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Les vérités bien cachées de l'affaire Dutroux
by courierinternational(posted by guido) Monday June 10, 2002 at 06:30 PM

Six ans après l'arrestation du meurtrier pédophile, les enquêteurs sont persuadés que Dutroux a agi seul. Pourtant, de nombreux témoins - écartés ou décédés dans des circonstances mystérieuses - témoignent de l'existence d'un vaste réseau pédophile bénéficiant de protections en haut lieu.

Les vérités bien cachées de l'affaire Dutroux


"The Observer", Londres

Six ans après l'arrestation du meurtrier pédophile, les enquêteurs sont persuadés que Dutroux a agi seul. Pourtant, de nombreux témoins - écartés ou décédés dans des circonstances mystérieuses - témoignent de l'existence d'un vaste réseau pédophile bénéficiant de protections en haut lieu.


Lorsque Julie Lejeune et Melissa Russo, deux fillettes de 8 ans, furent kidnappées, en 1995, Dutroux, un pédophile multirécidiviste, fut très vite considéré comme l'un des principaux suspects. Il fallut pourtant attendre quatorze mois avant qu'il ne soit arrêté et, lorsque les policiers lui passèrent enfin les menottes aux poignets, quatre de ses prisonnières, y compris les deux fillettes, étaient déjà mortes.

La lenteur de l'enquête - le procès devrait avoir lieu l'année prochaine seulement - est due, selon l'explication officielle, au fait que des thèses de complot tenant du délire ont forcé les enquêteurs à rechercher un réseau de pédophiles qui n'existait pas. Or, loin d'avoir été suivies, les pistes qui impliquaient l'existence d'un réseau de ce type ont plutôt été ignorées ou enterrées.

Lors de sa mise en examen, la femme de Dutroux, Michèle Martin, reconnut qu'elle savait que deux fillettes avaient été emprisonnées et laissées pratiquement sans nourriture ni eau dans une cache secrète située au sous-sol d'une maison que le couple possédait à Charleroi en 1995. Elle avoua également à la police que, pendant que son mari purgeait une peine de prison pour vol de voiture, elle s'était régulièrement rendue là-bas afin de donner à manger à leurs chiens, mais qu'elle avait eu "trop peur" pour faire de même avec les petites filles. Quelques mois plus tard, Dutroux conduisait les enquêteurs jusqu'aux corps décharnés de Julie et Melissa, les deux enfants enlevées plus d'un an auparavant. Elles avaient été enterrées dans le jardin d'une autre propriété des Dutroux. Un complice, Michel Lelièvre, petit délinquant toxicomane, déclara à la police peu après son arrestation que Dutroux et lui avaient reçu d'une tierce personne l'ordre de kidnapper les deux fillettes. Tous les soupçons se portèrent alors sur Jean-Michel Nihoul, un homme d'affaires bruxellois propriétaire d'un pub et habitué de réunions d'orgie sexuelle. Selon Lelièvre, Dutroux et Nihoul s'étaient souvent parlé dans la cour pendant qu'ils étaient en prison et en avaient profité pour élaborer des versions communes. Pour Jean-Marc Connerotte, le juge chargé à l'époque de l'instruction de l'affaire, Nihoul était le cerveau de l'opération. Mais Lelièvre cessa soudain de coopérer en disant qu'il avait reçu des menaces. Quant à Nihoul, il semble persuadé que les preuves réunies contre lui ne seront jamais présentées à aucun jury parce qu'il détient des informations sur des personnalités importantes en Belgique.

Nihoul a été mis en cause par Régina Louf, une femme aujourd'hui âgée de 33 ans, dont les déclarations ont divisé la Belgique. Régina Louf fit son entrée en scène après que le juge Connerotte eut demandé à tous ceux qui avaient été victimes de pédophiles de dire ce qu'ils savaient à la police. Connerotte, l'homme qui avait fait arrêter Dutroux et sorti deux adolescentes de la cache du pédophile, était un héros en Belgique. Sur les dix personnes qui répondirent à l'appel du juge, Régina Louf fut la première. En 1996, celle-ci raconta aux enquêteurs qu'à l'âge de 12 ans elle avait été "donnée" par ses parents à un ami de la famille, Tony Van den Bogaert, qui avait une clé de leur domicile. Il venait la chercher à l'école et l'emmenait en week-end pour la forcer à participer à des orgies filmées en secret, où elle était "donnée" à d'autres hommes. Parmi les clients réguliers, qu'elle décrivit au cours de sa déposition soigneusement enregistrée et filmée, figuraient des magistrats, l'un des hommes politiques les plus puissants du pays (aujourd'hui décédé) et un important banquier. Elle donna à la police les noms sous lesquels elle connaissait ces hommes et dépeignit les maisons, appartements et quartiers où elle avait été emmenée avec d'autres enfants pour amuser les invités. Cet "amusement" impliquait également des actes de sadisme, de torture et même des meurtres. Régina Louf fit aussi une description précise des lieux des crimes, des victimes et de la manière dont elles avaient été tuées. L'un des organisateurs habituels de ces orgies était l'homme qu'elle connaissait sous le nom de "Mich", Jean-Michel Nihoul, "un homme extrêmement cruel qui abusait des enfants avec beaucoup de sadisme". Le jeune Dutroux était également présent. "Dutroux apportait de la drogue, de la cocaïne et quelques filles qu'il surveillait. Nihoul était une sorte de gros fêtard, tandis que Dutroux avait plutôt tendance à rester en marge."

Le témoignage de Régina Louf était d'une importance capitale. Si elle disait la vérité, Dutroux et Nihoul, complices présumés dans les derniers enlèvements d'enfants, s'étaient tous deux également retrouvés sur la même scène criminelle dix ans auparavant. La police avait commencé à vérifier les dires de Régina Louf lorsque le vent tourna.