Rambush s'arroge le droit d'agresser tout pays sans même un prétexte by DAVID PESTIEAU Thursday September 12, 2002 at 11:34 PM |
michel.collon@skynet.be |
Il animait la mission internationale des "inspecteurs de la paix" en Irak en avril dernier. Il a écrit "Attention, médias! Les médiamensonges du Golfe", devenu ouvrage de référence sur la désinformation. Michel Collon commente à chaud le discours de Bush...
Rambush s'arroge le droit d'agresser tout pays sans même un prétexte
Il animait la mission internationale des "inspecteurs de la paix" en Irak en avril dernier. Il a écrit "Attention, médias! Les médiamensonges du Golfe", devenu ouvrage de référence sur la désinformation. Michel Collon commente à chaud le discours de Bush...
Michel Collon. Manifestement, Bush, fort critiqué pour son style Rambo, a voulu se donner une image plus « consensuelle ». Le temps d'un discours. Faire croire que sa guerre pour le pétrole et sa mondialisation incarne la volonté de tous. Or le monde entier a déjà dit qu'il ne voulait pas de cette guerre.
Mais Bush se vante « d'apporter l'aide médicale là où on l'attend désépérément »…
Michel Collon. Comme si c'était le problème ! Si les gens sont désespérés, c'est justement parce que les multinationales affament des pays entiers. Elles détruisent des économies entières. Mais que propose Bush propose comme « solution » ? « Etendre le commerce et la prospérité qu'il apporte ». Or, justement, tous les pays du tiers monde disent à chaque négociation OMC que ce commerce-là, dominé par les multinationales du Nord, ne cesse de les appauvrir et d'augmenter le fossé. Bush mérite le prix Nobel ! De l'hypocrisie.
Venons-en au fond. Un discours important ?
Michel Collon. Oui, la superpuissance US a formulé une nouvelle doctrine : elle s'arroge le droit d'attaquer n'importe quel pays sans aucune raison, sans même un prétexte (par exemple, que ce pays en aurait envahi un autre), mais simplement sur base de « soupçons ». En fait, les USA se sont arrogé le droit de se comporter en « agresseur » au sens technique du droit international. Ce pays devient officiellement « United States of Aggression ».
« Pas de justification », dites-vous. Mais Bush a avancé plusieurs accusations contre l'Irak. Accusation n° 1 : violation des droits de l'homme.
Michel Collon. Culotté de la part de Washington qui a soutenu Pinochet, Mobutu, les généraux turcs et leur emploi d'armes chimiques au Kurdistan, les féodaux d'Arabie saoudite (pays sans Constitution !), les généraux d'Indonésie et leur génocide à Timor. Et bien sûr l'apartheid d'Israël.
Mais il décrit ces « femmes torturées en présence de leurs maris, d'enfants torturés en présence de leurs parents »…
Michel Collon. Son père disait que les Irakiens avaient volé 312 couveuses à la maternité de Koweït City : pur médiamensonge made in Hollywood. Que Saddam avait volontairement provoqué une gigantesque marée noire : c'étaient les Etats-Unis eux-mêmes. Qu'il torturait ses prisonniers de guerre : la BBC avait caché la cassette vidéo prouvant le contraire.
Chacune des guerres US des cinquante dernières années a été précédée de gros médiamensonges, discrètement démentis ensuite. Les récits d'atrocités guerrières sont le morceau préféré. Mais chacun sait que les USA refusent une Cour Pénale internationale : ils savent trop que leurs propres généraux et dirigeants accumulent les crimes de guerre : Corée, Vietnam, Nicaragua, Panama, Yougoslavie, Afghanistan…
Accusation n° 2 : L'Irak ne rendrait pas les prisonniers de la guerre de 91 et refuserait d'indemniser les Koweïtiens pour les dommages de guerre...
Michel Collon. Le Koweït n'est pas un pays, mais un régime artificiel créé de toutes pièces par le colonialisme. Il y a quelques mois, Le Monde Diplomatique a montré comment Washington poussait le Koweït à réclamer le retour de personnes décédées. Et à tellement gonfler les dommages réclamés (sans aucune vérification, ni enquête) afin qu'il soit impossible pour l'Irak de rembourser. But : conserver un prétexte de guerre.
Mais le morceau de résistance, c'est les armes de destruction massive.
Michel Collon. Les inspecteurs de l'ONU eux-mêmes ont déclaré que l'Irak avait été désarmé. Leur chef Scott Ritter, un républicain très à droite, a dénoncé les manipulations de Bush.
Pourtant, récemment, les principaux dirigeants US ont insisté sur la menace nucléaire irakienne, prouvée par une photo et un rapport de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique...
Michel Collon. Laquelle a démenti aussitôt, disant que la photo ne montrait rien et que son rapport disait le contraire! Ca aussi, c'est culotté ! Israël amasse illégalement plus de cent têtes nucléaires, personne n'en parle. Mais surtout les Etats-Unis sont la plus dangereuse puissance nucléaire du globe : 6000 têtes nucléaires. Et ils se sont officiellement déclarés prêts à les employer, même contre des pays sans nucléaire !
En fait d'armes de destruction massive, ce sont les Etats-Unis qui en ont le plus employé dans l'histoire : Hiroshima, armes biologiques en Corée, "Agent Orange" au Vietnam, etc.
Une vulgaire guerre pour le pétrole, donc ?
Michel Collon. Oui, comme nous le disons depuis 1991, et comme la plupart des dirigeants politiques européens l'admettent à présent. Washington entend contrôler le prix du pétrole (maintenir le vol des matières premières en fait) et contrôler toutes les sources du pétrole (donc pouvoir faire chanter ses rivaux européens et japonais). C'est seulement ça qui inquiète l'Union Europénne (U.E.)
Qui semble devenir quand même une "force de paix"...
Michel Collon. J'ai été frappé par le ton de Louis Michel au JT spécial RTBF depuis "Ground Zero" New York. On n'arrêtait pas de critiquer Rambo-Bush... Tant mieux si les pays riches sont divisés entre eux. Tant mieux si Bush est isolé.
Mais ne nous faisons pas d'illusions. Sur le fond, Louis Michel, Chirac, Schröder veulent, tout comme Bush, maintenir la domination des multinationales sur les matières premières du tiers monde. Sauf qu'eux pensent d'abord aux multinationales européennes. Et qu'ils craignent qu'un style trop cow-boy enflamme la révolte des pays arabes, provoquant le renversement de régimes pro-occidentaux (Egypte, Arabie, Jordanie...) Ils veulent aussi un Irak à genoux, et tous les Arabes à genoux. Mais par des moyens plus diplomatiques et moins grossiers.
Tous les Arabes à genoux ?
Michel Collon. C'est bien le premier but, en effet. Le Washington Post vient de publier un important article exposant les vues des extrémistes de l'administration Bush : "L'Irak est juste la première pièce du puzzle. Après avoir évincé Saddam les États-Unis auront plus de force d'appui pour agir contre la Syrie et l'Iran, pour être en meilleure position afin de résoudre le conflit israélo-palestinien, et pour moins compter sur le pétrole saoudien. Le but n'est pas uniquement un nouveau régime en Irak; le but est un nouveau Moyen-Orient."(WP, 11/9).
"Résoudre le conflit israélo-palestinien", c'est évidemment briser l'OLP. Et sans doute déporter les ¨Palestiniens en Jordanie ou en Irak justement. Parler de "première pièce du puzzle" montre bien que Bush a lancé une guerre globale. D'autres pays du Moyen-Orient suivront. Et la Corée. Tout cela pour isoler et encercler l'adversaire final, la Chine, et faire main basse sur son marché convoité. En fait, pour sortir de la crise, le système capitaliste a besoin de recoloniser les territoires qui lui ont échappé, même en partie. C'est ça la guerre globale : la recolonisation totale du monde.
La guerre, conséquence de la crise ?
Michel Collon. Et aggravation de la crise! Cette guerre-ci pourrait faire flamber le prix du pétrole. Multipliant les faillites et restructurations. Que les travailleurs paieront bien sûr: licenciements, dérégulation sociale, augmentation des budgets militaires...
En Europe aussi?
Michel Collon. Bien sûr. Le social va payer pour les marchands de canons! Relisez le document du président belge du Sénat, critiquant Bush, pour avancer ensuite les pions propres des multinationales européennes de l'armement : "Il faut maintenant en tirer toutes les conséquences politiques, budgétaires
(je souligne),structurelles et opérationnelles : les Européens devront très prochainement envisager la création d'une véritable armée européenne directement financée par le budget communautaire." (Le Soir, 10/11, p. 13). Ce que j'avais annoncé dans mon livre Monopoly, au lendemain de la guerre contre la Yougoslavie.
Vous n'avez pas confiance dans les réserves exprimées par Schröder et Chirac?
Michel Collon. Ils avaient aussi émis des réserves, moins fortes il est vrai, avant la guerre contre la Yougoslavie. Mais ils font déjà le jeu de Bush en faisant semblant que le problème, c'est les inspections, et en refusant la juste exigence irakienne : des inspections, oui mais sans les espions de la CIA et avec un calendrier pour mettre fin à l'embargo qui assassine.
Justement, Bush dit "n'avoir rien contre le peuple irakien".
Michel Collon. Ils n'ont jamais rien contre les peuples bombardés, leurs guerres sont toujours humanitaires ! Mais les experts avertissent : une invasion, même limitée, tuerait un million d'Irakiens en démantelant le système central qui les approvisionne en nourriture dans les conditions d'embargo. Ce serait une guerre aux conséquences encore plus barbares dans ce pays étranglé.
A quoi faut-il s'attendre ?
Michel Collon. Comment avant chaque guerre: nous allons avoir une phase de médiamensonges quotidiennement ressassés, de mises en scène CNN, du bourrage de crâne pour faire peur aux gens, qu'ils croient que vraiment l'Irak les menace.
Et une provocation majeure. L'Ouest fera à l'Irak une offre volontairement inacceptable : imposer des inspections avec des forces militaires occidentales d'occupation. Ce qu'ils avaient proposé en 99 à la Yougoslavie, juste afin d'avoir un prétexte pour la bombarder (cfr Michel Collon, Monopoly, ed. EPO, 2000, pp. 38-41). Et l'U.E. marchera en se vantant d'avoir obtenu (à coups de chantages en coulisses) une approbation par l'ONU.
C'est à désespérer, alors ?
Michel Collon. Non, si l'U.E. hésite c'est à cause de la résistance des Palestiniens, des masses arabes, et aussi de pas mal de travailleurs en Europe. Et même aux USA: nos amis US annoncent une très grosse mobilisation pour leur manif du 26/10.
Qui veut arrêter cette guerre, n'a pas trente-six solutions : seule la mobilisation et l'unité internationale des peuples peut mettre en échec Rambush & C° !