arch/ive/ief (2000 - 2005)

Quand la gauche fait le boulot de l'extrême-droite
by azerty Saturday April 27, 2002 at 04:24 PM

Comment, à Lille, une manifestation anti Le Pen a été empêchée par les forces de l'ordre de soutenir les sans-papiers. Un fait symbolique de la rupture entre la gauche réelle et le pouvoir socialiste.

Comment, à Lille, une manifestation anti Le Pen a été empêchée par les forces de l'ordre de soutenir les sans-papiers. Un fait symbolique de la rupture entre la gauche réelle et le pouvoir socialiste.


Mardi 23 avril, à Lille, entre 18h40 et 22 h 00, j'ai participé à une manifestation improvisée, composée essentiellement d'étudiants et de quelques baroudeurs de l'action piétonnière. Cette manifestation a suivi - du moins entre la Place du général de Gaulle et la Place de la République - le même itinéraire que celui emprunté pour la manifestation de lundi qui avait rassemblé près de 10 000 personnes.

Nous n'étions qu'une centaine, cette fois, pancartes aux flancs ou à bout de bras, ou simplement armés de notre parole pour appeler à la défense contre l'extrême-droite incarnée par le Pen. Le but de la manifestation visait en fait la régularisation des sans-papiers, symboles d'une liberté en péril. Nous devions rejoindre l'ancien bâtiment de l'antenne Moulins de la Mission Locale, au 50 rue Thumesnil, que venaient d'occuper depuis quelques heures des sans-papiers, acompagnés de femmes enceintes et d'enfants. Ce bâtiment, vide depuis janvier 2002, appartient à la mairie de Lille. L'occupation des lieux a pour objectif d'amener Martine Aubry, et le Conseil régional du Nord- Pas-de-Calais à respecter leur engagement du 13 décembre 1999 de contribuer à l'obtention d'un local de lutte du CSP 59.

Arrivés à la Place de la République, nous prenons la route jusqu'à la rue Angellier, où se trouve un car de CRS. De loin, on peut voir la synagogue, protégée par deux CRS isolés et armés. Nous prenons alors le chemin de la CFDT. Mais arrivé devant la CFDT, l'impasse ! Nous nous retrouvons face à un cordon musclé de CRS qui nous empêche de continuer. Des cars blindés nous barrent la route. Nous attendons, à dire vrai un peu bêtement, au lieu de rebrousser chemin, et sommes rapidement contourné les forces de l'ordre. Les CRS, épaulés par un commissaire profitent de notre immobilisation pour nous encercler. Nous restons donc sur place plus longtemps que nous l'avions prévu… Juste le temps suffisant, pour que d'autres CRS, rue Thumesnil, s'occupent tranquillement du local occupé par les sans-papiers et se livre à un grand nettoyage - sous la haute responsabilité de Martine Aubry.

Tension

D'après le comité des sans-papiers et des témoins sur place, le local est alors pris d'assaut : coups de béliers dans la grande porte, qui se brise, éclatement des fénêtres du rez-de chaussée, les CRS pénetrent à l'intérieur, balancent des gazs lacrymos dans chacune des pièces, saccagent les portes de la mairie à coup de haches pour expulser violemment sans-papiers et soutien. Certains tentent de de se jeter par la fenêtre, asphyxiés par les gaz mais d'autres, heureusement, les retiennent. Le commissaire affolé acceptera finalement de discuter avec les responsables du CSP 59. Six sans-papiers réfugiés dans les toilettes sortiront en suffoquant à causes des gazs lacrymogènes. Au résultat, onze blessés seront évacués par le Samu et les pompiers - parmi lesquels blessés l'un a une fracture de deux doigts avec 15 jours d'incapacité de travail. Une femme opérée récemment du ventre devra même être évacué sur une civière.

Tout cela se passe pendant notre immobilisation. Nous n'en savons rien encore. Hypocrisie ou lâcheté de la police qui avancera le prétexte que cette immobilisation devait empêcher que la manifestation serve de bouclier aux sans-papiers. Faits comme des rats, la tension commençait à monter de notre côté : des insultes fusaient, tandis que certains jouaient de la musique.

Autre hypocrisie, cette fois, celle de la CFDT : un des syndicalistes, sur place, négocie notre sortie en nous disant que les CRS nous donnent à choisir entre une intervention musclée ou un repli vers notre point de départ, la place du Général de Gaulle. L'inquiétude monte, toujours plus forte, CRS et manifestants étant de plus en plus sous tension. La vue des CRS n'est pas des plus rassurantes : j'éprouve l'inquiétude que ressentent des soldats encerclés dans une place forte, à ceci près que la place forte était de papier, une pure illusion.

Art de la guerre

Des images de violence policière me viennent à l'esprit. Je pensais aux récits entendus par des militants de Mai-68 à propos des CRS, qui n'hésitaient pas. Je sais que ceux-ci ne rigolent pas, ils sont comme des armes à frapper, à tuer, ou des machines exécutantes. Certains partisans, stupides, ou inconscients, lancent des "Police partout, justice nulle part" ; "Police = SS". Je pense : « les cons, ils vont nous mener à l'abattoir, si ça continue ».

Puis, les CRS ont ouvert le barrage.

En rebroussant chemin, il y eut un petit heurt entre manifestants et CRS, auquel je n'ai pas assisté, étant trop loin déjà. La manif a été ensuite escortée par un cordon policier jusqu'à la place. J'ai alors compris que, pour manifester, il fallait user de stratégies plus complexes, je pensais alors au mot de Den, un ami, qui me disait que peut-être Sun Tzu aurait avec son Art de la guerre beaucoup à nous apprendre.

La leçon que je retire de ce petit événement contemporain, le matraquage des sans-papiers, c'est que plus que jamais nous sommes dans l'impasse. Cette manifestation symbolise à la fois le drame qui se joue sous un gouvernement de gauche incapable de répondre aux droits les plus manifestes de la démocratie, la liberté d'expression et aussi la fraternité des peuples, mais aussi notre incapacité à fournir un véritable contre-pouvoir à l'Ordre.