arch/ive/ief (2000 - 2005)

ITV de Ng Sauw Tjhoi, revenu de Palestine.
by Pol De Vos [posted by red kitten] Wednesday July 03, 2002 at 11:20 AM
tjhoi@euronet.be

Journaliste à la VRT-radio, Ng Sauw Tjhoi s'est rendu en avril en Palestine, pour la troisième fois. Il y était déjà allé en 87 et 89, juste avant et juste après la première Intifada. En mars dernier, il a accompagné une délégation de solidarité envoyée par Entraide et Fraternité, Oxfam-Magasins du Monde, FOS et d'autres organisations. Juste au moment où l'armée israélienne a fait irruption dans Ramallah et a occupé le QG de Yasser Arafat. Israël ne souhaitait pas de curieux et le groupe a été renvoyé sans ménagement. Un mois plus tard, deuxième tentative, couronnée de succès. De cette visite, Tjhoi a ramené cinq reportages pour Radio1. Entre décombres et désespoir, Tjhoi a surtout entendu le long appel palestinien à la liberté...

Le journaliste Ng Sauw Tjhoi, à propos de la vie et de la résistance sous l'occupation israélienne
Pol De Vos
03-07-2002


Le journaliste Ng Sauw Tjhoi, à propos de la vie et de la résistance sous l'occupation israélienne

«Je me suis défait de mon regard occidental sur la cause palestinienne»

Journaliste à la VRT-radio, Ng Sauw Tjhoi s'est rendu en avril en Palestine, pour la troisième fois. Il y était déjà allé en 87 et 89, juste avant et juste après la première Intifada. En mars dernier, il a accompagné une délégation de solidarité envoyée par Entraide et Fraternité, Oxfam-Magasins du Monde, FOS et d'autres organisations. Juste au moment où l'armée israélienne a fait irruption dans Ramallah et a occupé le QG de Yasser Arafat. Israël ne souhaitait pas de curieux et le groupe a été renvoyé sans ménagement. Un mois plus tard, deuxième tentative, couronnée de succès. De cette visite, Tjhoi a ramené cinq reportages pour Radio1. Entre décombres et désespoir, Tjhoi a surtout entendu le long appel palestinien à la liberté...

Pol De Vos

Nom: Ng Sauw Tjhoi
Age: 45 ans
Domicilé à Malines
Trois enfants: You Wie, Mei Lan et Boun Wie
Profession: journaliste à Radio 1 (VRT) depuis 1991

Vous êtes reparti pour la Palestine à peine un mois après votre expulsion. Comment avez-vous vécu ce séjour?

Ng Sauw Tjhoi. Il y a douze ans, lors de mes premiers voyages en Palestine, j'avais été choqué par la façon dont l'occupation israélienne contrecarrait sans arrêt l'existence des Palestiniens. La vie quotidienne était constamment interrompue par la présence militaire et les contrôles aux check-points. Toutes les familles palestiniennes que j'ai rencontrées étaient touchées: un père ou un fils en prison, ou blessé, un frère abattu

Mais aujourd'hui, la situation est au moins dix fois pire. A première vue, tout semblait tellement sans espoir, j'en étais vraiment malade. Prenons le check-point près de Ramallah. Un tas de blocs de béton et des paquets de barbelés bloquent l'accès. Des soldats sont lourdement armés. Les gens attendent, en files de plusieurs dizaines de personnes, pour pouvoir entrer ou sortir de la ville. Les militaires contrôlent les papiers des Palestiniens à la loupe, en leur braquant leurs mitraillettes sur le ventre. L'arbitraire est complet. Une vieille femme se fait humilier, des jeunes se font traiter de tous les noms. Et le plus grave, c'est de se rendre compte que c'est le sort quotidien de tous les Palestiniens, parfois plusieurs fois par jour, depuis des années. Peut-être pourront-ils passer, peut-être pas. Travailler, ou pas. Rendre visite à leur famille, ou pas Même des choses aussi simples qu'une déclaration de naissance ou une visite à un malade deviennent impossibles. Tous ces faits parfois dérisoires créent une atmosphère de tension dans la vie quotidienne.

Durant la seconde Intifada, 1.600 Palestiniens ont été tués et 19.500 blessés. Durant la même période, 560 Israéliens ont trouvé la mort et 3.500 ont été blessés

Il devient difficile de considérer ce genre d'intervention simplement comme une occupation. Les gens appellent cela «terreur d'Etat». On terrorise non seulement physiquement et économiquement toute une population, mais aussi psychiquement. J'ai été surpris de voir comment les Palestiniens pouvaient vivre avec ça. Mais ils ne le subissent pas «stoïquement». On assiste à une résistance croissante à l'occupation, surtout chez les jeunes. La plupart n'ont jamais connu autre chose que ces traitements humiliants. L'armée israélienne d'occupation leur a insufflé la haine, et pas à la petite cuiller! En plus, cet encerclement répété et cette occupation des villes palestiniennes a privé de travail un grand nombre de Palestiniens, du jour au lendemain.

Comment font les Palestiniens pour assurer leur survie économique?

Ng Sauw Tjhoi. Les Palestiniens ne peuvent survivre que grâce à une forte solidarité mutuelle, souvent familiale. L'occupation pèse comme une chape de plomb sur les jeunes comme sur les plus âgés: «Vais-je trouver un moyen de m'en sortir? Ou vais-je complètement me laisser aller?» Bien des plaintes médicales mal définies proviennent du stress constant auquel la population est confrontée en permanence. Mais j'ai constaté que bien des gens avaient une énorme capacité de résistance psychologique. «Nous supportons cette colonisation comme une lancinante rage de dents», m'a dit quelqu'un.

Les nombreuses formes de solidarité aident les gens à survivre. Suite à la destruction de nombreuses maisons ­ bombardées, dynamitées ou rasées ­, plusieurs familles habitent souvent ensemble. Chaque famille a un fils, un époux ou un père en prison. On organise aussi la solidarité pour les défendre.

Economiquement, les Palestiniens ont vraiment beaucoup de mal, mais ils sont conscients de ce qu'Israël peut aussi être touché économiquement. Ils savent qu'Israël connaît des difficultés économiques dues à la guerre. Aussi perçoivent-ils une action de boycott par les Occidentaux comme un soutien à leur lutte. «En les touchant économiquement, vous nous aidez à aller de l'avant», disent-ils.

Ce qui m'a très fortement surpris, c'est la colère palestinienne contre Coca-Cola. Pour eux, ce produit est le symbole des Etats-Unis. Les Palestiniens comprennent très bien qu'Israël ne pourrait survivre longtemps sans le soutien politique, économique et militaire des Etats-Unis. En boycottant un produit symbolique comme Coca-Cola, ils donnent une expression à leur résistance contre l'ingérence américaine dans leur région. En outre, cela établit le lien avec d'autres peuples en résistance, comme en Colombie, où Coca-Cola est en procès pour avoir réprimé les syndicats et financé les escadrons de la mort.

«Quand on a peu de possibilités de résister, quand durant toute sa vie, on n'a rien connu d'autre que la terreur et l'humiliation, que reste-t-il? La résignation impuissante?» (Photo Soaade Messoudi, Wereldwijd)

Comment décririez-vous la résistance à la colonisation et à l'occupation?

Ng Sauw Tjhoi. Vu la situation, il n'est pas incompréhensible que les jeunes cherchent une issue à cette frustration. Ils ont déjà été contrôlés des dizaines de fois par les soldats israéliens, humiliés, traités de «porcs» - l'insulte la plus grave, ou presque. Les Palestiniens s'organisent et veulent s'en prendre à l'occupant par la violence. Tout comme les groupes de résistants qui opéraient ici, durant la Seconde Guerre mondiale, sous l'occupation nazie. Eux aussi ont cherché ou fabriqué des armes et se sont organisés pour porter des coups aux nazis.

Mais il s'agit d'une lutte inégale: des pierres contre des soldats lourdement armés, des armes légères contre des chars et des bombardiers C'est vraiment David contre Goliath.

Des organisations vraiment très différentes sont actives dans la résistance, mais ce qui surprend dans toutes les conversations, c'est que chacun insiste sur la nécessité de maintenir l'unité entre toutes les fractions politiques. Bien des gens critiquent Yasser Arafat pour sa diplomatie qui n'obtient rien du tout, ou ses compromis permanents avec Israël et les Etats-Unis. La critique la plus virulente est probablement celle d'avoir mis en péril l'unité en emprisonnant les dirigeants du Front populaire de Libération de la Palestine (FPLP) ou du Hamas et ce, à la demande ou sous la surveillance d'Israël et des Etats-Unis.

Aujourd'hui, outre le Fatah d'Arafat, ces organisations sont les principales forces politiques en Palestine. Aussi n'est-il pas surprenant que des mouvements défendant des positions plus radicales jouissent de beaucoup de sympathie dans une situation d'occupation permanente et de plus en plus agressive. Même si ces organisations viennent d'un contexte très différent, elles luttent ensemble contre la colonisation israélienne. Les Palestiniens ne veulent pas se laisser diviser. Et Arafat demeure le symbole de cette unité palestinienne.

Généralement, Israël décrit la résistance palestinienne comme étant terroriste. Chez nous aussi, on rencontre parfois peu de compréhension pour certaines actions. Quelles sont vos impressions?

Ng Sauw Tjhoi. Quand j'ai posé la question à mes interlocuteurs palestiniens, ils ont tous réagi vivement: «Si tu n'as que peu de possibilités de te révolter, si toute ta vie tu n'as connu que la terreur et l'humiliation, que te reste-t-il? Regarder avec résignation?» La plupart en sont incapables. Certains ne veulent plus continuer à vivre ainsi, ils voient dans les attentats suicides une manière honorable de sortir de l'impasse. Dans la culture palestinienne aussi, le suicide est un acte terrible. Mais en en faisant un acte de résistance, il prend un tout autre sens: cela devient un cri pour la liberté.

Ici, en Europe, nous pouvons difficilement le comprendre. Il ne s'agit pas de soutenir ou d'approuver ces attentats suicides. Mais imaginez-vous un peu le camp de réfugiés de Jénine, d'où sont parties plus de 50 actions suicides. Dans les entretiens avec la population, sur les ruines de leurs maisons, j'ai appris à comprendre comment les jeunes sont poussés à de telles extrémités. Je me suis défait de mon regard occidental sur cette affaire ainsi que de la tendance à condamner ces actions.

Les Palestiniens considèrent l'action de boycott de l'Occident contre Israël comme un soutien à leur lutte: «En les touchant économiquement, vous nous aidez à aller de l'avant», affirment-ils

Une grand-mère m'a raconté: «Je trouve très grave que des enfants, des femmes et d'autres innocents soient aussi victimes, en Israël. Nous ne voulons pas cela, tout comme nous ne voulons pas que nos enfants, nos femmes et nos hommes meurent. Mais tant que durera l'occupation de la Palestine, il y aura la guerre. Et dans toute guerre, il y a des victimes des deux côtés, et des innocents aussi.» On s'en rend compte en regardant les chiffres. Savez-vous que depuis le début de la seconde Intifada (fin septembre 2000), 1.600 Palestiniens ont été tués et 19.500 blessés? Durant la même période, 560 Israéliens ont trouvé la mort et 3.500 ont été blessés.

C'est surtout envers les colons que les Palestiniens nourrissent une haine profonde. Quand ils sont attaqués, on parle de «victimes civiles». Mais ces colonies juives ne sont pas de simples villages. Elles tissent une toile d'araignée d'occupation et d'oppression sur l'ensemble des territoires palestiniens. Elles sont les avant-postes de la stratégie d'occupation israélienne.

Ainsi les hauteurs du Golan n'ont-elles pas qu'un intérêt économique, politique et militaire. Elles sont aussi un centre de l'espionnage israélien contre le Liban, la Syrie, la Jordanie et les territoires palestiniens. Les «civils» qui résident dans ces colonies sont des ultra-sionistes. Vous avez par exemple les «femmes vertes» (green women), des femmes colons qui s'occupent activement du maintien et de l'extension des colonies. «Chassez les Arabes» est l'un de leurs principaux slogans.

Avez-vous aussi pu rencontrer des gens du mouvement pacifiste en Israël?

Ng Sauw Tjhoi. J'ai eu un long entretien avec Adam Keller, de l'organisation pacifiste Gush Shalom. Ils mènent des actions contre l'armée aux check-points ou vont distribuer de la nourriture dans les villes palestiniennes encerclées.

Keller m'a expliqué qu'ils jouent assez radicalement la carte palestinienne. Mais il a admis que le mouvement pacifiste israélien avait un problème important. Nombre d'organisations pacifistes n'ont pas complètement rompu avec l'idéologie sioniste. Un bel exemple, ce sont les refusniks, les réservistes de l'armée israélienne, surtout des officiers, qui refusent de servir dans les territoires palestiniens. Plus de 500 d'entre eux ont fait une déclaration publique en ce sens. Ils disent toutefois qu'ils «continuent à croire dans le sionisme», mais qu'ils «veulent que l'Etat juif prenne une allure démocratique». Tant qu'on ne rompra pas avec les idées sionistes, qui disent que «le peuple juif est l'élu de Dieu», on ne pourra jamais se battre honnêtement pour l'égalité entre les juifs et les autres groupes de population. En effet, racisme et apartheid sont profondément enracinés dans le sionisme.

Globalement, le mouvement pacifiste demeure relativement marginal en Israël. Récemment, toutefois, il y a eu une manifestation de 60.000 personnes. Gush Shalom n'est qu'une petite organisation dans ce mouvement, mais elle prend de l'extension. En Israël, ils sont ceux qui se rapprochent le plus des exigences des Palestiniens. Ils défendent un Etat palestinien indépendant, le retour des réfugiés et veulent Jérusalem comme capitale partagée.

Quel rôle le mouvement de solidarité peut-il jouer en Europe?

Ng Sauw Tjhoi. D'une part, les Palestiniens espèrent un renforcement de la solidarité politique qui ferait pression sur l'Europe afin, par exemple, de suspendre le traité d'association avec Israël. Une telle mesure économique pourrait avoir une influence importante.

Ensuite, les Palestiniens désirent s'atteler pleinement à la reconstruction. D'importantes destructions de maisons, de bâtiments officiels, de routes ont eu lieu dans presque toutes les villes Outre la reconstruction de l'infrastructure, il faut aussi faire renaître la structure organisationnelle de la Palestine presque à partir de zéro. Au ministère de l'Enseignement, par exemple, les Israéliens ont volé tous les disques durs des ordinateurs. Toutes les données sur les étudiants des universités ont disparu. Une part importante de l'infrastructure médicale a été détruite, de même qu'un très grand nombre d'ambulances. Il y a un grand besoin de soutien matériel concret.

Les syndicats palestiniens aimeraient collaborer avec leurs homologues européens dans une campagne de soutien pour le déblayage des décombres et la réparation des routes

J'ai rencontré Shaher Sae'd, le secrétaire général de la Fédération générale des Syndicats palestiniens (PGFTU). Il aimerait développer avec les syndicats européens une campagne de soutien qui paierait de la main d'uvre pour déblayer les décombres, reconstruire, refaire les routes. Cela permettrait à des chômeurs et à leurs familles de s'en sortir. Je vais régulièrement parler de la Palestine dans les milieux syndicaux, tant à la CSC qu'à la FGTB. Ceux que cela intéresse peuvent toujours me contacter!

* Pour contacter Ng Sauw Tjhoi: tjhoi@euronet.be

(Photo Ng Sauw Tjhoi: VRT-service de presse)