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Tractebel célèbre, les victimes de leur barrage ont
by yannindy Thursday May 23, 2002 at 02:36 PM
yannindy@yahoo.fr

Traduction de l'article de Han sur les manoeuvres de Tractebel pour se donner une bonne image face à la presse. L'original (en anglais) est en lien.

Tractebel célèbre, les victimes de leur barrage ont faim

La multinationale franco/belge loue un avion pour amener les journalistes à l'inauguration du barrage de Cana Brava.

Ce jeudi 24 mai, la multinationale belge Tractebel (filiale du conglomérat français Suez S.A.) organise une grande fête pour l'inauguration du barrage de Cana Brava, sur la rivière Tocatins, dans l'état de Goiás, situé dans la région centrale-orientale du Brésil. Les autorités et les responsables de la compagnie sont invités, et ces derniers ont loué un avion pour permettre aux journalistes européens de couvrir l'événement, ainsi que de visiter le barrage de Itá, dans le sud du Brésil, autre propriété de Tractebel.

Les sites visités ont été choisis afin de permettre à la compagnie de défendre l'idée que les populations expulsées de leurs maisons lors de la construction des barrages est dans une situation "merveilleuse". En effet, Tractebel cherche à projeter une image positive en Europe, spécialement en Belgique et en France, où la société a été ébranlée suite à des accusations de corruption et même à des procès durant les derniers mois.

Au Brésil, le mouvement des populations affectées par les barrages (Movimento dos Atingidos por Barragens - MAB) ont envoyé des représentants en Europe pour dénoncer les actions de Tractebel. En novembre, le mouvement a occupé les bureaux de Tractebel à Rio de Janeiro, entre autres actions dans différentes régions du Brésil.

Selon les informations recueillies par MAB des journalistes qui participent au voyage, il n'y a aucune rencontre prévue avec la population touchée par le projet, à l'exception de meetings arrangés précautionneusement par Tractebel, dont les représentants seront à chaque fois bien présents.

Entre les hôtels et les activités officielles, les journalistes ne voyageront qu'en avion et hélicoptère, afin d'éviter qu'ils ne puissent entrer en contact avec la population. Pour pouvoir faire leur métier, certains journalistes ont pris discrètement contact avec le MAB pour pouvoir rendre compte du point de vue des gens affectés par les barrages.

Au barrage de Cana Brava, la plupart des gens affectés par la construction du site ne sont pas reconnus comme tels par Tractebel, et les compensations accordées par la compagnie ne dépassent en aucun cas les 5.000 réals brésiliens (moins de 2.000 US$). Certains ne reçoivent pas plus de 15 US$, montant qui doit servir à acheter une nouvelle terre, construire une maison, et réimplanter des champs. Les gens de la région en sont réduits au désespoir: les pêcheurs et les mineurs qui vivaient des ressources de la rivière n'ont pas reçu la moindre compensation, et beaucoup de familles ont déjà émigré dans les quartiers pauvres des villes des environs.

Selon Tractebel, la compagnie a créé un programme d'aide permettant d'intégrer les fermiers à la vie citadine, et à leur permettre d'habiter le site de logement des travailleurs qui ont construit le barrage, situé à Serra da Mesa, juste en amont du barrage de Cana Brava. Mais beaucoup de familles affectées par la construction du barrage ont faim, font face à des problèmes causés par les répercussions environnementales de cette construction, et manquent d'eau potable.

La production agricole dans la région stagne, puisque ceux qui vivent dans les communautés n'ont reçu aucun subside pour replanter.

Au barrage de Itá, à la frontière entre les états du Rio Grande do Sul et de Santa Catarina, les communautés touchées par la construction sont mobilisées depuis 20 ans, se battant sans relâche pour garantir leurs droits. Après beaucoup de défilés, de bivouacs, de gardes et de sit-in, sur le site du barrage et dans les locaux de Tractebel, ils ont réussi à faire reloger la plupart des familles, même si beaucoup de problèmes subsistent. Là non plus, les familles affectées n'ont jamais reçu de compensation, et beaucoup vivent dans les faubourgs des villes proches.

La situation économique dans la région d'Itá est critique, et l'émigration massive qui a suivi la construction du barrage a durement affecté le commerce local. La production agricole a beaucoup décliné, diminuant la capacité des villes et des états à aider les populations, principalement celles qui restent vivre près du barrage, et qui n'ont ni soins de santé, ni transports, ni éducation.

La législation brésilienne exige des constructeurs de barrages une zone de réserve de 100 mètres autour du réservoir, mais Tractebel n'a accordé de compensation que pour 30 mètres, et les fermiers sont empêchés par les responsables de l'environnement d'utiliser le reste de la zone. Chaque famille a reçu 80 US$ en crédits à l'agriculture, et il reste plus de 200 cas en attente, où des familles doivent se battre pour obtenir des compensations, même si les demandes sont reconnues fondées par Tractebel. Malgré cela, la compagnie n'a encore rien versé.

Suite aux pressions du MAB, la Banque interaméricaine de développement (IDB), un des intervenants qui finance la construction du barrage, a envoyé un consultant pour examiner la situation des populations affectées par le barrage. Celui-ci a confirmé la plupart des problèmes mis en avant par le MAB, mais ceux-ci restent en suspens, car l'IDB et Tractebel n'ont pris aucune mesure effective.

Selon Hélio Mecca, membre de la coordination nationale du MAB, et lui-même victime du barrage de Itá, la technique qui consiste à envoyer des journalistes au Brésil et de ne leur laisser voir ce qu'on veut bien est une stratégie classique de la part de Tractebel, depuis leurs rachats de compagnies d'électricité brésiliennes. Mecca dénonce la cooptation des autorités (principalement les maires des villes affectées par les barrages) comme une pratique courante, tout comme l'utilisation de la puissance de Tractebel pour influencer les médias, le système judiciaire et la police. Tractebel a en effet construit de nouveaux quartiers généraux pour la police, des prisons, des tribunaux dans la région de Cana Brava, allant même jusqu'à rénover les infrastructures de certaines églises pour tenter de s'allier les prêtres et les pasteurs.

Des fêtes et des concerts d'artistes connus ont été payés par Tractebel, et ont été utilisés pour cacher la réalité et les problèmes économiques, sociaux et environnementaux posés par le barrage.

Ce 22 mai, les populations affectées par le barrage de Cana Brava ont commencé des actions de mobilisation en face du palais du gouvernement (palais Esmeraldas) de l'état de Goiás avec l'objectif d'obtenir une audience du gouverneur de l'état. 350 personnes affectées par le barrage, accompagnées de 500 fermiers du mouvement Via Campesina, camperont dans la capitale durant une semaine pour protester. Le 23 mai, d'autres personnes directement affectées par le barrage se joindront à la protestation, pour discuter des prochaines étapes de la lutte.


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