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Le mox en France et en Belgique
by ieer(posted by Guido) Tuesday July 16, 2002 at 01:36 PM

Les premiers essais industriels d'emploi du MOX dans un réacteur en Europe datent de 1963 dans le réacteur BR3 de Mol en Belgique, puis de 1974 dans Chooz A ( aujourd'hui arrêté ), à la frontière franco-belge. Ils furent le fruit d'une collaboration franco-belge, qui se poursuit encore aujourd'hui.

LE MOX EN FRANCE ET EN BELGIQUE
Jean-Pierre Morichaud.


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Les premiers essais industriels d'emploi du MOX dans un réacteur en Europe datent de 1963 dans le réacteur BR3 de Mol en Belgique, puis de 1974 dans Chooz A ( aujourd'hui arrêté ), à la frontière franco-belge. Ils furent le fruit d'une collaboration franco-belge, qui se poursuit encore aujourd'hui. Belgonucléaire et COGEMA ont commencé à produire conjointement du MOX dans deux petites usines, une à Dessel en Belgique (mise en service en 1973), et l'autre à Cadarache en France (mise en service en 1970). Les capacités annuelles des ces deux usines sont respectivement de 35 et 15 tonnes de MOX. Également, dans le cadre de la collaboration franco-belge 4 réacteurs belges à eau pressurisée de Tihange et Doël et 28 des premiers r'eacteurs français de 900 Mw, mis en service entre 1980 et 1984, ont été conçus pour recevoir du MOX. Ils sont dotés de quatre traversées de couvercle de cuve inutilisées, qui recevront les grappes de contrôle supplémentaires jugées nécessaires pour le MOX. Curieusement, les 22 réacteurs de 1300 Mw suivants ne sont pas adaptables au MOX. Probablement parce qu'après une vague initiale de développement du MOX pour les REP, le changement de priorité pour l'utilisation du plutonium dans la filière des surgénérateurs, le relégué au second rang des combustibles au plutonium.

Il faudra attendre 1984, après qu'il soit devenu évident que les espoirs du départ sur la filière des surgénérateurs n'aboutiraient pas, pour voir la Belgonucléaire et la COGEMA se regrouper pour commercialiser le MOX dans les REP. Ainsi, comme conséquence de ces nouveaux efforts, en 1987, le premier chargement de MOX en France a eu lieu à Saint-Laurent-les-Eaux (Pays de Loire). Sur les 52 assemblages renouvelés (1/3 du réacteur), 16 sont en MOX. Il en sera ainsi de suite pour 9 autres réacteurs jusqu'à ce jour, pour parvenir à un taux de remplissage en MOX de 30%. C'est celui accepté par les autorités de sûreté nucléaire françaises pour un MOX ne contenant pas plus de 5,3 % de plutonium. En Belgique, après un débat au Parlement en décembre 1993, deux réacteurs peuvent recevoir du MOX avec un taux de remplissage de 20% seulement, mais avec du MOX à 7,7% de plutonium. Cette second vague de développement du MOX pour les REP a eu comme conséquence la construction d'une nouvelle usine en France, à Marcoule surnommée Melox, avec une capacité annuelle de 115 tonnes. Une autorisation a été accordé en 1990 pour la construction de l'usine, et elle a été mise en service en 1995. Fin 1996, elle aurait livré 96 assemblages de MOX à EDF.

Seulement 16 des 28 réacteurs français de 900 Mw ont été autorisés à recevoir du MOX lors de leur construction. De sorte qu'actuellement se déroulent des enquêtes auprès de la population pour obtenir un accord pour « moxer » 4 autres réacteurs à Chinon, sur la Loire. Cette démarche est en incohérence avec la décision gouvernementale de faire tirer par ses experts, pour juin 1997, un « bilan écologique et économique de la filière MOX ». Aussi le Forum Plutonium a-t-il demandé le report de l'enquête publique de Chinon à l'automne 1997.

Les conditions de sûreté et de sécurité de cette filière nucléaire et son intérêt économique sont contestés par beaucoup d'experts en France, et depuis longtemps. En novembre 1990, au moment de la décision de construire Melox, Jean-Paul Schapira, physicien nucléaire reconnu, contestait déjà l'intérêt du MOX dans la revue « La Recherche ».1 Aujourd'hui, dans le n° 155 de la Gazette Nucléaire, Monique Séné, du Groupement des Scientifiques pour l'Information sur l'Énergie Nucléaire, constate que les objections soulevées par J.P.Schapira se sont vérifiées sur les 550 assemblages de MOX utilisés à ce jour par Électricité de France (EDF).2

Schapira et Sené mettent en lumière un certain nombre de problèmes posés par le MOX. Comparé au combustible classique à l'uranium (UOX) qu'il remplace, le MOX pose des problèmes de sûreté supplémentaires (conduite plus fine des réacteurs, métallurgie moins aisée, relâchement de gaz de fission, corrosion des gaines du combustible). Au vu des signes de vétusté qui apparaissent aujourd'hui sur les 900 Mw français, ces complications d'utilisation du combustible ne semblent pas du tout souhaitables.

Les problèmes de sécurité liés à cette activité tournent autour des transports de matières nucléaires aptes à la fabrication de l'arme atomique ou de tout autre engin à usage terroriste. En France, le plutonium et le MOX circulent par la route, sous escorte policière, le jour seulement, selon des trajets tenus secrets.3 Le plutonium étant produit à la Hague, dans le Cotentin, et les usines de MOX étant en Belgique et dans le sud-est de la France, les transports sont longs, risqués et onéreux. De plus, la dispersion du plutonium ainsi induite aux quatre coins de la France, comme de l'Europe, constitue une pollution radiotoxique de l'écosystème qui durera des millénaires.4 Finalement le MOX est intimement lié à la politique de retraitement du combustible usé, qui est probablement l'activité écologiquement la plus dangereuse de l'industrie nucléaire. Des études récentes près de la Hague et Sellafield ont mis en évidence les nombreux problèmes écologiques et de santé résultant du retraitement.

En même temps que le plutonium s'accumule à La Hague (36 tonnes inventoriées au 31 décembre 95), le prix du minerai d'uranium baisse et l'uranium issu du retraitement s'accumule aussi. Au 1er juin 1995, La Hague en avait produit 7 500 tonnes, de quoi fabriquer 15 000 assemblages. Vu la disponibilité de ces grandes quantités d'uranium à prix bas, le MOX n'est pas compétitif avec le combustible à l'uranium. La fabrication du MOX est considérablement plus chère que celle du combustible à l'uranium, même si le plutonium est considéré comme gratuit. Si les coûts du retraitement sont pris en compte, il est clair que le MOX n'est pas compétitif.

L'exploitant constate également de nombreuses contraintes techniques pour la fabrication et la gestion du combustible MOX, qui ne peuvent qu'aggraver les coûts.


présence d'émetteurs alpha très contaminants et d'américium 241, émetteur gamma très irradiant;
délai limité à 2 ou 3 ans du stockage du plutonium extrait pour faire du MOX et du stockage de celui-ci avant son utilisation;
l'accroissement du temps de séjour en réacteur, recherché par l'exploitant, oblige à un enrichissement plus fort des combustibles : 4,2 % pour l'UOX, mais 8 % pour le MOX. Or le MOX autorisé actuellement en France ne contient que 5,3 % de plutonium. Il produit 30 Gwj/ tonne alors que l'UOX en produit 47. EDF a ainsi demandé, encore sans résultat, l'autorisation de porter le taux de plutonium à 7 %;
les essais de retraitement de MOX ont fourni un plutonium moins performant et un taux de transuraniens plus élevé (et donc, un niveau plus élevé de radioactivité) que dans l'UOX retraité. En août 1996, EDF déclare vouloir « entreposer » le MOX usé, en attente de jours meilleurs probablement. Donc, jusqu'à maintenant il n'y pas de programme qui étudie l'avenir du MOX irradié.
Le MOX, regardé par certains comme un moyen de réduire le stock de plutonium, n'est donc pas sans inconvénient. Après l'échec de la filière des surgénérateurs, c'est pourtant le fer de lance de l'une des deux cultures d'entreprise qui se trouvent en compétition au Commissariat à l'Énergie Atomique (CEA), puis à la COGEMA, depuis la création du Centre de Marcoule en 1953, celle du plutonium. L'autre culture, celle de l'uranium enrichi s'est développée à Pierrelatte, située un peu en amont sur le Rhône, avec l'usine d'enrichissement Eurodif, conçue pour ne pas vieillir, grâce à une rénovation permanente des étages de diffusion gazeuse. Or, elle n'a jamais dépassé la moitié de sa capacité de production initiale. Cependant avec l'accumulation de l'uranium issu du retraitement, les partisans de la filière UOX relèvent la tête, et le ministre de l'Industrie a inauguré le 26 février 1997, au centre d'étude de Saclay, près de Paris, la première unité pilote française d'enrichissement par laser de l'uranium en phase vapeur.

Si un médiocre bilan économique de la filière MOX venait s'ajouter à son bilan écologique manifestement désastreux, le plutonium pourrait, en France, devenir un déchet. Il y a donc quelque espoir pour que les générations futures aient moins de plutonium à gérer qu'actuellement prévu dans les contrats de retraitement de la COGEMA.


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Jean-Pierre Morichaud, ingénieur physico-chimiste en retraite, a commencé sa carrière à Saclay en 1957. Il a présidé le collectif d'opposition à l'usine Melox, de 1992 à 1994. Il est actuellement coordinateur du Forum Plutonium, collectif d'associations de France, de Belgique et de Suisse.


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NOTES EN BAS DE PAGE
J.P. Schapira, "Une nouvelle stratégie pour le plutonium," La Recherche, No. 226, Novembre 1990.
M. Sené, "Dossier MOX", La Gazette Nucléaire, No. 155/156, Janvier 1997
M. Pavageau, J.Hazeman, M. Schneider, Les transports de l'industrie du plutonium en France, WISE-Paris, 1995.
Plutonium, Deadly Gold of the Nuclear Age, IPPNW/IEER, 1992, la version française est dans le Vol. 8, No. 3, 1993 de Médecine et Guerre Nucléaire