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Les avocats Dermagne et Fermon analysent l'arrêt du procès Clabecq
by Marco Louvier [posted by red kitten] Monday May 27, 2002 at 01:02 PM

Les avocats Dermagne et Fermon analysent l'arrêt du procès Clabecq «De l'avalanche que voulait le parquet, restent quelques flocons» 22 (mai), v'là la défaite des flics. Les nombreux sympathisants des Treize de Clabecq ont acclamé leur victoire judiciaire à leur sortie du palais de Justice de Bruxelles. Qu'en pensent les avocats de D'Orazio et de ses camarades? Réponse de deux d'entre eux.

* Quelle est votre appréciation globale du verdict?

Jan Fermon.
Pour juger cet arrêt, il faut partir de l'enjeu au début du procès. L'intention du parquet de Nivelles et de la gendarmerie était de criminaliser les travailleurs de Clabecq. Il suffit de voir, le nombre de préventions retenues, les accusations loufoques telles le vol d'un GSM, le dossier de l'autoroute monté de toutes pièces par la gendarmerie, le recours à l'article 66§4 et, lié à cela, le fait que Roberto D'Orazio soit poursuivi pour l'ensemble des préventions...

Ils voulaient un règlement de compte avec ce type de syndicalisme. Et le procureur de Nivelles avait prévu d'en finir en trois jours de procès. Cette tentative est mise par terre, écartée, broyée par l'arrêt. C'est l'essentiel. Cela se reflète dans l'acquittement pour 90% des préventions, dont les points essentiels.

Jean-Marie Dermagne.
L'important est qu'il n'y ait pas de condamnation. La Cour reconnaît que les faits ont eu lieu dans le cadre d'un conflit social. Les conséquences qu'elle en tire ne vont pas jusqu'où nous voulions, l'arrêt n'est pas audacieux, mais c'est un arrêt d'ouverture. Quant au parquet et à la gendarmerie, ils sont non égratignés mais carrément étrillés dans certains passages de l'arrêt.

* Les points négatifs de celui-ci?

Jan Fermon.
La Cour n'a pas tranché les questions de principe. Elle n'a pas jugé les poursuites irrecevables, couvrant ainsi cinq ans d'irrégularités dans ce procès. Mais elle y apporte un correctif en ayant des propos fort durs pour le parquet. Par exemple quand elle dit qu'il a «ratissé large mais pas en profondeur». Ou quand elle juge dénué de tout fondement la thèse selon laquelle les délégués avaient dit qu'ils manifesteraient au zoning de Wauthier-Braine et non sur l'autoroute. Alors que le dossier était entièrement basé sur cette thèse. Ou encore quand elle dit que l'un des gendarmes présents ce jour-là devait avoir une vue télescopique, ce qui revient à l'accuser de faux témoignage. J'aurais évidemment préféré que la Cour constate l'irrégularité des poursuites et rejette la manœuvre en tant que telle.

Jean-Marie Dermagne.
On regrette que la Cour n'ait pas été plus sévère avec la manière dont l'enquête a été menée. Il y a aussi l'utilisation de photos de presse et de la gendarmerie... Cela fait courir un risque à tous les militants qui pourraient être photographiés. Le fait d'avoir retenu les préventions de menaces au curateur, de rébellion, d'outrage au commissaire de Tubize sont des gages aux tenants de l'ordre établi. On criminalise de simples attitudes défensives, comme le fait qu'André Fontaine agite son drapeau devant un barrage de gendarmerie.

* On peut en conclure que l'appareil judiciaire compte tout de même de bons juges?

Jan Fermon.
Il n'est pas question de bons ou mauvais juges. Ils étaient confrontés à une attaque hors proportion du parquet de Nivelles. Avec un dossier monté de manière extrêmement arrogante et donc nécessairement brouillonne. La Cour a été confrontée à une résistance sur tous les points. Les Treize ont eu la même attitude que durant le conflit des Forges: ne rien laisser passer, ne pas s'incliner devant les pressions. Et cette résistance, dont nous avons été les porte-parole, était elle-même portée par une large mobilisation.

* En quoi consiste une «suspension du prononcé», dont bénéficient quatre des treize?

Jean-Marie Dermagne.
La Cour juge les faits, considère qu'ils sont blâmables mais que, vu le contexte dans lequel ils ont été commis, ils ne méritent pas de peine. Parfois les suspensions sont probatoires: soumises à des conditions comme le fait d'avoir une bonne conduite, de se soumettre à une guidance, de payer les dommages civils. Ici ce n'est pas le cas. C'est une absolution qui démontre que la Cour reconnaît le caractère généreux des actions menées.

* La Cour tient compte du conflit social dans la détermination de la peine, mais refuse de se juger incompétente sur cette base, comme vous aviez plaidé...

Jan Fermon.
Il faut éclaircir ce que nous avions dit. Nous avons soutenu que les tribunaux ne peuvent pas intervenir dans les conflits sociaux, mais si vous assassinez quelqu'un à un piquet de grève, nous n'allons pas affirmer qu'on ne peut pas vous juger, évidemment. Nous avons plaidé qu'en analysant l'ensemble des poursuites, la façon dont elles ont été organisées, on voyait que le parquet visait non des faits commis à l'occasion du conflit social mais le conflit en tant que tel. Nous avancions une lecture globale, plutôt que de voir les faits un par un. Nous avons dit aux juges que ce que le parquet leur demandait de faire les menait sur le terrain du conflit social.

La Cour répond qu'elle peut juger les faits commis à l'occasion d'un conflit social. Ce n'est pas une réponse à notre argument. Nous lui avions demandé de voir la signification politique des poursuites. Elle n'a pas osé s'aventurer sur ce terrain.

* La Cour n'a pas plus rejeté le recours à l'article 66§4 du code pénal (incitation à commettre des délits par des écrits ou discours)...

Jan Fermon.
Non, mais elle n'a pas non plus appliqué cet article. Elle estime que ce n'est pas parce qu'il est vieux et désuet qu'on peut l'écarter. Et constate que le législateur n'a pas prévu de limitation de son usage en cas de conflit social.

La Cour fait une interprétation très stricte du texte de loi, allant à l'encontre de l'interprétation ultra large du parquet. Ainsi, elle estime que les mots «Ca va barder», prononcé par D'Orazio à l'assemblée précédant l'affrontement sur l'autoroute n'est pas une provocation. Pour elle, il faut un lien direct entre l'incitation et le délit commis. A l'inverse, dans le réquisitoire du parquet, il suffisait d'une vague intention, il suffisait qu'un discours ait contribué à commettre les faits...

* Malgré l'absence de condamnation, l'arrêt constitue-t-il par certains aspects un précédent dangereux pour les luttes sociales et politiques à venir?

Jan Fermon.
Non. Des condamnations pour s'être battu lors de manifestations, il y a en a déjà eu des tonnes. Le danger venait surtout de l'article 66§4. On pourra dire que l'arrêt reconnaît que cet article reste applicable, qu'une autre juridiction peut l'invoquer. Mais en affirmant qu'elle ne peut pas rejeter le recours de cet article, même dans le cadre d'un conflit social, la Cour suggère presque au législateur de changer cela. Finalement, de toute l'avalanche que voulaient provoquer le parquet et la gendarmerie, il ne reste que quelques flocons.
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