Les beaux jours de l'impunité policière

Ce mercredi 18 décembre 2002, la 55ème chambre du tribunal correctionnel de Bruxelles a acquitté un gendarme prévenu d'avoir porté des coups, injurié une personne interpellée par des collègues et incité à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard de cette personne en raison de sa nationalité ou de son origine.

Pour rappel, Rachid N. avait été interpellé pour un contrôle d'identité en 1993 par des gendarmes de la Ville de Bruxelles. Amené au poste, il dut se déshabiller entièrement en présence d'une dizaine de gendarmes et effectuer des pompages tout en essuyant des coups et des insultes comme « sale bougnoule ».

Le MRAX et la Ligue des Droits de l'Homme, parties civiles dans cette affaire aux côtés de la victime, regrettent profondément cet acquittement. Il est en effet acquis – cet élément n'est contesté par personne – que la victime était en parfaite santé avant l'interpellation et qu'elle en est ressortie, comme l'atteste un certificat médical du même jour, avec de multiples contusions entraînant une incapacité de travail. Il n'est pas plus contesté que ces blessures proviennent de coups qui, étant donné que les faits se sont produits à l'intérieur du commissariat, ne peuvent avoir été portés que par les gendarmes présents ce jour-là. Or malgré ces éléments, la justice estime que personne n'est condamnable, faute de pouvoir déterminer l'auteur des sévices.

La grande gagnante dans cette affaire, c'est l'impunité. Le message est clair : il suffit aux forces de police de se taire et de faire jouer l'esprit de corps – personne n'a rien vu, personne ne se souvient de rien – pour pouvoir poursuivre ce genre d'activités en toute impunité. Certes l'Etat démocratique n'en sort pas renforcé, mais que voulez-vous, que peut faire la justice si on ne sait pas qui a donné les coups…

Outre que la victime, elle, sait très bien qui a donné les coups et l'a répété de manière constante depuis près de 10 ans, un certain nombre de questions graves restent en suspend. Pourquoi a-t-il fallu près de 10 ans pour juger ces faits ? Pourquoi le Parquet n'a t-il retenu de charges que contre un seul gendarme – alors qu'il est acquis qu'ils étaient une dizaine à assister à la scène – pour ensuite requérir l'acquittement à l'audience ? Pourquoi n'a t-il pas été jugé opportun de demander aux gendarmes présents de fournir une explication plausible sur la manière dont une personne qui rentre en bonne santé dans un commissariat peut en ressortir rouée de coups ? Pourquoi l'enquête n'a t-elle pas rapidement établi la liste des gendarmes présents ce jour-là, ce qui devient difficile à établir 10 ans après ?

Il est inadmissible que des faits aussi graves puissent être commis en toute impunité. A l'heure des discours sécuritaires du gouvernement et des craintes exprimées par une partie de la population sur le fonctionnement des forces de police, pareille impunité ne peut qu'aboutir à renforcer un sentiment d'insécurité et à miner la confiance que toute personne devrait pouvoir conserver dans les institutions de ce pays, quelles que soient ses origines. Le jugement du 18 décembre est susceptible de mettre gravement cette confiance en péril.

arch/ive/ief (2000 - 2005)