Venezuela. A la tête de Prisa, M. Jesus Polanco préside également Sogecable, société liée à l'entreprise américaine DirecTv, dont l'un des principaux actionnaires est ce même groupe Cisneros... Rendant plus étroites encore les relations, un accord serait en voie d'être signé entre Prisa (M. Polanco) et ViaDigital (M. Cisneros)."

(3) Dans "Dans les laboratoires du mensonge au Venezuela", Maurice Lemoine parle de Gustavo Cisneros comme un homme clé du coup d'Etat d’avril 2002. "Multimillionnaire d'origine cubaine, propriétaire de Venevisión, ce dernier dirige un empire médiatique de taille mondiale - Organización Diego Cisneros -, présent dans 39 pays à travers 70 entreprises (10). Il entretient de forts liens d'amitié avec M. George Bush (père). S'ils jouent au golf ensemble et si, en février 2001, l'ancien président des Etats-Unis a passé une semaine de vacances dans sa propriété vénézuélienne, les deux hommes souhaitent surtout ardemment (et entre autres) la privatisation de PDVSA. Secrétaire d'Etat américain aux affaires interaméricaines, M. Otto Reich admettra avoir "parlé deux ou trois fois" à M. Cisneros cette nuit-là."
Maurice Lemoine précise également que "le décret qui entérine l'établissement d'une dictature, lors du coup d’Etat d’avril 2002, est lu par M. Daniel Romero, secrétaire privé de l'ancien président social-démocrate Carlos Andrés Pérez et... salarié du groupe Cisneros.

(3) A consulter à ce sujet : Le sergent Rodriguez et le président Aznar