Enquête Gladio/Stay behind/P2:une nouvelle milice parallèle se structure by Enrico Porsia Thursday October 17, 2002 at 12:33 AM |
Cet article a été publié le 7 novembre 2001 dans le n°6 des Enquêtes interdites.Découvrez tous nos articles exclusifs en vous abonnant.
"Préparons-nous à nous battre à côté des Etats-Unis d'Amérique dans ce qui probablement, certainement même, sera la troisième guerre mondiale. La civilisation contre la barbarie: comme les anciennes légions romaines qui firent un désert et l'appelèrent paix. C'est le seul moyen dont nous disposons pour sauver notre culture, notre liberté, nos familles". Après les attentats du 11 septembre, cette annonce s'affichait sur le site Web d'un parti italien bien singulier, "Destra Nazionale". La droite nationale. "Dans les prochains mois, l'Italie pourrait être frappée par des attaques d'une violence inimaginable de la part des pays islamiques du bassin méditerranéen. Notre nation pourrait être détruite, avant même que les forces alliées puissent intervenir en aide aux Forces armées présentes sur notre territoire. 1.500.000 Islamiques sont déjà présents sur notre sol. Combien d'entre eux nous attaqueront-ils? Les Forces armées et la Police suffiront-elles à nous protéger? NON. Notre défense, doit venir de nous-mêmes avec les "Reparti di Protezione Nazionale" (Détachements de Protection Nationale). En cas de grave danger, ils seront un support valide aux Forces armées. Viens combattre avec nous, deviens une Chemise grise!"
Immédiatement un lien hypertexte aiguille l'internaute
vers la page de propagande de cette nouvelle milice. Les Détachements de Protection Nationale, les Chemises grises. Cette organisation dispose d'un statut régulier. Rien de plus légal. On peut y lire "Les Détachements de Protection Nationale sont une organisation volontaire de libres citoyens qui avec leur engagement veulent exalter les valeurs jamais éteintes qui, depuis toujours, sont présentes dans le coeur de chaque Italien: Dieu, Famille, Patrie". Malgré le fait que cette libre association de citoyens dispose d'uniformes militaires, il est bien spécifié dans son règlement que "Les Détachements de Protection Nationale excluent armes et violence ainsi que tout autre comportement reconductible à des organisations militaires ou paramilitaires..." Cette déclaration d'intentions, ô combien angélique, n'empêche pourtant pas de mettre en évidence, sur la "home-page" du parti, un lien hypertexte qui vous envoie directement sur la page Web d'un véritable supermarché militaire domicilié aux Etats-Unis. Ici, à côté d'un bandeau publicitaire de Smith & Wesson vous pouvez, au moyen de votre carte bancaire préférée, faire vos emplettes. Visa, Mastercard et American Express sont les bienvenues... vous êtes en Amérique, pays de liberté!
Les Etats-Unis exercent une fascination bien particulière chez les dirigeants de "Destra Nazionale"... qui ont même importé, à quelques détails près, le logo officiel de la CIA pour en faire le symbole de leur parti. Telle une marque d'usine. Et pour cause... Le "Chef" de "Destra Nazionale" n'est autre que Gaetano Saya. Un homme qui a fait carrière dans le réseau occulte de l'OTAN, Gladio/Stay behind.
Le leader de "Destra Nazionale", a aussi longtemps adhéré au Mouvement Social Italien - Droite Nationale, (créé après la guerre par l'ancien milicien fasciste Giorgio Almirante) dont Gianfranco Fini, l'actuel allié de Berlusconi, à été le secrétaire national. Or, Saya a très mal vécu le fait que le 27 janvier 1995, le parti des fascistes italiens change de nom pour s'appeler "Alleanza Nazionale". Pour Saya, il s'agit bien d'une trahison. "Fini a vendu le drapeau du social-fascisme et du corporatisme pour devenir un courant, même pas le plus radical, de Berlusconi", proclame fièrement ce fasciste de souche. A partir de cette date, Saya réunit autour de lui un petit noyau de gardiens du temple mussolinien qui se revendiquent comme les seuls héritiers légitimes "des idéaux que le monde entier nous a enviés: l'Histoire nous donnera raison". Le mouvement Destra Nazionale est né. Le 12 juillet 2000, il se structure en parti. Gaetano Saya, qui se définit comme "le chef absolu", aime raconter sa vie en soulignant "qu'il a été élevé par son grand-père Matteo Francesco, qui lui avait inculqué l'amour pour la patrie et pour le Duce". Gaetano Saya se décrit lui-même comme un fasciste... par filiation.
Né en 1956, Saya s'enrôle d'abord, en 1974, dans la police, mais très vite il découvre sa véritable vocation. Le renseignement. C'est ainsi qu'il rejoint la structure occulte des services secrets de l'OTAN, Gladio. En 1975, il est initié par le général Santovito, chef du SISMI, le service secret militaire italien, et membre de la loge P2, dans une loge réservée, "Divulgation 1". Cette loge, encore plus secrète que la P2, a un caractère international et est partie intégrante du dispositif souterrain de l'OTAN. Par l'intermédiaire du général Santovito, qui avait participé à la tentative de coup d'Etat mise au point en 1974 par les services américains sur la Péninsule, Saya était en contact avec le "vénérable" grand maître de la loge P2 Licio Gelli. Les rapports entre ces deux personnages se sont poursuivis au fil du temps. Dans une lettre de 1991, Licio Gelli disait son estime et sa sympathie à Gaetano Saya en lui offrant une lumineuse définition de la vérité: "La vérité a un seul visage, celui de l'honnêteté vers les autres et envers soi même..." Entre "hommes d'honneurs" cela va sans dire...En 1997, Gaetano Saya est convoqué en qualité de témoin au procès intenté, à Palerme, contre l'ancien président du Conseil italien Giulio Andreotti, accusé de participation à association mafieuse. Devant les juges, Saya déclare que Giulio Andreotti est le commanditaire de l'assassinat du général Carlo Alberto Dalla Chiesa, lui aussi un ancien de le P2, qui fut tué peu après sa nomination comme préfet de Palerme en 1982. A cette occasion, Saya a déclaré publiquement devant les juges qu'il était un ancien agent secret de l'OTAN et qu'il avait entretenu des rapports très étroits avec des réseaux maçonniques américains ainsi qu'avec Licio Gelli. A l'appui de ses dires, il n'a pas hésité à exhiber devant la cour sa correspondance avec le vénérable maître de le P2. Concernant le rôle d'Andreotti comme commanditaire de l'assassinat du général dalla Chiesa, Saya a affirmé qu'il devait cette information au général Santovito. "C'était le 16 juin 1982" a raconté Saya aux juges. Il s'en souvenait parfaitement, car ce jour à Palerme avait eu lieu un règlement de comptes. Un clan mafieux avait assassiné Alfio Ferlito, chef d'un clan rival, criblé de balles pendant son transfert d'une prison à une autre.
Les tueurs n'avaient pas hésité à abattre également les trois carabiniers qui escortaient Ferlito. Le général Dalla Chiesa s'était rendu immédiatement sur les lieux du drame. Saya se souvenait que ce jour-là, il était en train de demander au général Santovito de l'appuyer afin qu'il puisse réintégrer les rangs de la police italienne. Santovito lui répondit que l'affaire était très compliquée, vue son implication dans l'affaire de la loge P2. Saya lui rétorqua que Dalla Chiesa, qui avait lui aussi fait partie de la loge de Licio Gelli, venait d'être promu préfet. Face a cette "injustice" manifeste, le général Santovito lui aurait alors révélé que les jours de Dalla Chiesa étaient comptés: c'était Giulio Andreotti, selon ses dires, qui souhaitait sa mort. Au moment de cette déposition fracassante, le général Santovito était malheureusement décédé depuis une dizaine d'années. Et, comme le fit remarquer le fils du préfet Dalla Chiesa: "Il y a une stratégie qui semble vouloir frapper Andreotti en faisant parler les morts, mais, à la fin de cette histoire, Andreotti démontrera que toutes ces accusations n'ont aucun fondement et, ainsi il arrivera à s'en sortir". Tel sera bien le cas. À la fin d'un procès interminable, Andreotti fut acquitté.
Lors de son audition, Saya fut aussi interrogé par l'avocate de la défense, Giulia Bongiorno. Elle insista afin de connaître la structure de l'OTAN pour laquelle Saya avait travaillé si assidûment. L'acharnement de l'avocate se heurta à l'inlassable réponse du témoin: "Je ne peux pas vous répondre, c'est un secret OTAN". Et, quand l'avocate d'Andreotti lui demanda pour quelle raison il ne s'était pas manifesté plus tôt, tout au moins après l'assassinat de Dalla Chiesa, Saya répondit, tranquillement: "Je ne l'ai pas fait". Et il quitta tout aussi tranquillement le tribunal à la suite de son témoignage.
Aujourd'hui, le parti de ce monsieur affirme publiquement que "les Forces armées italiennes, ainsi que les forces de police sont littéralement abandonnées par ces politiciens qui ne se préoccupent pas de ceux qui défendent, avec les armes, la Patrie". Il souligne ensuite que "la Droite Nationale en concertation avec des représentants des Forces armées et de la police nationale a élaboré un programme qui servira de base pour la suite de l'activité politique en faveur des Forces armées de l'Etat". "Destra Nazionale" se propose ainsi de devenir le porte-parole des forces armées et des fonctionnaires de police. Il faut souligner que les structures répressives sont pour eux une source d'inspiration irremplaçable. Tel un héros, la photo de Pinochet est fièrement affichée sur leur site Internet avec cette mention: "Vous êtes des communistes, vous voulez détruire les fondements de la société, les valeurs fondamentales de notre civilisation chrétienne, l'existence même du monde libre. Vous êtes des ennemis qui doivent être combattus avec tous les moyens. Vous êtes le mal. Pinochet est le remède". Le responsable de la coordination du parti "Destra Nazionale" (qui dispose de 20 bureaux dans la Péninsule) s'appelle Giuseppe Scarano. C'est un fonctionnaire de police actuellement en poste à la préfecture de Milan.
Avec de tels défenseurs de la civilisation chrétienne, l'Oncle Sam trouvera sûrement les croisés dont il rêve dès que l'opportunité se fera sentir.
Tout ceci se passe aujourd'hui, en Europe. "Destra Nazionale" est un parti légal dans une République italienne où, constitutionnellement, toute reconstitution du parti fasciste est interdite. Pour l'instant.