arch/ive/ief (2000 - 2005)

interview de l'ambassadeur palestinien à Cuba
by granma Friday August 09, 2002 at 03:25 PM

«Rechercher de nouveaux plans et initiatives est une perte de temps, cela signifie davantage d'agression contre les Palestiniens et davantage de réaction des Palestiniens, davantage de suicides, davantage de bombes et davantage de morts des deux côtés (¼) Dans les Intifadas antérieures de 87 et 93, les Palestiniens n'avaient fait que lancer des pierres. Ces enfants qui avaient sept ans en 87 et 93 s'immolent aujourd'hui. Que vont faire dans dix ans les enfants qui ont vu tout ce qui est survenu depuis 2000? Tout le monde doit ouvrir les yeux et bien réfléchir».

8 Août 2002
INTERVIEW DE L'AMBASSADEUR PALESTINIEN À LA HAVANE
Il n'y a pas de solution partielle ou totale jusqu'à leur retrait

• «Rechercher de nouveaux plans et initiatives est une perte de temps, cela signifie davantage d'agression contre les Palestiniens et davantage de réaction des Palestiniens, davantage de suicides, davantage de bombes et davantage de morts des deux côtés (¼) Dans les Intifadas antérieures de 87 et 93, les Palestiniens n'avaient fait que lancer des pierres. Ces enfants qui avaient sept ans en 87 et 93 s'immolent aujourd'hui. Que vont faire dans dix ans les enfants qui ont vu tout ce qui est survenu depuis 2000? Tout le monde doit ouvrir les yeux et bien réfléchir».

PAR MARELYS VALENCIA, de Granma international

LE 28 septembre 2000, un membre du Parlement israélien a fait irruption de manière insolite, protégé par 300 hommes, dans la mosquée de Al Aqsa, temple sacré des Arabes. Le jour suivant, se déclenchait la troisième et la plus longue Intifada. Ariel Sharon, l'ennemi juré des Palestiniens, qui a critiqué Barak et Netanyahu pour négocier la Jérusalem orientale en échange de la paix, le premier ministre qui avant de le devenir avait déclaré qu'il n'accepterait jamais de menaces, préparait par sa visite à Al Aqsa la voie pour de nouveaux affrontements.

Après deux ans d'Intifada et devant l'avalanche de violence des derniers mois, l'ambassadeur palestinien à La Havane, Imad Jada'a a parlé à Granma international de la nécessité de terminer un conflit qui, à son avis, cache le véritable problème des Israéliens: la crise interne de l'État juif.

«Nous devons entrer ici dans une analyse dont on a peu parlé. Tous les indices indiquent qu'Israël est en train de passer par une crise interne très profonde; économique tout d'abord: après 53 ans de sa création artificielle, il continue de survivre grâce à l'aide nord-américaine et aux dons des communautés juives; socialement, il existe une crise due à la très grande diversité ethnique de la population: c'est le seul pays au monde qui continue d'importer des citoyens. Selon le Bureau national de statistiques israélien, la population est estimée à six millions de personnes. En 2035, avec les immigrants de toutes origines qui arrivent, arabes, chrétiens, musulmans, russes¼ ce sera bientôt un État dirigé par une minorité juive. Comment va-t-il être démocratique, où se trouve le rêve sioniste? Telle est la question qui tient les Israéliens éveillés. Comment peut-on faire durer le problème et ne pas lui chercher une solution?

»Si nous nous mettons à analyser la période allant de 93 jusqu'à 2000, ces sept années d'existence de l'ANP, c'est la première fois que le peuple palestinien se gouverne lui-même. Nous avons commencé à installer un système d'éducation publique, un système de santé, pour la première fois dans l'histoire des villes palestiniennes nous avons des feux pour régler la circulation, des services de mairie, nettoyage des rues, conduites d'eau. Les désaccords au sein de l'ANP ne sont pas le principal facteur de la crise, mais bien la poursuite de l'occupation israélienne de notre territoire, l'absence d'une stratégie politique israélienne pour obtenir la paix au Moyen-orient.

»Si nous considérons la diversité ethnique d'Israel sur un territoire de 22 000 km2, ce n'est pas la Yougoslavie, et ils ne peuvent donner une partie aux Arabes ou aux Russes. Ou Israël totalement unie ou alors il n'y a pas d'Israël, telle est la question que personne ne pose aujourd'hui. En prolongeant cette situation, ils provoquent la crise avec les Palestiniens, pour ne pas dire que la véritable crise se trouve en Israël. Et ils ne font que parler des garçons kamikazes. Pourquoi tout ça? Une jeune fille de 23 ans, en troisième année universitaire, envisage son avenir tout en rose. Quand elle décide de s'immoler, pourquoi? Pour le prestige? Le désespoir tue. C'est ce qui se passe pour eux. Lutter ne sert à rien. Un enfant de huit ans se dresse devant un char et lance des pierres, jusqu'à ce que le soldat israélien le tue avec sa mitrailleuse. En voyant l'humiliation de son père par les soldats, la tristesse et la douleur de sa mère pour les pertes de proches, ce garçon a décidé que cela ne vaut pas la peine de vivre. C'est le désespoir.

»Nous avons déjà demandé la protection internationale pour notre peuple, mais Israël, avec l'appui des États-Unis, a rejeté notre requête. Il a été prouvé que l'observation internationale permettait de résoudre les conflits régionaux. Pourquoi pas avec nous? Parce qu'ils vont découvrir que l'erreur ne vient pas des Palestiniens mais d'Israël. Pour la première fois de l'histoire, un pays ose affronter la communauté internationale en disant NON à une commission désignée par le Conseil de sécurité, et tout simplement le Conseil l'annule, parce que cela aide à comprendre que le problème ne se trouve pas en Palestine mais en Israël.

Pourquoi pensez-vous qu'en prolongeant le conflit avec les Palestiniens Israël fuit ses problèmes internes?

Parce qu'il donne la priorité à l'affaire des kamikazes et de la corruption parmi les autorités palestiniennes, pour ne pas parler d'occupation, pour que le peuple israélien continue de vivre dans un état de stress, comme l'administration Bush l'a fait après le 11 septembre. Concentrer l'attention sur les autres, pour ne pas voir le vrai problème. Les États-Unis parlent de corruption de l'ANP, alors qu'existe le scandale de banqueroutes, de falsification de documents chez WordCom et dans une série d'entreprises pour des milliards de dollars. C'est recouvrir les vrais problèmes avec des problèmes artificiels. Ils continuent par exemple à critiquer l'ANP parce que nous n'avons pas rédigé de constitution. L'ANP occupée, encore en phase de négociation avec Israël, doit rédiger une constitution. Mais Israël jusqu'à présent n'a pas de constitution et personne n'aborde ce sujet. Nous sommes malheureusement dans un monde unipolaire, où l'information passe par certains canaux pour parler de ce qui leur convient. Ils parlent de l'Intifada de Al Aksa, mais personne ne parle de la visite de Sharon le jour précédent, ils parlent des kamikazes mais personne ne parle du rejet par Israël de la résolution internationale sur le Camp de Jénine.

Pourquoi les États-Unis veulent-ils éliminer Arafat de l'arène politique?

Je veux poser cette question: Comment les États-Unis donnent-ils leur bénédiction à Carmona au Venezuela et à son coup d'État, alors qu'ils disent qu'Arafat, qui a été élu démocratiquement par son peuple sous la supervision internationale, n'est pas démocratique et doit être éliminé? Le peuple palestinien est un peuple comme tous les autres et a le droit d'élire ses dirigeants.

Que se passerait-il si Arafat n'existait pas?

Arafat est un fils du peuple palestinien. Il est né de la souffrance du peuple, il a grandi en voyant son peuple réprimé, humilié. Il est l'un des millions de Palestiniens à avoir ressenti cela; le peuple palestinien a fait confiance à Arafat. Comme tout être humain, un jour il va disparaître, et celui qui viendra ensuite diriger le peuple palestinien sera quelqu'un qui a vécu et partagé la souffrance de son peuple. Quelqu'un qui connaîtra la valeur du sang palestinien qu'ils tentent d'éliminer. Non pas Arafat. C'est ce qu'ils tentent d'éliminer, un symbole. C'est pourquoi le peuple ne va pas le permettre.

Il y a quelques jours a été publié un rapport sur la répercussion de ces deux années de violence sur l'économie israélienne. On parlait d'environ 20 millions de dollars. Quels ont été les dommages causés au peuple palestinien?

Les dommages sont incalculables. Destruction de propriétés civiles, comme l'aéroport de Gaza qui a été rasé, ainsi que les débuts de projets dans le port de cette ville, les bâtiments¼ Un jour on pourra donner une estimation. Les dommages économiques sont irréparables, mais qui va rendre la vie aux innocents du génocide? Ce n'est pas un hasard si un rapport des Nations unies publié voilà une semaine dit que le chômage en Palestine est l'un des plus élevés au monde (66,6%), que 55% de la population se trouve en dessous du seuil de pauvreté, que 80% des enfants de 8 à 14 ans ont des troubles psychiques, conséquence de l'horreur qu'ils vivent depuis deux ans. Telles sont les réalités d'aujourd'hui. 40% des femmes palestiniennes souffrent d'anémie. Ce ne sont pas des informations qui arrivent par câble à l'ère de la télévision par satellite.

Comment vivent les Palestiniens dans les sept villes occupées de Cisjordanie?

Un couvre-feu de 24 h. Et quand Israël permet de lever le couvre-feu c'est qu'il veut capturer ceux qui sortent dans la rue pour résoudre leurs problèmes. On a parlé d'holocauste juif, mais aujourd'hui tout le monde est témoin du traitement qu'ils infligent aux jeunes gens, comment ils les attachent avec un fil de nylon, plus dur, leur bandent les yeux et les conduisent en camions vers des endroits inconnus.

Et que leur arrive-t-il alors?

Personne ne sait. Les quelques-uns qui reviennent parlent d'horreurs, de tortures de la part des Israéliens, mais jusqu'à présent il y a plus de 8 000 Palestiniens disparus. La seule chose que nous savons c'est que les Israéliens les ont arrêtés devant chez eux et en présence de leurs proches. Quelques prisonniers se trouvent dans le désert du Néguev, dans le sud, où la température atteint en juillet et août les 47 degrés.

Dans les villes occupées, les Palestiniens peuvent-ils sortir travailler?

Non, il y a le couvre-feu. La semaine dernière nous avons vécu une autre crise humanitaire à la frontière avec la Jordanie. Environ 3 000 Palestiniens, hommes, femmes et enfants, qui avaient besoin de traverser la frontière entre la Cisjordanie et la Jordanie pour rentrer chez eux, sont restés pendant une semaine sans abris, sans eau, à cause du couvre-feu israélien, parce que le gouvernement avait décidé de réorganiser le passage de la frontière. Il y avait là 3 000 personnes. Ce n'est pas une histoire. Tout le monde l'a vu. Mais il y a un silence total. Et le silence signifie complicité avec l'ennemi.

Est-ce que vous croyez qu'il existe réellement de la part israélienne une volonté d'établir le dialogue?

Tout indique qu'Israéliens et Nord-Américains, avec la participation internationale, se sont mis d'accord pour prolonger la crise, car toutes ces inventions nous mènent à un tunnel sans issue, un chemin ambigu, pour oublier ce qui s'est passé hier et ne pas résoudre le problème. La solution du problème palestinien est très simple. Il existe des dizaines de résolutions des Nations unies, du Conseil de sécurité, de l'Assemblée générale sur ce thème. Et qu'est-ce qui fait obstacle à cette décision? L'arrogance israélienne, le manque de respect de la légalité internationale. Lorsqu'Israël se rendra compte que c'est un État normal, avec une économie normale, avec un peuple normal, il pourra penser à une solution. Mais lorsque les cercles radicaux ont senti que le premier ministre Yitzhak Rabin avait décidé de travailler pour une paix véritable, ils l'ont éliminé et n'ont plus parlé de lui.

Aujourd'hui, les médiateurs, l'UE en particulier, tentent de faire en sorte que le dialogue permette le retrait d'Israël des villes palestiniennes occupées ces derniers mois et que cessent les installations d'Israéliens sur le territoire palestinien. Mais ce serait revenir aux conversations de 2000, avant que se produise l'Intifada.

Voilà le tunnel dont je parlais. Aujourd'hui, ils parlent de revenir au 28 septembre 2000. Mais qui compensera toute la destruction survenue depuis ce moment jusqu'à aujourd'hui? Qui va panser les blessures humaines et politiques de ces années? Nous ne devons pas revenir à cette date. Nous devons revenir au plan de partition de 47, à la résolution 242 qui oblige Israël à se retirer des territoires occupés en 67, à la 181 du 29 novembre 47 qui divise la Palestine en deux États. Le monde a accepté la partie israélienne mais ne se résout pas à la palestinienne. Ce serait facile, s'il existait une volonté véritable.

On parle aujourd'hui d'un quatuor (Union européenne, États-Unis, Russie, ONU) qui pourrait faire office de médiateur dans le conflit.

Aujourd'hui, hier, il y a dix ans. Pourquoi avons-nous besoin de continuer de rechercher des initiatives puisque tout est fait. Tout ce qu'il y a à considérer, c'est qu'il faut établir un mécanisme avec la consigne «Nous allons respecter la légalité internationale» qui appelle à la création de l'État palestinien. Pour créer cet État, un plan est nécessaire, un agenda de travail que la communauté internationale respecte et défende. Chercher de nouveaux plans et initiatives est une perte de temps. Cela signifie davantage d'agressions contre les Palestiniens et davantage de réactions des Palestiniens, davantage de suicides, davantage de bombes des deux côtés.

Connaissez-vous en Israël des mouvements internes qui s'opposent à la politique de Sharon?

Oui. Il y a des partis de gauche, des mouvements civils, des ONG, des groupes de mères qui ne veulent pas que leurs fils aillent en Cisjordanie ou à Gaza tuer des Palestiniens et revenir comme cadavres. Mais ces voix sont encore faibles et doivent être plus efficaces.

On parlait beaucoup, dans les informations, des attentats et des groupes comme Hamas, des kamikazes¼ Quel est le dialogue actuel de l'ANP avec ces groupes pour stopper ces actions utilisées par Israël comme prétexte pour l'occupation?

Ce ne sont pas des attentats, c'est la résistance nationale contre l'occupation, un droit garanti à tous les peuples du monde par la légalité internationale. On ne peut qualifier cela d'attentats, ni de terrorisme, c'est un peuple garantissant son droit légitime. Mais comme le monde entier l'appelle ainsi, aujourd'hui le fondateur et leader de Hamas a annoncé que nous étions disposés à stopper les opérations militaires contre des civils israéliens lorsque prendrait fin l'occupation de nos territoires. Pourquoi veut-on toujours placer la charrue devant les bœufs ?

Que se passerait-il si la réponse des Palestiniens cessait pour un moment, simplement pour démontrer comment agit Israël ?

Non, moi je veux demander. Pourquoi n'essayons-nous pas de retirer les troupes israéliennes des territoires israéliens, voir quand ils vont nous rendre tout l'argent volé à notre gouvernement afin de pouvoir l'utiliser pour résoudre les affaires de notre peuple? Les Palestiniens ne doivent pas seulement démontrer, car l'on sait qu'une action entraîne une réaction. Le problème, c'est l'occupation et il n'y a pas de solution, ni partielle ni totale, jusqu'à leur retrait. Il n'y aura pas au Moyen-Orient d'état de paix et de tranquillité tant que le peuple palestinien de jouira pas de ses droits. Il faut attirer l'attention de toute l'humanité: dans les Intifadas antérieures de 87 et 93, les Palestiniens n'ont fait que lancer des pierres. Ces enfants qui n'avaient que sept ans en 87 ou 93, s'immolent aujourd'hui. Que feront dans dix ans les enfants qui auront vu ce qui est survenu en 2000 et après? C'est une question qui doit ouvrir les yeux de tout le monde et faire réfléchir. Il faut prendre des mesures urgentes au niveau mondial et penser à la réaction qui se produira dans une décennie, quelle autorité pourra contrôler ces jeunes. C'est une question très compliquée et préoccupante. Plus vite apparaîtra une solution pour le peuple palestinien, plus vite se produira un bien-être pour la communauté internationale tout entière.