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La réaction d'Albert Faust: «Je ne suis pas le comptable»
by Johnny Coopmans & Jef Bruynseels Wednesday July 31, 2002 at 10:22 PM
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Lors de notre rencontre à la gare de Bruxelles Midi, nous trouvons un Faust fatigué, marquant un léger désarroi dû aux événements. Mais rapidement, l'entretien se mue en une ferme discussion.

La réaction d'Albert Faust

«Je ne suis pas le comptable»

Lors de notre rencontre à la gare de Bruxelles Midi, nous trouvons un Faust fatigué, marquant un léger désarroi dû aux événements. Mais rapidement, l'entretien se mue en une ferme discussion.

Johnny Coopmans & Jef Bruynseels

Depuis le début de votre destitution et de votre licenciement, vous parlez d'un complot politique. Comment expliquez-vous, dans ce cas, que 11 de vos 13 secrétaires ­ dont un certain nombre sont plus à gauche que vous-même ­ vous tournent le dos et ne veuillent plus travailler avec vous, invoquant des raisons de mauvaise gestion?

Albert Faust. Je ne puis répondre à cette question et cela me fait également beaucoup de peine. Je ne les mets pas tous sur la même ligne. Thierry Nollet (secrétaire du Setca et fils de l'ancien président FGTB) est un agent de De Vits, tout le monde le sait. D'autres collègues m'ont tiré dans le dos ou se laissent manipuler par le Setca national. D'autres encore me téléphonent pour me dire qu'ils ne peuvent agir autrement pour des raisons personnelles.

Si vous êtes convaincu que la droite veut votre peau, pourquoi avez-vous laissé traîner des années ce dossier sur la mauvaise gestion financière, malgré nombre d'avertissements du national?

Albert Faust. Dans cette destitution, il ne s'agit pas d'argent, mais bien de ma vision syndicale. Avec Michel Nollet aussi, j'avais des divergences d'opinion, mais tout s'est accéléré avec la présidence de Mia De Vits. Lors du congrès de la FGTB, elle a placé l'extrême gauche sur le même pied que l'extrême droite. Elle a déclaré également qu'elle voulait en finir avec les secrétaires montant à la tribune pour faire des déclarations politiques. J'ai appris que Thierry Nollet a déclaré dans les couloirs du congrès que le Setca Bruxelles serait placé sous tutelle un an et qu'il deviendrait ensuite secrétaire général.

Je ne suis pas le responsable financier de notre section, c'est notre comptable. Notre section est passée de 10.000 membres dans les années 70 à quelque 82.000 aujourd'hui. Nos services juridiques ont connu un développement explosif. Avant 1990, toute la FGTB connaissait des problèmes avec la sécurité sociale et le fisc. Aujourd'hui, tout a été régularisé. Le Setca Bruxelles a subi un contrôle en 1998-99, on n'a rien trouvé. Ces trois dernières années, le national n'a cessé de nous chicaner. Pour moi, l'Inami pouvait venir faire une enquête chez nous, mais Roland (secrétaire national du SETCa) y était opposé. Où cela va-t-il finir?, disait-il.

Est-il normal qu'un secrétaire emprunte 1,4 million de francs au syndicat pour une auto? Les chômeurs affiliés au Setca ne peuvent pas souscrire un emprunt sans intérêt auprès de la section

Albert Faust. L'an dernier, mon ancienne voiture a eu un sinistre total. Je suis conservateur, dans ce genre d'affaires, et je voulais acheter une voiture solide capable de tenir le coup 10 ou 15 ans. En février, j'avais trop de travail pour régler un emprunt auprès de ma banque et j'ai demandé au comptable de préparer un document pour un emprunt que je rembourserais plus tard. En juin, j'en ai remboursé une partie sur base d'un emprunt bancaire. Le Setca-Bruxelles n'est pas une institution sociale mais dans le passé, nous consentions encore des prêts à des militants qui avaient de gros problèmes, ou des dons à des sans-papiers. Cela fait partie de notre culture.

En juin 2001, après une menace de mise sous tutelle, vous avez écrit que, dorénavant, vous contrôleriez et présenteriez toutes les notes ou factures, sans quoi vous donneriez votre démission

Albert Faust. Nous avons toujours réclamé les notes. Mais je ne sais pas où elles se trouvent. C'est le travail du comptable. Pour moi, c'est clair: ils voulaient ma peau, c'était une question de politique. Vous vous apercevrez bien vite qu'ils veulent complètement centraliser la FGTB.

En 1985, je suis devenu secrétaire général et nous avons repris une dette du passé. Jamais on ne m'a expliqué d'où elle venait. Entre-temps, cette dette a été remboursée de moitié. Nos dettes vis-à-vis du fisc sont pour ainsi dire apurées, il ne nous en reste qu'à l'égard de la FGTB et du SETCa national. Nous avons également acheté un immeuble tout près de notre siège actuel... C'était nécessaire. Et cela a été traité selon la filière normale.

Mais se peut-il que, de janvier à septembre 2001, vous dépensiez 3,5 millions sans la moindre facture?

Albert Faust. Maintenant, dites-moi franchement, en tant que syndicalistes, notre première tâche est-elle de faire de la gestion ou d'être un bon syndicaliste? Et les factures existent. Nous étions en train de terminer la comptabilité de 2001.

Un dirigeant syndical doit être combatif et irréprochable pour la gestion de l'argent des affiliés. Vous en étiez le responsable final. Le 14 mai 2001, vous écrivez vous-même que votre section est «endettée jusqu'au cou, sans bilan, sans perspective financière, ni non plus d'état des comptes».

Albert Faust. Certaines centrales investissent de l'argent noir au Luxembourg. Il y a aussi des secrétaires qui fréquentent les bordels aux frais du syndicat. Moi, je n'ai aucune richesse personnelle. Mon comptable, intellectuellement, s'intéressait davantage à expliquer les dettes du tiers monde ou à analyser la comptabilité de Marks & Spencer. Ca ne l'intéressait guère de payer une facture de téléphone Je ne le mets pas en question, il est absolument honnête.

Pourquoi n'avoir pas informé vos collaborateurs et le comité exécutif quand vous avez été convaincu que la droite voulait votre peau?

Albert Faust. J'ai moi-même sous-estimé l'offensive de De Vits et de Roland. Néanmoins, chaque année, j'ai informé le comité exécutif de la dette historique, de ce qui devait encore être payé, etc. Cela a été expliqué de A à Z. Mais cela n'intéressait que 10% des gens. Régulièrement, lors des réunions entre secrétaires, j'exposais l'affaire dans les détails.

Mais presque personne n'était au courant de la quasi-tutelle de 2001. N'est-ce pas étrange aussi qu'un dirigeant syndical veuille placer sa section sous tutelle juridique? En demandant une astreinte de 10.000 euros par jour contre son syndicat?

Albert Faust. La tutelle était nationale et non statutaire. J'ai fait savoir à Roland que si le comité exécutif, avec ses 144 membres, décidait que je devais m'en aller, je m'en irais. Ce comité est mon employeur. Je veux qu'entre-temps, quelqu'un de neutre examine la gestion. Et je compte sur le tribunal pour désigner un expert indépendant et compétent. Ma confiance va d'abord aux militants de notre organisation qui, jusqu'à présent, n'ont toujours pas été consultés.

Dates clés

Le 8 juillet dernier, le Setca décide la mise sous tutelle de sa régionale de Bruxelles et le licenciement d'Albert Faust et de deux employés. Raisons: «fautes graves et irrégularités (retards de paiements vis-à-vis de l'ONSS et du fisc) et absence de comptabilité et de pièces justificatives». Rétroactes.

· 1995. Suite au scandale financier au Setca d'Anvers, la FGTB instaure un contrôle financier des régionales et centrales. Le Setca-Bruxelles est contrôlé en 1998 et 99.

· 19 janvier 2000. Christian Roland, président national du Setca, menace par écrit de demander au Comité exécutif national la mise sous tutelle de la gestion financière et comptable de la section de Bruxelles.

· 10 juillet 2001. Nouvelle menace écrite de Roland.

· 12 juillet. Faust écrit qu'il reprend en main toute la comptabilité et que si elle n'est pas en ordre pour le 19 septembre 2001, il envisagerait «purement et simplement de démissionner.»

· 22 août. Faust accepte par écrit une quasi-tutelle. Les secrétaires de Bruxelles ne sont pas au courant.

· 1er juin 2002. Quelques secrétaires apprennent par Polenus, vice-président du Setca, que la situation financière est catastrophique.

· 9 juin. Dix secrétaires du Setca-Bruxelles envoient une lettre à Faust pour l'exhorter à leur transmettre la gestion financière. Il n'y aura pas de réponse, ni orale, ni écrite.

· 8 juillet. Le SETCa décide la mise sous tutelle, licencie Faust et deux employés.

· 16 juillet. Faust lance une citation en référé pour faire mettre sous séquestre le Setca de Bruxelles. Le jugement sera rendu ce mercredi 31 juillet au plus tard.