Pérou: ¡Arequipa Viva! by Frédéric Lévêque Monday July 01, 2002 at 09:58 AM |
fleveque@brutele.be Bruxelles, Belgique |
Si le train à grande vitesse de la libéralisation a déjà bien voyagé à travers le monde grâce aux voies ferrées que lui ont installées gouvernements endettés et institutions financières, c'est particulièrement sur le continent américain que les usagers laissés sur le quai développent les plus fortes résistances aux privatisations. C'était le cas du Pérou entre le 12 et 19 juin.
Lieu : Arequipa, dans le sud du Pérou.
Caractéristiques : seconde ville du pays comptant un million d'habitants dont 18% au chômage et 40% dans la misère.
Enjeu : privatisation de deux entreprises d'électricité Egasa et Egasur bradées pour 167 millions à l'entreprise belge Tractebel, propriété du groupe français Suez.
Les faits :
12 juin : 7 maires, dont celui d'Arequipa, se déclarent en grève de la faim exigeant un référendum sur ce nouveau bradage du patrimoine national. Réponse - peu surprenante- du gouvernement d'Alejandro Toledo : " Terroristes ".
13 juin : Face au refus gouvernemental de reculer, le Frente Amplio Civico d'Arequipa, un large rassemblement d'organisations sociales, appelle à une grève générale, pour un temps indéterminé, dans la région. Une action suivie largement par la population.
Malgré son engagement un an plus tôt, durant la campagne électorale de ne JAMAIS privatiser les deux entreprises en question, Alejandro Toledo persiste et signe : " Malgré les protestations, nous continuerons les privatisations ".
14 & 15 juin : La lutte se généralise, la population descend massivement dans la rue. Des commerces, banques et institutions publiques sont attaqués. L'aéroport est bloqué par les protestataires.
16 juin : Face à la dynamique ascendante des mobilisations, le gouvernement décrète, pour 30 jours, l'état d'urgence dans le département. Le pouvoir militaire remplace le civil. Un couvre-feu est imposé, la population le défie dans le rue. De la touristique Cuzco au Lac Titicaca, le mouvement s'étend rapidement à d'autres régions.
Le gouvernement nomme une " commission de haut niveau " dirigée par un évêque. Ce sont les pierres qui l'accueillent à sa première arrivée à Arequipa. De son côté, toujours à l'affût, l'ambassade étasunienne exprime son soutien à la politique gouvernementale : " C'est le bon chemin ". Quant au représentant de Tractebel, il assure qu'il n'est pas en condition de garantir qu'il n'y aura pas de licenciements.
19 juin : Les manifestants et le gouvernement arrivent à un accord. La " Déclaration d'Arequipa " suspend la privatisation des deux entreprises, en attente du verdict d'un recours judiciaire introduit contre la mesure gouvernementale. Le ministre de l'Intérieur est le plomb gouvernemental qui saute pour calmer la colère populaire face à la répression : 2 étudiants assassinés, 200 blessés et une centaine d'arrestations.
Contexte :
Il aura fallu moins d'un an au président de la république Alejandro Toledo pour chuter dans les sondages. Elu avec une nette majorité, avec le soutien du magnat Soros et de l'écrivain de droite Vargas Llosa, Toledo mit temporairement un terme à l'instabilité politique provoquée par la fin chaotique de dix ans de fujimorisme. En utilisant son origine indienne comme garantie qu'il ne " trahirait pas le peuple ", cet ancien fonctionnaire de la Banque mondiale ne lésina pas sur les promesses lors de la campagne électorale, adaptant son discours à chaque auditoire, utilisant un ton démagogique dans le plus pur style de son prédécesseur pour semer l'illusion du changement, illusion qui, par le soulèvement populaire, vient d'arriver à son terme.
Des doutes, il n'y en point sur l'alignement du gouvernement Toledo au dogme néolibéral. Par contre, de l'espoir, il y en a, maintenant, avec le " réveil ", bref et radical, d'une partie de la population. Dix ans d'administration fujimoriste ont en effet fortement affaibli le tissu social et laissé le Pérou en ruines avec un appareil productif démantelé, un patrimoine national généreusement vendu aux transnationales, et une misère en constante augmentation sans parler de la gangrène de la corruption. Il n'est pas inutile de rappeler que sous couvert de la lutte anti-terroriste contre les guérillas Senderoso Luminoso et le Movimiento revolucionario Tupac Amaru (MRTA), des milliers d'activistes ont été assassinés et/ ou mis en prison.
En juin 2001, dans La Jornada, A.G. Cabrera écrivait : " Comme le drame continuera avec Alejandro Toledo, de vigoureuses réactions de rébellion de ces secteurs souffrant d'une marginalisation intolérable ne devraient pas surprendre dans un futur peu éloigné. Le haut-plateau andin porte en son sein un profond changement social dans les entrailles duquel ils seront un jour les protagonistes principaux. "