Les sursauts d'illogisme de Bush by Robert Jensen (traduit par Yannindy) Sunday October 13, 2002 at 09:17 PM |
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Bush fait déclaration sur déclaration, pour tenter de justifier sa guerre contre l'Irak. Mais la logique tordue de Bush n'arrive toujours pas à convaincre les intellectuels (ni les autres, d'ailleurs)
Robert
Jensen, 10 octobre 2002 Georges Bush a prononcé au moins une vérité dans son discours
de lundi soir, c'est que "de nombreux Américains ont posé
des questions légitimes" à propos de son empressement à
faire la guerre à l'Irak. Prenons l'affirmation de Bush selon laquelle, si l'Irak pouvait "produire,
acheter ou voler de l'uranium hautement enrichi, en quantité pas plus
importante qu'un simple ballon de football, le pays pourrait développer
l'arme nucléaire en moins d'un an". C'est plus que probable, mais
cela revient à dire que "si l'Irak avait l'arme atomique, il aurait
l'arme atomique". Créer les autres composants d'une bombe atomique
est facile, c'est bien entendu la matière fissile qui pose problème.
Les arguments de Bush peuvent finalement se résumer à "Personne
ne peut prouver que Saddam Hussein n'a pas l'intention de nous attaquer. Et
s'il obtenait l'arme atomique, personne ne peut prouver qu'il ne l'utiliserait
pas". Voyons aussi l'autre argument de Bush: "L'Irak pourrait décider
n'importe quand de donner des armes chimiques et bactériologiques à
des groupes terroristes, ou à des individus". Oui, il le pourrait.
Mais, en imaginant que l'on accepte le fait que Hussein ait des stocks d'armes
utilisables, pourquoi les donnerait-il? Bush nous a rappelé que Saddam
Hussein est un dictateur affamé de pouvoir, qui veut obtenir un contrôle
total. Peut-on imaginer une telle personne donner des armes puissantes à
un groupe externe qu'il ne pourrait contrôler? Spécialement en
sachant que Hussein est un laïc nationaliste, et les groupes extérieurs
des fanatiques religieux? Est-ce la manière dont agirait quelqu'un qui
s'accroche au pouvoir? Bush a au moins confirmé que nous savons peu de choses à propos
de la capacité nucléaire de Saddam, mais il a menti en expliquant
pourquoi. Bush prétend que l'Irak a expulsé les inspecteurs de
l'Agence Internationale de l'Energie Atomique en 1998. En fait, ces inspecteurs,
comme ceux de la commission spéciale de l'ONU, ont été
retirés par leurs agences respectives, et non pas expulsés par
l'Irak, en décembre 1998, quand il est devenu évident que l'administration
Clinton allait bombarder l'Irak (ce qu'elle a fait), et que l'on ne pouvait
garantir la sécurité des inspecteurs. Au moment où Bush aurait du répondre aux questions légitimes
que se pose son peuple, il fait une pirouette et joue cyniquement sur l'émotion.
Pour expliquer pourquoi cette guerre est nécessaire aujourd'hui, il cite
l'horreur du 11 septembre. "Nous avons vu que ceux qui haïssent l'Amérique
sont prêts à jeter des avions sur des immeubles pleins d'innocents.
Nos ennemis n'auraient pas plus de scrupules (en fait, ils en seraient heureux)
à utiliser des armes bactériologiques, chimiques ou nucléaires". Oui, mais les gens qui ont commis les attentats du 11 septembre n'étaient
pas des agents de Saddam Hussein. Le fait qu'un ennemi des Etats-Unis ait utilisé
ce genre de terrorisme ne signifie pas que tous ceux qui n'aiment pas les USA
et sa politique vont faire de même. En fait, les deux seules fois où
Saddam a utilisé l'arme chimique (lors de la guerre Iran-Irak et contre
les Kurdes irakiens), c'était dans les années 80, où il
était l'allié des Etats-Unis, et avait son support implicite.
L'argument de Bush se résume à ceci: "Personne ne peut prouver
que Saddam Hussein ne se prépare pas à nous attaquer. Et, s'il
avait l'arme atomique, personne ne peut prouver qu'il ne l'utiliserait pas.
Et, s'il l'utilisait, c'est possible qu'il puisse nous détruire. Donc,
pour mettre un terme à cette "menace qui se lève contre nous"
inconnue, non prouvée, inquantifiable et défiant toute logique,
nous devons faire la guerre ou risquer de voir un champignon nucléaire
au-dessus des USA". Pour arriver à cette fin, Bush est prêt à risquer un grand
nombre de victimes civiles, la destruction complète d'un peuple déjà
dévasté et appauvri par une guerre et presque douze ans d'embargo
économique, et un monde d'après-guerre qui risque d'être
dangereusement chaotique. Je ne peux pas prouver que cela va se passer, mais
étant donné la façon brutale dont les Etats-Unis font la
guerre, avec des bombes larguées de haut et des armes qui tuent aussi
bien des civils que des militaires, en prenant directement pour cible des infrastructures
civiles, et un manque d'intérêt persistant pour tout ce qui concerne
les victimes civiles, mon scénario est nettement plus probable que les
craintes de Bush. Les tactiques de Bush n'empêcheront pas le gens de voir ce qui est évident:
les plans guerriers ne servent pas à protéger les gens, mais à
projeter le pouvoir. Le but visible de Bush est d'étendre et de renforcer
le contrôle US sur les réserves stratégiques de pétrole
au Moyen-Orient. Un gouvernement croupion à Bagdad renforcerait le pouvoir
US dans la région, par le contrôle des flux pétroliers et
l'établissement de ce qui sera certainement une base américaine
permanente, qui pourra à son tour servir de point de départ pour
d'autres actions militaires dans la région. Même si les experts de la télévision et autres lèches-bottes
politiques ont été prolixes sur les prétendues qualités
d'homme d'état de Bush et ses arguments prudents, les vraies questions
demeurent sans réponses. Les gens continuent à les poser. Et Bush
et son administration essaient de les enterrer sous l'émotion, pas l'évidence,
et la rhétorique, pas la raison. Bush a montré ces derniers mois
son mépris de l'ONU et du monde. Ce lundi soir, on a pu voir qu'il tenait
dans la même estime l'intelligence du peuple américain. Robert Jensen est professeur de journalisme à
l'université du Texas à Austin. Il est membre du collectif "Nowar",
et l'auteur du livre " Writing Dissent: Taking Radical Ideas from the Margins
to the Mainstream" et du pamphlet "Citizens of the Empire." On
peut le joindre à l'adresse rjensen@uts.cc.utexas.edu Voir aussi: le collectif Nowar
Le congrès devrait voter d'engager la guerre ce 10 octobre, et on s'attend
à ce que le sénat suive la semaine prochaine. Mais la logique
tordue de Bush n'arrive toujours pas à convaincre. Même la CIA
met en cause les arguments présidentiels. Dans l'article ci-dessous,
Robert Jensen fait le point sur les mensonges contenus dans la dernière
déclaration de Bush sur les raisons pour lesquelles les Américains
devraient attaquer l'Irak. Vous pouvez aussi lire une excellente analyse, point
par point, du discours de Bush ici
(en anglais).
Mais il continue à ne pas comprendre ce que le peuple américain
et le reste du monde exigent dans ce débat sur la guerre: des preuves
crédibles, pas des spéculations et des mensonges; des affirmations
défendables, pas des monuments d'illogisme; et une réponse au
scepticisme croissant au sujet des motivations du gouvernement.