arch/ive/ief (2000 - 2005)

Ramadan dans la bande de Gaza
by Kristen Ess (traduction yannindy) Tuesday November 12, 2002 at 01:27 PM
yannindy@yahoo.fr

Traduction de l'article de Kristen Ess (voir lien en fin d'article)

Le 6 novembre 2002

 

Cette nuit, la première du Ramadan, huit frères et sœurs, assis autour d'une table en plastique blanche dans un salon de ville de Gaza, brisent leur jeûne. Ce sont des orphelins de Sabra et Shatila. En 1982, quand l'actuel Premier Ministre israélien Ariel Sharon a orchestré le massacre dans les camps de réfugiés du Sud-Liban, des centaines de nourrissons et d'enfants ont vu leurs parents mourir. La plupart furent adoptés par l'actuel président palestinien Arafat, qui dirigeait l'OLP depuis son exil en Tunisie. Ils ont été répartis dans l'ensemble du Moyen-Orient. Soixante ont été envoyés à Gaza. Ils ont grandi dans un bloc de béton, maintenant détruit par un incendie provoqué par un missile israélien, à quelques mètres poussiéreux de la Méditerranée. L'Autorité Palestinienne continue à fournir produits alimentaires et abris. Maintenant dans la vingtaine, ils sont encore appelés les "gosses d'Arafat". Une jeune femme de 24 ans me montre sa jambe, la peau tordue et brûlée. Après avoir été blessée à quatre ans, elle n'a pas pu grandir normalement. Elle ne se rappelle pas les feux, les tirs, le décès de ses parents, le massacre. Les gosses d'Arafat partagent la fête de ce petit déjeuner avec cinq de ceux qui furent exilés à Gaza depuis l'église de la Nativité à Bethlehem. Tout sont devenus des amis, en partie parce qu'ils sentent comme des étrangers ici à Gaza.

Ramadan, bande de Gaza (le 10 novembre 2002)

Dans Rafah aujourd'hui, on s'enfonce jusqu'aux chevilles dans les eaux dans certaines parties des logements à la frontière entre l'Égypte et Gaza. Les soldats israéliens sont assis dans les blindés situés derrière les logements. Le mur de séparation s'étend de jour en jour, tandis que les machines de chantier israéliennes creusent et emprisonnent les familles dans leurs maisons. Une femme âgée que je connais me montre la pièce où nous pensons que je dormirai demain. Elle est petite et faite du bloc de béton, avec deux tapis devant une paroi. Elle tombe deux fois pendant notre visite. Elle se fraie un chemin à travers les eaux d'égout et jette un œil par la porte arrière. Il y a deux tanks, la haute muraille, et la maison récemment démolie de son fils. Elle porte un hajib blanc flottant et ses yeux sont lumineux. Elle me dit de ne pas photographier les tanks et de ne pas les laisser me voir. Elle dit qu'ils tireraient.

Une grande femme m'amène à sa maison, juste à côté. Les eaux d'égout passent au travers des parois. Sa fille est assise sur le sol en ciment, en train de lire, ne levant les yeux que pour me sourire et me serrer la main. Un mur est à demi détruit, un trou de la taille d'un bulldozer. Elle me fait passer par le trou dans la paroi, me montrant comment je puis creuser les décombres pour laisser les eaux des égouts s'écouler. Elle a essayé hier, mais les soldats israéliens lui ont tiré dessus. Les mouches grouillent sur ses enfants, et elle me regarde avec espoir.

La femme âgée me prend la main comme je passe par sa maison. Elle est assise avec ses amies entre deux parois de ciment, le plus loin possible des odeurs d'égout et de l'éclat brutal des chars israéliens. Je la quitte afin d'arriver avant le coucher du soleil au point de contrôle d'Abu Holi, qui divise le sud de la Bande de Gaza depuis le nord, promettant de revenir au matin. Les rues sont remplies de détritus et de décombres. C'est du nettoyage ethnique, un lent massacre.

Le fils de la femme âgée m'appelle une heure plus tard. Les soldats israéliens démolissent sa maison. Les bulldozers sont en train de démolir les murs. Elle pleure au téléphone. Elle vient de tomber en essayant de s'enfuir. Son fils est si préoccupé pour sa mère qu'il ne peut pas conduire. Je prends le volant, et nous retournons à Rafah par la route côtière. Mais entre Gaza City et Deir EL-Balah, un char israélien isolé débouche de la colonie illégale israélienne de Netzarim et bloque la route. Tout près les militaires israéliens réduisent tout un secteur en poussière, et installent des tentes. C'est ce qu'ils ont l'habitude de faire avant de rassembler les hommes palestiniens âgés de 15 à 50 ans. Beaucoup de gens s'attendent à être arrêtés cette nuit.

Il n'y a qu'une une route praticable entre le nord et le sud de la Bande de Gaza, et c'est celle-ci. Nous arrêtons la voiture, avec des centaines d'autres, et nous attendons. Nous commençons tous à sortir de nos voitures, en essayant de passer à pied le long de la plage. Beaucoup essayent d'atteindre leurs maisons à Rafah, Khan Younis, Deir EL-Balah, et les villages environnants. L'homme essaie d'atteindre sa mère blessée et dont la maison a été juste démolie, est exténué. Les soldats israéliens commencent à tirer sur les Palestiniens qui tentent de passer par la plage. Trois jeunes filles portant des livres scolaires viennent avec nous et montent dans la voiture. Elles resteront à l'université ce soir au lieu de tenter d'atteindre leur maison. Les soldats israéliens tirent sur une jeune fille marchant sur la plage, et la tue. C'est l'une de leurs amies d'école. Nous avançons très lentement, essayant juste de retourner à Gaza City. Beaucoup de gens sortent de leurs voitures, cette fois pour prier. C'est presque le coucher de soleil, la 5ème nuit de Ramadan, et il est temps de manger et de boire de l'eau. Les gens commencent à acheter des légumes au kiosque sur le bord de la route et le conducteur d'un taxi de la taille d'une camionnette vend des biscuits par la fenêtre. Alors que l'appel à la prière retentit, le fils me remet un morceau de tomate. Il sourit et me souhaite la bienvenue. Les tirs israéliens retentissent dans l'air, tandis que les Palestiniens, emprisonnés dans la ville de Gaza, partagent leurs ressources après avoir vécu pour voir la fin d'un autre jour de jeûne.

Pendant que j'écris cela, une fois rentrée à la maison, je regarde les nouvelles à la télévision. Un char israélien tire sur des petits garçons qui lui jettent des pierres à Naplouse. George Bush traverse une pelouse bien verte dans un costume impeccable, discutant des résolutions de l'ONU.

Il ne dit pas qu'Israël n'arrive que deuxième, après les États-Unis, dans les violations de ces résolutions.

Kristen Ess est une activiste politique et journaliste indépendante de New-York, qui a vécu en Cisjordanie et à Gaza depuis mars 2002, où elle travaille dans les mouvements de solidarité, et fait des reportages pour Free Speech Radio news et le magazine Left Turn.

L'article original est paru sur The Electronic Intifada