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Sabena 9/11 - Un an après la faillite, les travailleurs jugent les responsables

by Alice Adler Tuesday, Nov. 05, 2002 at 12:12 PM

Un an après la faillite de la compagnie belge, rien de concret ne ressort des enquêtes officielles et de la Commission parlementaire. Qui sont les responsables ? Comment s'est organisée la faillite ? Quel rôle a joué précisément l'état ?… Cependant les travailleurs vivent des situations biens réelles de drame social quotidien. La plupart des ex- sabéniens ressortent brisés et à l'approche du premier anniversaire de la faillite, rien ne laisse rien présager de bon pour d'éventuelles réparations des dommages.

Un an après la faillite de la compagnie belge, rien de concret ne ressort des enquêtes officielles et de la Commission parlementaire. Qui sont les responsables ? Comment s'est organisée la faillite ? Quel rôle a joué précisément l'état ?…
Cependant les travailleurs vivent des situations biens réelles de drame social quotidien.
La plupart des ex- sabéniens ressortent brisés et à l'approche du premier anniversaire de la faillite, rien ne laisse rien présager de bon pour d'éventuelles réparations des dommages.

Le Comité pour la Plainte pour les 30 Milliards (CP30M) a introduit une plainte au nom de 689 sabeniens et a organisé de vastes enquêtes auprès de toutes les personnes concernées.
Des experts ( médecin et avocat) ont ainsi pu évaluer les dommages tant au niveau financier que moral et médical .
Extraits :
B.D., 50 ans, flight operator :
« Dépression, manque d'appétit, perte de poids. Insomnies. Impression de porter tout le poids de la faillite, culpabilité. Abandon de la part des amis. Rejet de la part des des voisins, comme si tu as la peste. Déconsidération de la part des commerçants du quartier, des banques. Position de faiblesse vis-à-vis des enfants (difficile de leur expliquer la situation). Mes chances de retrouver une place dans l'aviation sont quasi- nulles . »
K.A., 32 ans :
« Je fais une dépression, je me dispute avec ma femme, je ne sais pas acheter ce que je veux pour mes enfants ; je dois vendre ma voiture, je ne sais pas envoyer mes enfants en classe de neige, pas de Saint- Nicolas cette année. Pas de vêtements, pas de voiture. Je suis dépressif. »
F.A., 21 ans, cleaning, ground handling,
« Incertitude pour notre avenir, ainsi que pour celui de nos enfants. Les liens familiaux sont atteints. Stress causé par la faillite et les promesses non tenues, les mensonges des politiciens. »

Le Docteur Nele Vandenbempt a constaté à l'examen des témoignages que 35% des travailleurs souffrent de dépression, 33% de stress et 37% de maux de dos.
Plus du tiers développent des symptômes de dépression, de plus la perte d'emploi engendre perte de confiance en soi, du goût de vivre, des repères : «Avant la faillite, explique-t-elle, les travailleurs ont tout donné d'eux-mêmes pour sauver l'entreprise. Avec pour conséquences: maux de dos, fatigue, stress. Le travail comme tel nuit déjà à la santé. C'est d'autant plus le cas dans le contexte d'une faillite annoncée, lorsque les travailleurs se trouvent dans l'insécurité la plus totale.»

Pour ceux qui ont été repris dans les différentes sociétés nées de la faillite de la Sabena, la situation n'est pas reluisante non plus. Maria Vindevoghel, initiatrice de la plainte et du Tribunal Populaire a été repris après la faillite dans une de ces sociétés : « Avant, tous les travailleurs de la Sabena obtenaient le statut d'employé après cinq ans. Cela leur garantissait une certaine stabilité. C'est fini.
Les horaires de travail étaient contrôlés par le syndicat: le patron ne pouvait les changer sans l'avis des travailleurs. Dans mon atelier, j'avais réussi à gagner des points sur le plan de la démocratie. Lorsque le patron voulait changer les horaires, on soumettait le changement au vote des travailleurs. Si c'était non, c'était non. Cela aussi a changé.
Avant, nous avions des horaires annuels. Aujourd'hui, je ne connais mon horaire que sept jours à l'avance. Toute la vie familiale en est chamboulée. J'ai encore de la chance d'avoir un mari qui ne travaille pas en équipe, mais si l'homme et la femme sont dans le cas, cela devient l'enfer.
Belgium Ground Service est aujourd'hui plus flexible qu'Aviapartner qui, avant la faillite de la Sabena, était pourtant considérée comme l'entreprise de l'aéroport la plus flexible. Cette situation a évidemment des conséquences sur les autres entreprises du zoning. Maintenant les patrons ont un argument pour justifier toujours plus de flexibilité.
La Sabena a été dépecée en petites entreprises indépendantes. L'unité des travailleurs est brisée. Avant, il y avait un seul comité de sécurité pour tout l'aéroport. Aujourd'hui, dans les faits, il y a une plus grande distance entre nous qu'entre les ouvriers et les sous-traitants de Cockerill. Les hôtesses et les travailleurs du catering (préparation des repas) ont par exemple des intérêts communs lorsque les bacs de nourriture sont trop lourds. Avant, les revendications pouvaient être rapidement diffusées et relayées.
Je perds mes 18 ans d'ancienneté, la perte est énorme. Je perds aussi 15 à 20 jours de congé par an. En même temps, nous prestons 15 minutes en plus de travail par jour, ce qui peut paraître étrange à l'heure des réductions du temps de travail.
Je ne peux faire un bilan chiffré et précis car les fiches de salaires ne sont pas encore arrivées. C'est une perte qui se calcule sur le long terme. C'est pour cela que le tribunal populaire est important aussi, pour pouvoir chiffrer toutes les pertes des travailleurs.
A la Sabena, nous avions des augmentations barémiques. Le système garantissait à chacun, après quelques années de travail, un bon salaire et une certaine sécurité d'emploi, deux aspects qui ont disparu aujourd'hui. Le catering dépend maintenant du comité paritaire de l'Horeca, le BGS ­ où je travaille ­ de celui du secteur du transport. Les salaires y sont nettement plus bas. Le personnel de cabine et les pilotes perdent encore plus: entre 30 et 40%...
Verhofstadt avait promis la création de 6.000 nouveaux postes dans SN Brussels Airlines. Cette compagnie a été construite à partir de la DAT, qui avait déjà son personnel. A peine 200 hôtesses et stewards de l'ancienne Sabena ont été repris. Et qui plus est, à durée déterminée.
Quelques autres sociétés sont nées, comme Delsey lancée par Van Gaever. Elles ont repris certaines personnes. Mais aujourd'hui, Delsey est pratiquement en faillite. Pour les travailleurs, ce sera un second choc. C'est révoltant.
Pour le reste, à peu près un tiers des Sabéniens ont été repris dans les différents services. Au Cleaning, nous étions 700, contre 200 à 300 aujourd'hui. Dans une des filiales du technics, ils sont encore en restructuration et 120 personnes vont être licenciées. On est loin des promesses, l'insécurité de l'emploi reste, voire se renforce. »


Rechercher et juger les coupables

A part dénoncer les dommages réels causées aux sabéniens, le Tribunal entend mettre en cause les responsables politiques et financiers de la faillite.
La parole est enfin donnée aux victimes, c'est pour cela que cet événement est essentiel.
Depuis un an, les Verhofstadt, Daems, Lebrun, Di Rupo et consort ont eu tout le loisir de se disculper, de reporter la responsabilité sur d'autres.
Maria Vindevoghel, auteur de la plainte et initiatrice du Tribunal : « Je ne trouve pas ça normal qu'ils décident de la vie des gens. Lorsque je vois les Di Rupo et Dehaene devant la commission parlementaire Sabena, ce n'est qu'arrogance et mépris vis-à-vis de la misère des travailleurs. Hier encore, un Sabénien m'a téléphoné. Il m'a dit: «C'est clair que l'Etat est responsable, il détenait plus de 50% du capital de la Sabena. Les travailleurs voient clairement la responsabilité du conseil d'administration et des personnalités politiques. Au niveau de la Commission Parlementaire, ce n'est que du show. Ils se renvoient tous la balle pour sauver leur peau.
J'ai assisté à l'exposé de Di Rupo, comment ose-t-il dire qu'il a sauvé la Sabena alors qu'il a signé un accord avec Swissair: c'est une gifle de plus au visage des travailleurs.
Onkelinx est particulièrement visée par les travailleurs car c'est elle qui a négocié avec le syndicat le plan social dont de nombreux points ne sont pas respectés. Comment un ministre de l'Emploi peut-il négocier un plan pour mettre les gens à la rue? Son but n'est-il pas d'assurer la préservation des emplois existants au lieu de prévoir des modalités pour adoucir le chômage? »
Avec ce tribunal, « nous voulons enfin donner l'occasion aux travailleurs de s'exprimer sur ce que représente pour eux la perte de leur emploi. Ils parleront donc des conséquences sur le plan personnel, mais formuleront aussi des accusations envers les responsables » confie Maria Vindevoghel

Qui sont les accusés ?

Riet Vandeputte, avocate du comité donne des éléments de réponses : « Ils seront désignés le 9 novembre. Les accusations seront formulées sur base des enquêtes menées auprès des travailleurs, sur base de leurs expériences et de leur vécu. C'est pour cette raison qu'il est important de participer au tribunal.
Sur base des éléments que j'ai déjà pu rassembler, il apparaît clairement que des gens comme Verhofstadt, Onkelinx, Daems, Di Rupo, De Croo, Dehaene ainsi que les membres du conseil d'administration ont une responsabilité écrasante dans la misère sociale engendrée par la faillite. Et pour leur entêtement à nier les conséquences réelles et quotidiennes des travailleurs.
Je pense qu'il faut qu'une accusation spéciale soit portée contre madame Onkelinx pour avoir laissé présager un avenir aux Sabéniens avec son simulacre de plan social, qui n'a rien de social et qui n'a jamais été signé. A ce titre, les Sabéniens ont raison de se demander si madame Onkelinx est ministre de l'Emploi ou du Chômage ».

La faillite est une guerre contre les travailleur

Pour Maria Vindevoghel, la faillite de la Sabena et les menaces de guerres qui pèsent en Irak ont les mêmes origines. C'est pour cette raison qu'elle manifestera à Bruxelles le 10 novembre prochain : « La volonté du gouvernement a toujours été de liquider la Sabena. Les ministres affirmaient qu'ils ne pouvaient pas empêcher la faillite alors que celle-ci a coûté beaucoup plus cher que ce qui était nécessaire pour sauver l'entreprise. En même temps, ils ont investi des milliards pour acheter les Airbus A400M, avion qui servira au transport militaire. C'est une militarisation de l'aviation civile.
Si les Etats-Unis attaquent l'Irak, il y aura des conséquences au niveau de l'emploi dans l'aviation. Les travailleurs n'ont aucun intérêt dans les guerres et en sont toujours les victimes. Le climat est différent de celui de la guerre du Golfe: actuellement les travailleurs sentent que les conséquences sont plus proches, que la menace est plus grande pour l'emploi.
Le suicide du pilote Philippe Rongé, le fait que 17.000 personnes se retrouvent dans la misère, soient obligées d'arrêter les études de leurs enfants, soient sans ressources, privées de soins... tout ça c'est aussi une guerre. Je serai là le 10 novembre »

Tribunal Populaire sur la Sabena
Samedi 9 novembre 2002 16h-19h
Ons huis : 58, rue de la Gare 1930 Zaventem
grande fête à partir de 20h

Pour info complémentaires sur la plainte et le tribunal populaire : http://www.tribunal-sabena.be
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