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Palestine, récolte des olives : 50 volontaires, des milliers sont nécessaires...
by Silvia Cattori Thursday October 17, 2002 at 07:16 PM

John Reese nous a dit que depuis deux semaines il a reçu des appels de villageois désespérés, qui attendent qu'on leur envoi des internationaux. Il ne nous a pas dit qu'il était attriste de voir que seulement une cinquantaines sont venus. Alors que nous devrions être ici par milliers pour former une chaîne efficace. Nous savons que nous sommes attendu. Nous sommes pressés d'arriver sur le terrain.

" On ne peut que se sentir menacés, saisis de peur, à chaque fois. "

Carissimi,

Des mon arrivée je me suis collée à la cinquantaine de personnes venues du Danemark, Grand Bretagne, Suède, États-Unis, Canada qui ont répondu à l'appel de l'ISM [l'International Solidarity Movement]. Il s'agit d'assurer la protection des paysans que les colons empêchent d'aller dans leur champ durant la collecte des olives. Comme eux j'ai suivi l'entraînement quasi militaire qui nous a été donné par George, le permanent Palestinien de l'ISM, et Jhon Reese, un américain connu en avril que j'ai eu le plaisir de retrouver.

Après deux jours d'un entraînement intense, nous nous sentons prêts à partir sur le terrain, comme à la guerre, prêts à affronter des colons extrémistes armés de fusils avec en tout et pour tout la conviction, pour l'avoir maintes fois expérimenté, que, une attitude de non violence, en présence d'un agresseur aguerri, peut s'avérer être une arme efficace.

On nous a appris à apprivoiser la peur pour commencer, car même si nul n'ose l'évoquer, elle est la bien chevillée au corps, on nous a appris à désarmer, si on peut dire, par un comportement donné, celui qui est préparé à verser haine et violence contre les Palestiniens. On nous a montré tout l'arsenal qu'utilisent les soldats israéliens contre les Palestiniens : on a fait passer dans nos mains les balles récoltées. Les plus petites ont la taille et la rondeur d'une bille et sont en caoutchouc, les plus grosses sont presque aussi grande qu'une canette de bière.

Les militants de l'ISM, qui est un mouvement très décentralisé, sont très vite mis dans le bain. Il y a des règles à respecter du genre pas de drogue, ni alcool, ni sexe. Quand on va dans les villages, on vit chez l'habitant : il s'agit de bien connaître les coutumes, les traditions et de les respecter strictement. Je suis heureuse de savoir que ces vagues de gens qui débarquent pleins de bonne volonté mais aussi de cliches, avec parfois un regard ethnocentriste, sont par l'ISM si bien préparés : ce serait mal fait de venir ici et de blesser par ignorance l'âme d'un peuple déjà suffisamment écorché. Un peuple très attachant, qui se coupe en huit pour nous faire plaisir.

Ici toutes les cinq minutes il y a quelqu'un qui arrive pour vous parler de dévastation et de mort. Dehors, l'idée s'est plus ou moins répandue, que les Palestiniens ont un rapport plus détaché que nous avec la mort. Les Palestiniens sont aussi sensibles que nous à la souffrance. Les israéliens ont l'art de faire croire que tous les Palestiniens qu'ils tuent sot des terroristes, des activistes. Or ce sont des victimes innocentes au même titre que les victimes israéliennes en vérité, ou alors des résistants qui se battent pour la liberté d'exister.

Il y a des hommes et des femmes qui souffrent mille morts à tout moment ici : des mères qui hurlent leur douleur, des épouses qui pleurent leur homme incarcéré, des enfants qui ont le regard vide de ce qu'ils ont vu de sang couler et qu'ils ne comprennent pas : ils sont sortis jouer et on les a mitraillés.

A peine arrivée, Amer, que vous connaissez par son nom, m'a tout de suite parle, en retenant ses sanglots, d'un membre de sa famille qui venait de se faire tuer. Une brave personne, tout ce qu'il y avait de plus pacifique. Tout le monde parle de ses morts, de la répression coloniale avec une rage contenue. Un chauffeur m'a parlé avec un air abattu des plantations d'oliviers que les colons ont brûle hier : des milliers d'oliviers qu'il a vu brûler impuissant. Si on songe que ces arbres millénaires, qui, avec le thym, sont le seul produit consommable qui pousse dans ces sols arides et caillouteux, que de la cueillette d'un arbre on peut extraire deux litres d'une huile d'un parfum incomparable, on comprend ce que cela représente comme désastre pour les paysans qui voient chaque jour leur plants partir en fumée.

John Reese nous a dit que depuis deux semaines il a reçu des appels de villageois désespérés, qui attendent qu'on leur envoi des internationaux. Il ne nous a pas dit qu'il était attriste de voir que seulement une cinquantaines sont venus. Alors que nous devrions être ici par milliers pour former une chaîne efficace. Nous savons que nous sommes attendu. Nous sommes pressés d'arriver sur le terrain. Seuls, sans témoins, ils n'ont plus le cour à sortir dans leurs champs. Tout de suite les colons sont arrivés ces derniers temps pour les en chasser à coup de fusils et pour leur crier que ces terres leurs appartiennent. Ghassan nous a dit que l'on assise cette année, dans toute la Palestine, à un type d'harcelement que l'on n'avait connu jusqu'ici qu'aux environs d'Hebron. Et cela est fort inquiétant.

7 personnes sont parties à Naplouse, toujours prise en tenaille par l'armée et bien évidemment les colonies qui la surplombent : donc on ne peut y entrer qu' en faisant des circuits pas possibles. Ils vont renforcer le groupe de huit internationaux qui sont déjà sur place.

15 personnes sont parties à Salfis, dans une région où les villages sont isolés par l'armée et les paysans ne peuvent communiquer entre eux ni sortir de chez eux en sécurité.

15 personnes sont parties à Tulkarem et Kalkilia. Là-bas c'est très dur. L'armée maintien la pression et la répression. Il y a le fameux mur haut de 10 mètres qu'ils voient pousser avec épouvante et qui empiète sur leurs terres, il y a les assassinats quasi quotidiens, les maisons fouillée, les arrestations, il y a les colons, il y a le couvre feu, bref tout est fait pour leur rendre la vie invivable. C'est impossible d'entrer et sortir de ces deux petites villes martyrisées. Sans parler du sort des paysans qui les environnent. Là il y a une énorme attente. Même si, suite à des assassinats ciblés l' été passé les villageois sont devenus méfiants vis à vis des gens venus du dehors. Il y avait un espion israélien parmi les pacifistes. Quelqu'un l'a reconnu en habit d'officier peu après les assassinats... Cela vous donne une idée du contexte. Les Palestiniens sont traqués jusqu'à l'insupportable.

Hier, à Bethléem, alors que nous étions à trois cent mètres de là, ils ont tué un jeune homme qui téléphonait depuis une cabine. Ils sont très bien renseignés. Ils frappent quand ils sont là, ils frappent alors qu'ils sont invisibles. Tout à l'heure, alors que nous descendions du bus, porte de Damas, on voit un groupe d' hommes qui se retirent prudemment. On s'avance. On voit une jeep remplie de policiers, puis deux policiers à cheval, puis des soldats :c'est toujours impressionnant ici, car ils n'y vont pas de main morte. On ne peut que se sentir menacés, saisis de peur, à chaque fois. Ce sont des moments où tout se fige, tout se tait, et les visages sont splendides de gravité et d'une attente qui sculpte les traits.

Nous, les femmes, sommes allées nous terrer dans une échoppe en attendant que l'orage passe. Je suis à Ramallah ce soir chez une Palestinienne qui m'a vu arriver et m'a tout de suite proposé de me joindre au groupe qui se prépare à aller demain dans des villages tout proches.

Ici il fait très chaud. Une chaleur humide, alors que tout est sec et que l'on est couvert de poussière des pieds à la tête. Les israéliens se font un malin plaisir à tout lacérer, à ne laisser que ruines et laideurs sur leur passage...

Merci de vos mots.

Silvia