Ventes d'armes belges sous "l'Arc-en-ciel": la face cachée d'un dossier trouble by Frédéric Lévêque Thursday October 24, 2002 at 07:11 PM |
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Ventes d'armes belges sous "l'Arc-en-ciel": la face cachée d'un dossier trouble, d'après une enquête publiée par le Morgen.
Ventes
d'armes D’emblée,
les deux journalistes posent une question essentielle : "accepte-t-on
ou non que la Belgique ait sur son sol l’un des plus grands producteurs
d’armes ?" . A cette question, ils répondent par l’affirmative
pour la Région wallonne : "Le gouvernement
wallon est, depuis fin 1997, propriétaire à 100% de
la FN Herstal. Pour cela, il a payé 62,5 millions d’euros.
Son objectif était surtout d’empêcher GIAT, l’ancien
propriétaire français de la FN, de vendre l’entreprise
au plus offrant aux Etats-Unis, à un repreneur qui n’en aurait
gardé que les meilleures parties, avec ce que ce choix suppose
de pertes d’emplois ". La FN
Herstal, une " entreprise publique temporaire " C’est donc,
en principe, le contribuable wallon qui est devenu le propriétaire,
temporaire, de ce fleuron économique. Pour M. Sauvage, porte-parole
du groupe FN Herstal, "la participation du gouvernement wallon
en 1997 visait à offrir à l’entreprise la possibilité
de s’assainir". La FN a connu
une importante évolution depuis l’époque où elle
faisait partie de la Générale et comptait quelque
25.000 personnes à son service. Aujourd’hui, il n’en reste plus
que 2.500, dont un millier à Herstal et 60 à Zutendaal.
Le reste du personnel est éparpillé à travers le
monde: la filiale FN Manufacturing située en Caroline du
Sud et produisant exclusivement pour l’armée étasunienne,
Mc Lean située en Virginie, la FN Herstal Fare East et
la PTE Australia à Singapour, FN International Holding
au Luxembourg. La FN possède aussi au Japon 11% de Miroku,
un producteur d’armes de chasse. Le gouvernement
wallon a mis ses actions FN dans sa société participative
SOGEPA, la société wallonne de gestion & de participations.
La SOGEPA a fonctionné à plusieurs reprises comme un instrument
pour aider certaines entreprises wallonnes, avec plus ou moins de succès
: le circuit de Francorchamps, les Forges de Clabecq, Cockerill Sambre,
Cristal du Val Saint-Lambert, Louis de Poortere, l’aéroport de
Charleroi. En ce qui
concerne la FN Herstal, la participation s’est avérée payante.
En 2001, le chiffre d’affaires était de 473 millions d’Euros, mais
la FN enregistrait une perte d’exploitation de 19 millions d’Euros. Pour
l’actuelle année comptable, on prévoit un chiffre d’affaires
de 500 millions d’Euros et un bénéfice de 15 à 20
millions d’Euros. Qui dirige
la FN? C’est donc
la SOGEPA qui gère l’entreprise d’armements. Les deux enquêteurs
du Morgen y retrouvent des membres de la mouvance d’André
Cools : (…) un des administrateurs de la SOGEPA est Lambert Vergus,
l’ancien chef de cabinet de Cools, assassiné en 1991, et de Vanderbiest,
qui fut suspecté" de la mort de l’ancien leader socialiste
wallon. "Etre chef
de cabinet permet d’entrer à la SOGEPA car tout le conseil
d’administration est composé d’ex-cabinettards, principalement
du Parti socialiste (PS) et du Mouvement réformateur (MR).
Avoir un père influent peut aider ! Serge Kubla a remanié
les sociétés de participation autour de la SOGEPA fin
2001 en en créant une nouvelle, la FWPMI. Et un des administrateurs
de cette nouvelle société s’appelle Laurent Kubla.
Pour l’heure,
c’est le manager français Philippe Tenneson qui donne
à la FN son image publique. Il est son président et
administrateur délégué. Le conseil d’administration
de la FN est étonnamment petit. Aux côtés de Tenneson,
il n’y a que trois membres, tous les trois logiquement administrateurs
à la SOGEPA, tous des éminences grises politiques. Le vice-président
de la FN est Pierre Sonveaux. Dans le précédent
gouvernement wallon, il était chef de cabinet de Robert
Collignon, ministre-président à l’époque
et actuellement président du Parlement wallon. Le PS a un deuxième
administrateur à la FN Herstal. Il s’appelle André
Cremer. Considéré comme un "brillant économiste"
dans son parti, il fut le prédécesseur de Sonveaux chez
Collignon et jouit depuis des années d’une bonne image car
c’était un des hommes de confiance da Dieu lui-même,
Guy Spitaels. Comme lui, Cremer vient d’Ath et fut longtemps
son conseiller personnel. Le quatrième
administrateur s’appelle Jean-Pierre Dubois. Il est vice-président
de la SOGEPA pour les libéraux francophones et fut, de juillet
1999 à mai 2000, chef de cabinet adjoint de Kubla. Ce
qui étonne chez Dubois, c’est son lieu et sa date de naissance:
Jodoigne, la commune du vice-Premier Michel. "Ce sont
des amis d’enfance", nous dit un journaliste local, "tout
le monde le sait dans la région". Dubois n’a jamais
été très visible politiquement. C’est seulement
à la fin des années ‘90 qu’il accède à
l’avant-scène. Le PRL exige alors, pour la province du Brabant
wallon, des mandats pour les intercommunales et les sociétés
de participation. Dubois reçoit la présidence de Nivelinvest,
de Nivellease et de Start Up, trois sociétés
de participation nivelloises qui font la même chose au point
de vue local que la grande sœur SOGEPA, c’est-à-dire distribuer
de l’argent public. Mais la carrière de Dubois dans ces trois
sociétés n’est pas longue. Il entre en conflit avec
l’administrateur-délégué local PS, qui le considère
comme un "homme de Louis Michel" indésirable
à Nivelles." Le "Telexgate" Les deux
journalistes du Morgen continuent ensuite leur enquête en
nous donnant une astuce pour rendre furibard le ministre des Affaires
étrangères, Louis Michel, et ses collaborateurs.
Il suffit en fait de dire " télexgate ". C’est
qu’un rapport sur les activités douteuses d’un homme d’affaire
liégeois en Afrique, un rapport au ministre qui aurait dû
demeurer confidentiel, est arrivé comme par téléx
entre les mains… du suspect. Une affaire qui, selon Louis Michel, n’existerait
que dans la tête de critiques vicieux cherchant le scandale à
tout prix. "La revue
Trends publia le 13 décembre 2001 les premières
révélations. Tout tourne autour de George Forrest
l’homme d’affaires belge actif au Congo. Jusque récemment,
il fut à la tête de la société minière
Gécamines à Lubumbashi, capitale du Katanga.
D’après le consul général belge à Lubumbashi,
Forrest est impliqué dans certaines affaires douteuses. Ce
n’est pas la première fois que Forrest est critiqué.
Il fut accusé par Human Rights Watch de livraison d’armes
en Afrique centrale. Le consul livra
un exposé des faits qu’il connaissait dans un rapport strictement
confidentiel. Ce rapport a atterri sur le bureau de Forrest le jour-même.
A l’heure actuelle, le Parquet bruxellois enquête sur la soit-disant
fuite du ministère des Affaires étrangères. Forrest
lui-même a porté plainte contre Trends et De
Morgen, dont il exige à chaque fois 250.000 Euros de dédommagement.
D’après lui, les deux journaux ont insinué que la fuite
résultait de ses contacts privilégiés avec le
ministre Michel. Michel a eu une
rencontre avec Forrest à Lubumbashi en mars 2000. Les organisations
de paix ont protesté en disant que Forrest se trouvait à
la tête de la firme New Lachaussée de Herstal.
Selon Pax Christi, cette entreprise fournissait à l’Iran
et à la Chine des machines à fabriquer des munitions.
La même entreprise assistait la FN lors de la construction très
controversée de la fabrique de munitions dans le Eldoret kenyan,
sur un terrain privé du président Arap Moi. La firme
de Forrest fournissait une grande partie des machines. A l’heure actuelle,
il y a de plus en plus d’indices, malgré les propos rassurants
de la FN, qu’Eldoret est en train de devenir, lentement mais sûrement,
le principal fabricant d’armes pour toute l’Afrique. Grâce à
la Belgique, dont l'Office du Ducroire avait octroyé
au début des années ’90 une licence d’exportation à
la FN. La FN
Herstal & GFI, plus qu’une collaboration?! Continuer à
faire une distinction entre la FN et les entreprises de George Forrest
n’est pas toujours facile. Albert Diehl, qui était jusqu’en
1996 président de la FN Herstal, est aujourd’hui administrateur-délégué
à la SA George Forrest International (GFI), le holding
qui chapeaute le groupe tout entier. Diehl est également sous-directeur
de la filiale GFI New La Chaussée (…) Après la
reprise de la FN par les autorités wallonnes, Diehl est resté
jusqu’en septembre 1999 administrateur-délégué
de la Société Herstalienne pour la Finance, une
filiale de la FN liquidée depuis lors. "Conflits
d’intérêts? Allons, allons…" Si, bien entendu,
le monde politique est très présent dans le conseil
d’administration de la FN Herstal, dans le groupe GFI, les
choses prennent la même tournure. Depuis le 22 février
2001, l’ancien secrétaire d’Etat au Commerce extérieur
Pierre Chevalier (VLD) y est administrateur. "Grâce
à mon expertise et à ma compétence",
a-t-il réagi lorsque De Morgen lui a posé la
question. Chevalier est président de la commission des Relations
extérieures de la Chambre où le Telexgate et
les activités de Forrest au Congo ont déjà été
évoqués. Selon lui, il n’y a cependant pas de conflits
d’intérêts. "Si jamais il existait un conflit
d’intérêt, je me ferais remplacer", dit-il.
Un président
d’une commission de la Chambre n’est pas le responsable immédiat
des décisions et il peut effectivement se faire remplacer si
nécessaire. Cependant, Chevalier n’est pas la seule grosse
pointure de la rue de la Loi à avoir été introduit
début 2001 au conseil d’administration de George Forrest
International. Cela a également été le cas
de Jean-Claude Marcourt, le chef de cabinet de la vice-Première
ministre Laurette Onkelinx (PS). Marcourt, avocat
tout comme Chevalier, est depuis plus de 20 ans une personnalité
très influente dans les coulisses du PS. "Un homme
dont l’influence est absolument indiscutable, c’est un incontournable
absolu de l’establishment PS dans le gouvernement", écrivait
l’hebdomadaire Knack à son sujet l’année dernière.
"Vieux de la vieille de l’appareil PS, Marcourt a déjà
travaillé sous Guy Mathot, Jean-Claude Van Cauwenberghe
et Willy Claes. En tant que chef de cabinet d’Onkelinx, il fait
en sorte que sa ministre ne fasse pas trop de gaffes. Sans un feu
vert de Marcourt, en tout cas, elle ne passe jamais à l’action ". Marcourt a été
un instant troublé dans sa quiétude lorsqu’en août
1992, les enquêteurs de la cellule Cools de Liège sont
venus le voir pour une perquisition dans le cadre de l’enquête
sur l’affaire de corruption Agusta. La justice a découvert
qu’au printemps ’89, l’avocat liégeois avait rendu visite au
siège principal du constructeur italien d’hélicoptères,
à Milan. "J’accompagnais une délégation
liégeoise", a déclaré Marcourt à
la Justice. Dans son esprit
non plus, il n’est pas question de conflits d’intérêts.
Il déclara le 26 juin au Financieel-Economisch Tijd
qu’il est administrateur en congé au sein du GIF depuis son
arrivée en tant que chef de cabinet chez la vice-Première
Onkelinx, qu’il n’a assisté à aucun conseil d’administration
chez GFI. C’est pourtant assez étonnant puisque Marcourt est
chef de cabinet chez Onkelinx depuis juillet 1999 et qu’il a rejoint
le conseil d’administration de GFI le 22 février 2001. Il semble difficile
d’échapper à la conclusion selon laquelle un certain
nombre de ministres wallons de premier plan non seulement soutiennent
le commerce des armes en région liégeoise, mais y sont
eux-mêmes concrètement impliqués par le biais
de toutes sortes d’hommes de paille. Certaines déclarations
faites cette semaine (article paru le samedi 31 août 2002)
résonnent dès lors d’un tout autre écho. Serge
Kubla, la semaine dernière : "Ce n’est pas
l’un ou l’autre imbécile d’AGALEV qui va nous expliquer à
qui nous pouvons livrer des armes et à qui nous ne pouvons
pas". José Happart, dimanche : "Pour
nous, les Wallons, il est insupportable d’être constamment attaqués
dans nos intérêts économiques par ceux qui nous
reprochent à chaque occasion d’être économiquement
inférieurs". Louis Michel, mardi :
"J’ai été blessé par la suspension de la
livraison d’armes P90 au Mexique. Nous avons perdu là un contrat
qui était important pour cette société. Ce contrat
positionnait ces armes pour le marché nord-américain.
Tout cela a été perdu. C’est surtout
l’utilisation du mot "nous" qui frappe dans ces citations." Traduction :
O. Taymans, J. Copieters, F. Lévêque.
POLITIQUE
& COMMERCE DES ARMES: LE CAS DE LA FN HERSTAL
Le
31 août 2002, au début de la "crise" des ventes
d’armes au Népal, le quotidien néerlandophone De Morgen
publiait un dossier spécial, sous la plume de Douglas De Konninck
& George Timmermans, sur les ventes d’armes belges et la FN Herstal.
Intitulé "La Wallonie, une jeune démocratie",
ce dossier révèle des données essentielles pour qui
veut comprendre certaines dimensions cachées de l’affaire, analyser
les ventes d’armes de la Belgique et cerner les intérêts
économiques et politiques sous-jacents. C’est pourquoi nous livrons
une traduction (partielle)des informations principales publiées
par le célèbre quotidien.
Intertitres
des traducteurs.
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