La solidarité avec la Palestine
dans le mouvement anti-mondialisation by Dominique Wednesday August 14, 2002 at 01:16 PM |
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La solidarité avec la Palestine dans le mouvement de résistance anti-mondialisation Mohammed Taleb
Le soutien public aux Palestiniens et à leur lutte de libération nationale de la part de la Confédération paysanne et, notamment, de José Bové, dessine une situation relativement nouvelle du point de vue de notre solidarité, en France et en Europe, avec ce peuple. En vérité, ce soutien ne date pas de 2001 et la Confédération paysanne est un syndicat qui s'est toujours positionné aux côtés des combats, en particulier anti-coloniaux, des peuples du Sud. La nouveauté dont nous parlons réside dans le fait que ce soutien exprime dans le contexte d'une montée en puissance des dynamiques de résistance à la mondialisation, de contestation d'un modèle de développement anti-écologique et anti-sociale, et cela à l'échelle de la planète. La conjonction entre les exigences de respect de la biodiversité naturelle, de droit à l'environnement, de justice sociale, de démocratie,, de respect de la biodiversité culturelle et spirituelle, des droits de l'homme et des droits des peuples, et de développement durable, contribue largement à la mise en place d'une relative convergence entre les peuples du Sud et les secteurs contestataires des sociétés du Nord. De Seattle à Nice, de Gottebord à Gênes, de Millau à Porto Alegre, nous assistons à la naissance d'une nouvelle géographie de la militance des peuples et des communautés, des hommes et des femmes, qui aspirent à un autre monde.
La Confédération paysanne représente, très certainement, l'une des expressions les plus fortes de cette nouvelle militance. Ancrée dans les tissus des ruralités des régions de l'Etat français ( comme l'attestent les résultats électoraux aux dernières chambres agricoles en janvier 2001 ), la Confédération paysanne est aussi attentive aux enjeux internationaux de la question paysanne et, d'une façon plus générale, de la question sociale planétaire. A travers la Coordination Paysanne Européenne et le mouvement international Via campesina, ce syndicat veut être présent dans la solidarité avec les luttes paysanne d'Amérique latine ( comme au Mexique ou au Brésil ), d'Asie ( comme en Inde ) et d'ailleurs. C'est dans ce cadre que la solidarité avec la Palestine et son peuple s'inscrit.
Rémi Arnauld, dans un article du mensuel de Confédération paysanne, Campagnes solidaires ( n° 143, juillet-août 2000 ), utilise une très belle expression pour caractériser cette nouvelle militance paysanne, " L'Internationale du droit à la terre ". toute la malheureuse histoire contemporaine du peuple palestinien, plus particulièrement depuis la catastrophe ( en arabe nakba ) de 1948, quand la Palestine disparaissait de la géographie, témoigne de cela : les Palestiniens font partie de cette Internationale du droit à la terre !
N'oublions pas que l'Israël est un " fait colonial ", pour reprendre l'expression du professeur Maxime Rodinson et que le sionisme réellement existant est un mouvement de dépossession de la terre palestinienne et de dispersion de son peuple ( il y a, cinquante années après le début du conflit, plus de quatre millions de réfugiés ). José Bové, au cours d'un entretien qu'il nous accordait à la suite de l'envoi de la première mission civile de protection du peuple palestinien en Palestine ( juin 2001 ), qualifiait, avec une grande justesse, l'Etat israélien d'Etat " hors sol ", c'est à dire d'un Etat qui, comme l'agriculture hors sol, dévitalise la terre réelle, tue la terre vivante. Est-ce un hasard si la grande journée symbole, dans la conscience palestinienne et même, au delà, arabe, est la " Journée de la Terre ", youm el-Ard ? Cette date commémore l'insurrection paysanne du 30 mars 1976 en Galilée occupée. Il y eut une terrible répression de l'armée israélienne. Est-ce un hasard si l'une des dynamiques les plus importantes du mouvement de libération nationale palestinien, dans les années 1950 et 1960, fut le Mouvement de la Terre ( el-Ard ) ? L'exigence de la libération de la Palestine, pour les réfugiés palestiniens du Liban, de Syrie, de Jordanie, de Gaza, pour les habitants de la Cisjordanie, de la Galilée, de Saint-Jean d'Acre, de Jaffa, etc…, a-t-elle une autre signification que la libération de la terre occupée ?
Nous ne rappellerons pas ici les dimensions proprement environnementales du conflit israélo-palestinien et israélo-arabe, notamment de la captation israélienne des eaux. De nombreux militants y sont attentifs et des structures associatives travaillent sur ces enjeux écologiques et agricoles ( comme Vétérinaires sans Frontière, l'Association France-Palestine Solidarité ou le CCFD, par exemple qui travaillent avec le Palestinian Agricultural Relief Commitee ). En fait, l'articulation entre la question palestinienne et la contestation anti-mondialisation dépasse de loin, en même temps qu'elle l'intègre, cette problématique environnementale. L'articulation est plus profonde que nous pourrions l'imaginer. Le conflit israélo-palestinien n'est pas uniquement un conflit entre un Etat colonial ( l'Israël ) et une terre occupée ( la Palestine ) ; ce qui est en question c'est aussi tout un modèle de développement, toute une façon de penser le monde, toute une civilisation en somme. On ne dira jamais assez à quel point ce conflit oppose, en dernier lieu, le Système-Monde ( qui est la projection planétaire du Système-Occident ) et la sphère arabe de l'humanité. Nous sommes en vérité assez loin de la thèse réductrice et mutilante qui veut faire du conflit israélo-arabe une " affaire de famille " entre Juifs et Arabes. Le sionisme, avant son entrée en force dans le judaïsme vers la fin du XIXème siècle était une idéologie religieuse chrétienne occidentale. Alors que les Juifs refusaient, majoritairement la création d'un " Etat pour les Juifs " qui serait un " Etat juif " ( pour des raisons théologiques, mystiques ou éthiques ), des Chrétiens considéraient que le " retour " des Juifs en " terre promise " accélérait le retour du… Christ ! Les stratèges et les militaires de l'Angleterre du XIXème siècle surent profiter, contre l'Empire Ottoman, des aspirations de ce sionisme chrétien.
Ne pas sais saisir le caractère organique de la relation Israël / Occident s'est méconnaître une dimension essentielle de la solidarité avec le peuple palestinien : la critique de ce " sionisme chrétien " ( qui existe aussi sous une forme laïque ! ), expression d'une volonté occidentale de puissance et de domination. Mais cette critique ne sera conséquente que si elle s'inscrit dans la déconstruction plus généra le des idéologies coloniales, de l'universalisme uniformisateur et de cette prétention à faire du règne de la marchandise, de l'objet et de la technique l'horizon de l'humanité. Le rabbin Emmanuel Lévyne, qui fut l'une des grandes figures du judaïsme antisioniste contemporain, écrivait ceci à la fin des années 60 : " L'Etat d'Israël, c'est la civilisation occidentale et technicienne à la conquête de l'Orient. Les peuples pauvres ont entrepris la Guerre tricontinentale contre les nations riches, contre les géants industriels pour survivre et échapper à l'extermination, pour ne pas être écrasés par les bottes et leurs machines comme des insectes. Ils comprennent et comprendront de plus en plus clairement le rôle capital de l'Etat sioniste de la défense de la civilisation technicienne ( … ) Le sort du monde - la victoire ou la défaite de l'Impérialiste, l'esclavage universel ou la libération messianique de l'humanité - se joue au Moyen-Orient. Le peuple palestinien a un caractère christique, il souffre pour les fautes du monde, Dieu s'incarne en lui. Dieu est avec lui. Il vaincra le sioniste et l'impérialisme - parce qu'il est le plus faible et le plus pauvre - avec l'aide de tous les révolutionnaires du monde. Debout les Damnés de la Terre. En marche vers Sion pour établir le royaume de la Justice sur terre. Le Dieu qui a libéré les esclaves vous appelle. Il vous invite au jugement dernier du monde capitaliste " ( Paris, Hérythem, n° 1, 1969, p. )
Paroles fortes, extrêmes, qui peuvent, peut être, irritées, mais paroles de vérité…
Rappelons cette évidence : l'Etat israélien n'est pas un Etat mineur ou marginal dans le Système-monde-Occident, mais l'une de ses structures les plus fondamentales. Le seul fait de sa présence est un obstacle de première importance dans l'échec des projets de développement des pays arabes de la région et, à bien des égards, cet Etat est là afin d'empêcher une véritable dynamique de développement durable, sociale, populaire et écologique de l'espace arabe. L'incroyable armada nucléaire de l'Israël - qui menace l'ensemble des grandes métropoles arabes et musulmanes - est-elle de nature à aider au développement durable de la région ? le stock énorme d'armes chimiques et biologiques qui reposent dans les hangars de l'armée de la " démocratie israélienne " est-il une condition de la paix et de la justice au Proche-Orient ? D'ailleurs, c'est la même sécurité des populations civiles d'Europe qui est en jeu. Le savez-vous ? Le 4 octobre 1992 un avion-cargo de la compagnie d'aviation israélienne El Al s'écrasait au Bijlmermeer à Amsterdam. Il y a eu 48 morts et des centaines de blessés dans cette catastrophe. Depuis cette date, les habitants de ce quartier populaire souffrent de maladies inhabituelles. Il faut attendre plus de six ans pour connaître le fin mot de cette histoire dramatique : l'avion israélien transportait 240kg de DMMP ( diméthyl méthylphosphonate ), autrement dit l'un des quatre constituants qui entrent dans la fabrication du gaz Sarin… Livré par la firme américaine Solkatronic, le produit chimique était destiné à l'Israël Institute for Biological Research de Tel-Aviv, qui dépend du Ministère de la défense. De son côté, le 4 octobre 1998, le Sunday Times révélait que l'armée israélienne disposait de F-16 équipés d'armes chimiques et biologiques opérationnels en quelques minutes.
L'Israël est une structure importante dans la stratégie nord-américaine dans le monde. L'axe multidimensionnelle qui relie l'Israël et la Turquie ( membre de l'Otan ), est, par exemple, directement destiné à affaiblir la Syrie et l'Iraq ( ne serait-ce que par le contrôle des eaux du Tigre et de l'Euphrate. Cet Etat " hors sol " est même l'un des fournisseurs technologiques de l'armée des Etats-Unis. L'hebdomadaire parisien Actualité Juive ( sensibilité Herout-Likoud ! ) jouissait littéralement du rang que les industries israéliennes tenaient vis-à-vis de l'Oncle Sam. ( " Nous équipons tous les T-38 de l'armée de l'air américaine ", déclarait un militaire et industriel israélien, n° 709, 28 juin 2001, p.10 ; le produit israélien le plus lucratif : le système " Ehoud-HTS " d'entraînement au vol… ", idem, p.8 )
Dans les années 1960-1980, l'Israël était directement engagé, dans les pays du Sud, aux côtés des pires dictatures pro-occidentales, comme le Nicaragua de Somoza. Il s'agissait de s'opposer aux luttes de libération nationale. L'alliance avec la République Sud-Africaine possédait une valeur paradigmatique. Petit signe de l'histoire : l'apartheid fut proclamé la même année que la création de l'Etat sioniste. Ceci n'est pas de l'histoire ancienne. Qui peut raisonnablement croire qu'en ce début de IIIème millénaire, cette politique israélienne d'opposition aux droits des peuples a disparu ?
Il est vrai que l'actuelle mondialisation a changé le capitalisme international-occidental : la globalisation financière, le saccage des espaces publics, la marchandisation généralisée, les déréglementations de toutes sortes sont des dimensions nouvelles du Nouvel Ordre Mondial. Mais cet Ordre n'abolit l'ancien : le capitalisme financier n'est pas la négation de l'impérialisme politico-militaire classique. Quand le président Bush jr. parle de " Croisade " et de lutte du " Bien " contre le " Mal ", à la suite des attentats du 11 septembre 2001, et dans l'attente de la prochaine guerre mondiale qu'il organise avec ses alliers du moment, il ne se contente de reprendre le langage de son père, ou celui de Reagan. C'est au pères pèlerins du Mayflower qu'ils faut remonter pour rendre intelligible la rhétorique des Etats-Unis et d'une partie non négligeable du monde occidental, ces pères qui voulaient construire l' " Israël américain de Dieu… ".
Mohammed Taleb, d'origine algérienne, est né en 1968. Il est coordinateur de l'Université Transdisciplinaire Arabe et président de l'association Le singulier universel ( BP 73 F-21202 Beaune ) Après une activité journalistique sur une radio de l'Ile de France, il poursuit des études de sciences religieuses à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes ( Section de sciences religieuses ). A publié notamment, " Visages du sionisme chrétien. Essai d'interprétation historique et théologique ", Paris, Revues d'études Palestiniennes, n° 21, automne 1999 et n° 22, hiver 2000 ; " Jalons vers une modernité arabo-islamiques ", Montpellier, Etudes Théologiques et religieuses, tome 71, 1996/1 ; " L'Hégire de Jean Grosjean ", Paris, L'œil-de-bœuf, n° 18, juin 1999. il coordonne la publication d'un ouvrage collectif en hommage au professeur Gilbert Durand, Sciences et Archétypes ( à paraître ).