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Media-activisme/Sur collaboration de militants ouvriers et cinéastes militants
by raf Sunday November 24, 2002 at 09:55 PM
raf.custers@euronet.be

7,2 millions d'ouvriers en France (combien en Belgique ?) mais "où en est le cinéma de leur représentation ? Qui se soucie à présent de leur parole ?" Des images solidaires de la lutte des travailleurs des Forges de Clabecq existent. Mais jamais un film solidaire de "ceux de Clabecq" n'a vu le jour. Et lorsque les travailleurs de Continental à Herstal ont résisté à la fermeture, se sont-ils emparés de l'image pour s'exprimer ? Le cinéma produit des navets qui "nous regardent pas", proclame le numéro 3 de la revue de cinéma L'Image-Le Monde dans son éditorial. Ce magazine contient le dossier - très pertinent - sur Les Groupes Medvedkine qui entre 1967 et 1974 ont accumulé à Besançon et à Sochaux une expérience inouie de production de films avec et par les ouvriers.

Le 25 février 1967 les ouvriers de l'usine Rhodiaceta - branche textile du géant Rhône-Poulenc à Besançon - entrent en grève. Aussitôt, les animateurs du CCPPO (centre culturel populaire qui depuis 1959 fait un travail d'education populaire) lancent un appel pour que des réalisateurs et techniciens de cinéma descendent en province et participent à cette lutte. Parmi ceux qui "font le voyage depuis Paris", Chris Marker est le plus connu. Jean-Luc Godard suit les progrès de distance. A son arrivée, le cinéaste Mario Marret s'adresse aux ouvriers en disant : "Camarades, votre plus grand ennemi, c'est le silence". Le 24 mars, la grève prend fin. Dans Les Cahiers du Cinéma d'octobre 1967, Godard décrit le fossé entre le cinéma et la politique : "les gens qui connaissent le cinéma ne savent pas parler le langage des grèves...".

Mais fin '67 cinéastes engagés et ouvriers se rapprochent davantage. Le 18 octobre est présenté à Besançon le film collectif Loin du Vietnam, orchestré par Chris Marker et pour lequel Godard a filmé une contribution. Le syndicat communiste CGT fait un compte-rendu de la présentation et dit entre autre : "Au moment où ils réalisaient leur film pour <<exprimer par l'exercic de leur métier leur solidariré avec le peuple vietnamien en lutte contre l'agression>>, les cinéastes venus à Besançon à l'appel du CCPPO pouvaient faire le rapprochement entre deux combats que menaient les mêmes contre les mêmes".
En novembre, Chris Marker fait la rencontre - au festival du film documentaire de Leipzig - de Alexandre Medvedkine, âgé de 61 ans. Medvedkine a été la tête de proue d'une épisodes les plus aventureuses du cinéma soviétique. En effet : le 25 janvier 1932, Medvedkine et 31 techniciens et professionels de cinéma montent abord d'un ciné-train qui pendant 294 jours va parcourir l'Union Soviétique pour apporter le cinéma chez tous ceux qui construisent le socialisme. Le train est équipé d'un labo-développement, un wagon-montage et un wagon-salle de projection. Là où ils s'arrêtent, ils produisent des Ciné Journals (18 numéros) et des agit-films (plus de 50) d'après le slogan de Medvedkine : Ajourd'hui nous filmons, demain nous montrons.

Cet expérience sera divulguée à Besançon en décembre 1967 lors d'une "semaine de la pensée marxiste" où e.a. Godard, Marker et Marret sont présents. Pendant cette semaine le Groupe Medvedkine de Besançon est crée. Il s'agit d'un groupe de cinéastes-ouvriers, aidé par des cinéastes qui fournissent éventuellement des appareils et peuvent enseigner des techniques.

Le même mois une autre grève commence chez Rhodiaceta et cette fois-ci des profs du ciné filment. Début '68 le CCPPO organise des stages et ateliers. Marret prête une caméra 16 mm, Godard offre une Super-8. Pendant cette même période, les profs constatent qu'ils sont en manque d'images pour terminer un premier montage. Ils réussissent à faire filmer des plans à l'intérieur de l'usine. Début mars 1968, la télévision française à l'honneur de présenter "A bientôt, j'espère", le premier film réalisé par l'equipe mixte de Besançon; le 27 avril "A bientôt, j'espère" est projeté à Besançon. La présentation donne lieu à un débat "où l'on comprend le désir de la parole libéré pa le film". La réunion décide qu'un deuxième film est nécessaire mais que celui-ci sera tourné par des ouvriers.

La discussion est enrégistré. L'enregistrement permet de produire un deuxième document, une film sans images intitulé "La Charnière".
Un extrait du bande-son. Un ouvrier dit : "....je pense que le réalisateur est un incapable...Il y a simplement une exploitation des travailleurs de Rhodia par des gens qui parraît-il, luttent contre le capitalisme" ! Un autre ouvrier : "...à aucun moment je crois dans le film un travailleur n'a soulevé le problème de la discipline dont on est victime à l'intérieur de l'usine".

Plus d'un an plus tard, le deuxième "vrai" film est terminé. Il s'appelle "Classe de Lutte" et il est largement le portrait de Suzanne, une militante CGT. Pour la réalisation, le CCPPO a investi en aôut 1968 la moitié de son budget dans l'achat d'une table de montage d'occasion. Le 17 novembre 1968 les cinéastes de leur côté, sous l'imulsion de Chris Marker, créent une structure coopérative de production et de diffusion nommée SLON (Société pour le Lancement d'Oeuvres Nouvelles) dont le belge André Delvaux est un des signataires des statuts. Pour se soustraire à la censure française, SLON est une société commerciale de droit belge.

"Janvier, février, mars 1969 - écrira SLON par après - le groupe travaille, écrit un scénarion, visionne, coupe, colle..en plus des 8 heures d'usine, en plus des réunions, des tracts, des manifs, des débrayages, des ventes de masse...quelques heures par semaine, des heures de nuit...on n'en sortira pas...Et on avance, et on s'engueule, on piétine, on repart..."

Mais enfin, le 13 juin 1969 "Classe de Lutte" reçoit donc sa première. Pol Cèbe, pivot du projet, dira alors : "Pour faire du cinéma militant on s'est retrouvé entre militants. C'était un boulot en plus, après huit heures d'usine...Et on avait tellement de choses à dire, et une nouvelle façon de les dire, un nouveau moyen, une nouvelle arme. Mais faire un film, ce n'est pas seulement filmer, entasser des bobines de pellicules. On n'apprend pas à se servir d'une table de montage en quelques heures. Nous nous rendions compte qu'il nous serait impossible de nous passer des techniciens du cinéma....Nous avons appris des choses. Par exemple que le militantisme n'est pas l'apanage de la classe ouvrière. Que des opérateurs sont prêts à travailler avec nous pour des clopinettes. Ils sont venus et ensemble nous avons fait le film. Avant, ils étaient quelques-uns à penser qu'il fallait travailler pour nous. Nous étions quelques-uns à penser qu'il faudrait qu'on s'en sorte sans eux. Aujourd'hui nous savons que le cinéma militant ne peut naître que de la collaboration de militants ouvriers et de cinéastes militants".

Pour en savoir plus :
° Le dossier établi par Bernard Benoliel dans L'Image Le Monde, numéro 3, automne 2002, édité à Liège.
° Parmi ses sources : la mémoire de Colin Foltz, "L'Expérience des Groupes Medvedkine - SLON 1967-1974", présenté à l'Université Paris 1 en 2001.
° Le festival Entre Vues qui se déroule à Belfort du 23 novembre jusqu'au 1 décembre a programmé une rétrospective des films des Groupes Medvedkine.