Pour Richard Martineau : des nouvelles sur la Realpolitik de la CPI by Collectif de réflexion sur l'air des lampions Friday May 17, 2002 at 03:42 AM |
Oyez ! Oyez ! Voici un texte écrit par un combattant d'élite mobilisé pour la nouvelle opération de réflexion radicale : « Critique immuable ». N'hésitez pas à vous rendre aux quartiers généraux de la résistance de la raison : www.critiqueimmuable.org. Le texte qui suit porte sur de la position américaine sur la fragile Cour pénale internationale et sur les poses d'humaniste indigné de Richard Martineau.
Nous republions ici un texte d'archive du Collectif de réflexion sur l'air des lampions. Celui-ci prend à parti le très brillant Richard Martineau à l'occasion de la parution d'une de ses profondes cogitations hebdomadaires dans l'hebdomadaire Voir http://www.voir.ca/montreal/actualite/ondesdechoc.asp ?parution=&Id=16144. Dans la foulée de la mobilisation post-Sommet des Amériques, M. Martineau s'était commis dans une expression de « solidarité », non pas avec les nombreux indignés épris de justice sociale, mais avec la vertu d'un seul journaliste, Christopher Hitchens - dont nous ne disputerons évidemment pas la qualité - , journaliste révéré pour son enquête accablante sur Henry Kissinger, laquelle devrait, selon Martineau, mener l'ancien secrétaire d'État américain tout droit devant la « justice internationale ». C'est fort des qualités professionnelles du journaliste, c'est-à-dire de son « objectivité » - « ni à gauche ni à droite » affirme Martineau - , et de l'espoir que deviennent durables les tribunaux de justice internationaux ad hoc, que M. Martineau s'est cru autorisé pendant des semaines à taxer la nouvelle mobilisation de gauche d'hystérie, de paranoïa et d'effet de mode (cf. le « post-scriptum » plus bas).
À titre d'introduction à l'excellente analyse du Collectif de réflexion sur l'air des lampions, nous aimerions faire une petite digression sur l'actualité qui nous fournit une occasion en or pour faire la leçon à ce simple d'esprit. Dans le contexte de la « guerre au terrorisme », l'excellent journaliste Hitchens et le tribunal international auront besoin plus que jamais de l'indignation de la rue, et M. Martineau devra reconsidérer très bientôt son amour affiché de manière ostentatoire pour l'Amérique, amour qui est désormais définitivement en contradiction avec son idéal de justice universelle. C'est qu'au moment même où la Cour pénale internationale (CPI) reçoit l'avalisation d'un nombre suffisant de pays à l'ONU pour pouvoir enfin devenir une organisation internationale légitime stable et permanente, les É.\-U. se braquent plus que jamais contre l'existence même de cette cour. Ce n'est pas surprenant pour les gens avisés. Rappelons pour les autres que nous sommes à l'heure où les É.-U. sont critiqués de toute part pour la détention illégale, selon la convention de Genève, de combattants talibans à Guantanamo ; que plusieurs milliers de personnes ont déjà subi aux É.-U. mêmes des détentions abusives pour des motifs arbitraires qui tendent en plus à montrer le racisme systématique de l'opération de sécurité américaine post-11 septembre 2001 ; que les É.-U. ont décidé qu'un détenu « lié » à « al-Quaida », Zacharias Moussaoui, est passible de peine de mort pour simple délit d'association avec les terroristes du 11 septembre - délit d'association parce que, dans son cas, l'on ne peut pas parler de complicité directe ni de complicité après le fait : Moussaoui était incarcéré depuis déjà quelques semaines quand les événements du 11 septembre 2001 ont eu lieu ( !) (cf. http://www.washingtonpost.com/ac2/wp-dyn ?pagename=article&node=&contentId=A33659-2002Mar28¬Found=true. Soulignons également que Rumsfeld a affirmé que les détenus de Guantanamo qui seront « acquittés » par le tribunal militaire resteront sous les verrous tant que « la guerre contre le terrorisme » ne sera pas « terminée » - c'est-à-dire peut-être pour toujours (cf. http://www.washingtonpost.com/ac2/wp-dyn ?pagename=article&node=&contentId=A33209-2002Mar28-)
On ne sera donc pas surpris que les maîtres du monde cogitent à propos d'un projet législatif délirant, ouvertement anti-CPI, projet qui ne cache absolument pas son caractère intéressé, dénué de toute question de principe de l'ordre de celles qui meuvent les promoteurs de la CPI. Le célèbre sénateur Helms n'a que faire des idéaux de justice universelle quand il propose contre la CPI un projet de loi on ne peut plus « self-serving » intitulé « American Servicemembers Protection Act ».
Ce projet de loi propose l'interdiction de toute participation américaine à la CPI ; il propose également des mesures punitives sous la forme de refus d'aide militaire à ceux qui adhèrent au traité instaurant la permanence de la CPI - sauf pour ce qui est des principaux alliés des É.-U. On trouve également dans ce projet de loi l'exigence que toute participation américaine aux « mission de paix internationales » se fasse sous le couvert de l'immunité. La proposition la plus insolente du projet de loi est la clause « invasion de La Haye » qui autoriserait le président à prendre « tous les moyens nécessaires et appropriés » pour libérer tout membre du « personnel » américain voire même de certains pays alliés, détenu ou emprisonné par décision de la CPI ! (à propos des É.-U. et de la CPI, cf. http://www.hrw.org/campaigns/icc/us.htm)
Tout cela parce que l'Amérique craint qu'il y ait des enquêtes « politiquement motivées » contre ses militaires ou politiciens. On croit rêver ! Bien sûr, bande de cons, que la CPI est « motivée politiquement » ! Et d'ailleurs, on est en droit d'espérer que ses procès ne seront pas des procès politiquement biaisés - comme le sera par exemple celui qui va peut-être mener à la mort Zacharias Moussaoui. Contrairement à la justice expéditive contre « la menace terroriste », la signification politique des procès éventuels de la CPI tient en ce qu'ils visent à rendre possible à nouveau le politique en rendant justice aux peuples et individus qui ont été pris dans des drames où s'était précisément écroulée tout légitimité politique. Les promoteurs de la CPI chérissent également l'espoir que les procès internationaux des dictateurs et fous sanguinaires puissent exprimer fermement la solidarité internationale avec les peuples toujours opprimés. La CPI veut précisément agir au moment où, pour des raisons d'incurie politique persistante dans les pays d'origine des dictateurs, ces procès demeurent impossibles. Libre au plus fort - aux É.-U. - de se donner des airs d'indifférence, de cultiver la dénégation de ses « erreurs » en matière de crime contre l'humanité - ce qui l'apparente à tous les régimes déjà reconnus pour leur complaisance avec leur bourreaux. Mais une chose est certaine, la « lutte pour la civilisation et la liberté » de l'Amérique, quand elle passe par le refus de la CPI, perd toute crédibilité - si elle en n'a jamais eu. Car sur ce terrain, elle se trouve compromise par des alliances objectives très gênantes. En l'occurrence parmi ses alliés, ouvertement opposés à la CPI et qui ne sont que six, on trouve quelques-uns des pires ennemis de l'Amérique : l'Iraq et la Libye, justement réputés pour leur gouvernement tyrannique, la Chine et les très démocratiques Qatar et Yémen, ainsi que l'éternel allié de l'Amérique avec lequel celle-ci est plus complaisante que jamais, excusant déjà ses plus récents assassinats de masse : on parle évidemment... d'Israël. Au fait, Sharon a encore du temps devant lui pour perpétrer des massacres, car pour séduire les opposants à la CPI qui sera instituée en juillet 2002, celle-ci s'est engagée à blanchir tous les malfrats ayant commis des crimes avant cette date - ce qui incidemment, à titre d'information pour M. Martineau, met Henry Kissinger à l'abri.
Quoi qu'il en soit, on conviendra que cette fleur faite à la sombre histoire contemporaine est inadmissible de la part de ceux qui prétendent vouloir instaurer une justice mondiale plutôt que d'en rêver ! Heureusement, entre les espoirs idéalistes de la CPI et la démesure terroriste de l'Amérique, il reste la force de la colère qui, entre autres, s'investit dans la dénonciation patiente, même de la plus basse bêtise. L'Opération critique immuable est convaincue que la critique sans merci revigore toujours les résistants.
À cette fin, revenons donc avec les Lampistes à ce ridicule Richard Martineau qui leur donne beaucoup à critiquer. La critique accablante du Collectif souligne, par l'exemple de l'opportunisme de Martineau, comment les éditorialistes poseurs construisent leur idée en phagocytant le travail honnête des vrais journalistes. Il faut savoir que ce texte fût envoyé pour publication au Voir, évidemment en vain. Cela dit, voici la brillante réplique du principal intéressé parvenue au Collectif :
From: Richard Martineau <martineau@voir.ca> To: Collectif de réflexion sur l'air des lampions <lampions@hotmail.com> Subject: RE: Réponse à la chronique Un criminel en liberté Date: Wed, 6 Jun 2001 10:08:08 -0400 « Criss que vous êtes twits. Vous me rentrez dedans, alors que je vais dans votre direction. On peut toujours compter sur la gauche pour s'entremanger. »
Doit-on comprendre que M. Martineau s'avoue moins bon journaliste que Christopher Hitchens dont il célèbre le prétendu extrême-centrisme - « ni à gauche, ni a droite » ? En tout cas, M. Martineau aurait alors fait un bout de chemin, malgré tout, vers une réconciliation avec les Lampistes. Un point sur lequel Martineau et les Lampistes ne pourront cependant s'entendre est celui de savoir qui trahit l'esprit de la gauche.
L'Opération critique immuable est enthousiasmée à l'idée de continuer d'accabler M. Martineau en republiant le texte du Collectif, autant que sa réplique cinglante, « post-scriptum » à ce mot minable du penseur à la petite semaine. Bonne lecture !
- Claude Pupitre
Originalement publié le 5 juin 2001
Dans sa chronique du 24 mai 2001, Richard Martineau, rédacteur en chef de l'Hebdomadaire Voir, exige la condamnation de Henry Kissinger pour crimes de guerre. Rien de moins. C'est que notre journaliste a lu un livre ! Celui de Christopher Hitchens, The trial of Henry Kissinger. Il a pu ainsi découvrir ce que plusieurs dénoncent depuis trente ans déjà, à savoir que l'ex-Secrétaire d'État de Richard Nixon s'était spécialisé dans les intrigues de palais, les guerres sanguinaires, les assassinats politiques et le soutien aux dictateurs, dont Pinochet ne fut pas le moindre.
Que Martineau découvre et s'indigne MAINTENANT d'un fait connu depuis presque toujours a de quoi nous étonner. D'autant plus qu'en 1996, le collectif d'actions non-violentes autonomes (Canevas) - ancêtre de SalAMI - avait organisé une action de désobéissance civile lors d'une visite de M. Kissinger à Montréal, action qui avait précisément pour but de dénoncer les crimes contre l'humanité commis par cette éminence grise de Washington.
On pourrait, bien entendu, simplement se réjouir qu'un journaliste polyvalent et réputé comme Martineau - c'est-à-dire un journaliste qui peut jouer à celui qui pisse le plus loin à Télé-Québec et conserver assez de crédibilité pour pontifier sur tout et rien dans le Voir et l'Actualité - dénonce un homme d'État comme Kissinger. D'autres pourraient nous rétorquer qu'il n'y a pas de quoi fouetter un chat, qu'il est de notoriété publique que M. Martineau confonde inconsistance intellectuelle et libre pensée.
Quant à nous, nous voyons plutôt dans ce sursaut de conscience sociale l'occasion d'entreprendre une réflexion sur le fonctionnement des médias. Ce que nous désirons ainsi porter à l'attention des lecteurs de journaux, des nombreux journalistes qui s'interrogent sur leur métier autant que des critiques éclairés des médias - les activistes à qui l'on s'adresse entre autres - , ce sont nos cogitations sur le comportement des médias à l'égard des idées. Comment pensent les médias ? Comment une pensée critique se fraie-t-elle un chemin jusqu'à l'esprit généralement complaisant des éditorialistes ? Comment ces derniers perçoivent-ils finalement leurs idées ? Ne sont-ce pas là des questions qui chatouillent les neurones d'un peu tout le monde et qui, de ce fait, interpellent le Collectif de réflexion sur l'air des lampions ? À cet égard, l'explication chomskienne - que nous ne voulons pas balayer du revers de la main - ne suffit pas à comprendre le parfait roulement et la prolifique désinvolture des médias et des vedettes médiatiques contemporaines, désinvolture à laquelle notre collectif entend précisément s'attaquer - comme nous l'avons fait tout récemment à l'égard de l'éditorial de Paule des Rivières (http://montreal.indymedia.org/front.php3?article_id=881). C'est qu'entre nous, activistes, nous pouvons nous indigner de l'irresponsabilité des journalistes massmédiatiques puis comprendre cyniquement leur désinvolture comme une expression obscène qui vient coiffer l'autosuffisance de l'appareil médiatique et qui trahit l'ennui d'avoir le contrôle absolu de l'information. Mais alors, nous ne ferions que nous complaire avec les chomskiens déjà convaincus - que nous sommes tous à divers degrés - , et ne convaincrions personne d'autre du bien-fondé de notre analyse réputée paranoïaque, surtout pas les Martineau de ce monde qui se déclarent sincèrement libres penseurs.
Disons les choses sans détour ; le rapport de M. Martineau à la pensée est comme celui du chien envers sa pâtée : c'en est un de consommateur. À cet égard, il nous semble être le digne représentant de la logique massmédiatique contemporaine. La bête médiatique, en effet, doit produire des informations pour se maintenir en vie. Telle est sa nature. Elle ne vit que pour dévorer et transformer les idées qui lui tombent dessus par hasard, et qui proviennent de l'extérieur d'elle, c'est-à-dire de la société. De surcroît, elle ne consomme que les idées qu'elle peut restituer en signaux-informations propices à la reproduction de sa clientèle (lectorat, auditeurs, etc.). Autrement dit, au sein des médias, les idées sont absorbées les unes après les autres sans autre nécessité que celle qu'ont les groupes de presse de produire de l'information pour se maintenir dans l'existence - c'est-à-dire faire des profits.
Cette logique massmédiatique est celle d'un certain pragmatisme, celui qui a propulsé l'Amérique à l'avant-garde du capitalisme mondial. Elle repose sur le principe que la valeur d'une idée se mesure à son utilité, à savoir sa capacité d'accroître la liberté d'action de celui qui la possède (l'entrepreneur !). Telle est, à notre avis, la manière dont les médias perçoivent les idées : à leurs yeux, elles ne sont que des moyens mis à la disposition de leur désir sans cesse croissant d'agir (imprimer des journaux, produire des émissions, vendre une clientèle à des publicitaires, etc.). Une telle logique ne va pourtant pas de soi et crée même plutôt des contresens. Par exemple, poussés par leur désir insatiable de croissance, les médias se proposent d'offrir à leur clientèle un feu roulant de nouvelles qui, concurrence oblige, se devront d'être plus intéressantes les unes que les autres. Cependant, par définition, une nouvelle est un fait ou un événement nouveau que l'on porte à l'attention du public, de préférence parce qu'on le juge digne d'intérêt. Aussi, le concept de nouvelle est spontanément associé par le sens commun à la surprise et à l'inusité. Or, il va de soi que la nouveauté et la surprise authentiques sont des phénomènes trop rares et trop imprévisibles pour alimenter les nombreux bulletins de nouvelles dont on nous accable de nos jours.
Les médias doivent donc imaginer et bricoler les « nouvelles » de toutes pièces à même les matériaux - les idées - qu'offre la culture commune. Dans les salles de rédaction, on dit de cette imagination et de ce bricolage qu'ils consistent à avoir « le sens de la nouvelle » ou encore à « faire la nouvelle ». Tout l'art du métier de journaliste se limite dès lors à deviner ce que le public veut entendre - et c'est, au demeurant, dans cet art qu'est conservé l'inattendu et la nouveauté qui sont le propre de la nouvelle. On appelle tout cela produire de l'information.
Revenons maintenant au cas de Kissinger et posons-nous à nouveau la question de savoir comment une idée critique en vient à titiller le « sens de la nouvelle » d'un éditorialiste complaisant. Rappelons qu'en 1996, lors de la première Conférence de Montréal, une centaine de militants du Canevas s'étaient présentés au Reine-Élizabeth afin d'« arrêter » Kissinger pour crimes contre l'humanité. L'accusation reposait sur une preuve identique à celle de Hitchens, sur lequel s'appuie M. Martineau. Les justiciers d'alors furent arrêtés dans la quasi indifférence médiatique, et les motivations de leurs actes, qui ont fourni le prétexte à leur arrestation, furent évoquées, à l'époque, du bout des lèvres dans la nouvelle. Peut-être était-il impensable pour les journalistes qu'un prix Nobel de la paix soit accusé de crimes contre l'humanité ? Mais alors, on peut se demander ce qui a pu se passer pour que l'ignominie de Kissinger soit reconnue subitement par M. Martineau. Retournons à son papier d'humeur pour voir ce qui a changé.
En parlant de l'auteur qui l'a inspiré à dénoncer Kissinger, M. Martineau écrit : « La force principale de Christopher Hitchens est qu'il ne loge à aucune enseigne : il attaque aussi bien la gauche que la droite. C'est aussi un formidable reporter. Il ne se contente pas de ruer dans les brancards et de multiplier les gros mots : il fouille, il enquête, il débusque » - les italiques sont de nous, ils soulignent ce qui doit retenir notre attention.
M. Martineau, lisons-nous, estime que la force de Hitchens provient, en ordre d'importance : a) de ce qu'il ne loge à aucune enseigne et b) du fait qu'il est un bon reporter, à savoir un journaliste qui vérifie ses sources, fouille, enquête, etc. On ne doit pas se surprendre que M. Martineau, dont l'article repose en entier sur UNE source, estime qu'être un bon reporter n'est pas la qualité première d'un journaliste. Il aurait affirmé l'inverse et son texte eut été immédiatement discrédité. Par contre, qu'il affirme que la force principale de cet auteur provienne de ce qu'il ne loge à aucune enseigne, alors justement que cet auteur exige que justice soit faite, cela laisse pantois. À plus forte raison quand M. Martineau lui-même décide de condamner Kissinger en affirmant qu'il en va de « l'avenir même du concept de justice internationale ».
Tout cela est de prime abord étonnant, car s'il y a un concept qui exige que l'on loge à une enseigne idéologique pour qu'il fasse sens, c'est bien celui de la justice. Mais s'étonner de la sorte, c'est oublier que M. Martineau, à l'instar des médias, n'a pas besoin de penser pour affirmer quelque chose. Ainsi, quand il dit que la force du travail de Hitchens est sa neutralité idéologique, cela signifie que sa condamnation est valable du fait qu'elle n'est pas déduite d'une idée de la justice. L'enseignement qu'il faut tirer de ce qui précède est que c'est d'avoir parlé au nom d'un idéal de justice qui a discrédité, au cours des 25 dernières années, ceux qui accusaient Kissinger de crimes contre l'humanité.
Mais MAINTENANT tout a changé. Qu'est-ce qui a changé ? Une chose bien simple : maintenant, l'État américain arrête des chefs d'État au nom du droit international (Noriega, éventuellement Milosevic ou Saddam Hussein). M. Martineau peut donc condamner Kissinger sans que cela ait l'air d'une contestation idéologique des pouvoirs établis. Car ce faisant, il ne fait qu'exiger de l'État américain qu'il applique son principe de droit. Voilà ce qu'il appelle « loger à aucune enseigne ». Quant à savoir ce qu'est la nature de ce principe de droit, ce qu'est précisément ce concept de justice internationale qu'il nous faut ne pas prendre à la légère, cela lui est égal : sa seule existence, du seul fait qu'il fonctionne, son évidence, tout cela suffit pour qu'on en prenne la défense. Cela suffit à convaincre le journaliste de porter à notre attention la culpabilité de Kissinger alors qu'hier encore, tout cela le laissait bien indifférent.
Nous l'avons dit, et nous le répétons, les journalistes qui adoptent la philosophie du système médiatique n'ont pas d'idée : ils ne font que s'accrocher aux idées des autres, qu'ils vident de leur sens pour en faire de l'information. Le fait qu'ils appellent ce néant de l'esprit « loger à aucune enseigne » ou encore la neutralité journalistique ne change rien à l'affaire. Ils peuvent s'en faire une vertu et clamer haut et fort que cette désinvolture face à la signification des choses est garante de leur liberté d'esprit.
Mais en réalité, cette liberté est un esclavage. En effet, les mass media sont sous l'emprise d'une dépendance essentielle : envers les idées de la culture commune et, dans le cas de l'« affaire Kissinger », envers les idées des militants. Car il faut se rendre à l'évidence que bien que son auteur ne loge à aucune enseigne, le livre de Hitchens trouve tout son sens dans la lutte patiente des militants pendant les trente dernières années. C'est dire que tout ce qui affleure à la conscience journalistique comme du hasard trouve son sens dans l'action, notamment la nôtre, c'est-à-dire celle des militants. Et c'est parce que les militants oeuvrent à l'émancipation de tous, journalistes inclus, qu'il est de notre devoir de les traîner dans la rue.
Monsieur Martineau,
Nous avons été conquis par l'éloquence de votre réponse à notre texte envoyé pour publication au Voir. En effet, pour le dire comme vous : « criss que nous sommes twits ». Nous sommes « twits » de n'avoir pas pensé que votre bêtise n'est pas qu'un symptôme qui vous échappe, mais une réalité que vous savez devoir être gérée par vous-même. Nous aurions dû savoir que lorsque vous célébrez chez M. Hitchens le fait qu'il n'hésite pas à « déboulonner les statues », plutôt que de choisir des cibles utiles à sa carrière, c'est par envie en même temps qu'avec l'espoir que sa réputation de droiture puisse rejaillir sur vous, alors que vous êtes le pire des opportunistes. Ce qui fait de nous des « twits » n'est rien d'autre que notre naïveté qui n'a pas su voir à quel point votre petitesse est en fait un trou sans fond d'infatuation narcissique qui, malgré tout, ne vous aveugle pas : votre petit message nous reproche finalement sous le mode de l'éructation, de ne pas avoir vu à quel point vous connaissiez profondément vous-mêmes votre médiocrité et l'absolue indifférence qu'il y ait dans le fait que vous vous parjuriez d'une semaine à l'autre, selon ce qu'exigent les circonstances.
En l'occurrence, nous avons été fascinés par votre capacité d'être dans la contradiction complète : entre votre reproche à notre égard selon lequel nous n'étions pas en mesure de voir à quel point vous êtes de la gauche, et votre intervention à l'émission de Marie-France Bazzo quelques heures plus tard où vous vous décidez pour une banalisation de la nouvelle mouvance de gauche, que choisir ?
Votre médiocrité cristaline exige le contraire du rien qui fait selon vous la qualité d'Hitchens. Si Hitchens ne loge à aucune enseigne comme vous le prétendez, en revanche, votre petitesse vous commande de pouvoir vous décider pour n'importe quelle enseigne, afin de sauver, selon les circonstances, votre crédibilité. Le mystère est évidemment pour nous de savoir pourquoi vous vous agitez autant. Nous avons bien tenté de subsumer votre cas sous une loi générale bien exposée dans notre texte. Mais force est d'admettre qu'en tant qu'exception qui confirme la règle, vous nous troublez.
Cela étant dit, revenons à la règle. Dans la mesure où notre texte s'adressait à vous - c'est qu'il s'adressait aussi à d'autres, dont vos lecteurs - , l'objectif avoué de notre missive était de briser le ronron de la mode dont votre pensée est tributaire. Nous profitions du fait que vous « allez dans notre direction » (en vous indignant de Kissinger) pour vous interpeller énergiquement en vue de vous faire réfléchir sur la logique médiatique à laquelle vous participez. Nous ne désirions nullement vous « manger », mais plutôt vous éclairer sur ce que vous mangez.
Et notre interrogation initiale demeure : comment peut-on ne « loger à aucune enseigne » (un précepte que vous semblez chérir) et réclamer en même temps la justice ? Vous n'avez pas répondu à cette question. Nous restons malgré tout très ouverts, prêts à entendre une réponse à cette question, voire à discuter sérieusement. En fait, il en va du tout petit peu de crédibilité que vous avez encore à nos yeux.
Salutations
Michael Brown, Daniel Guertin et Josée Lacasse
pour le Collectif de réflexion sur l'air des lampions
Ce collectif se propose de réfléchir sur les nouvelles formes expressives des revendications populaires qui reprennent la rue. « L'air des lampions » est un nom qui sert à désigner les slogans revendicatifs populaires et qui en évoque un très célèbre datant de 1848, revendiquant un meilleur éclairage des rues de Paris.