arch/ive/ief (2000 - 2005)

Expulsée d'Israël
by Léa Mathy [posted by kitty] Thursday April 25, 2002 at 04:04 PM

"J'enrage…mais je recommencerai" Je suis arrivée à Tel Aviv, le vendredi 19 avril, vers 16h. Je me suis présentée au contrôle des passeports. Mise sur le côté, après une demie heure d'attente, un responsable de ministère de l'intérieur est venu me chercher pour m'emmener dans son bureau. Là, il m'a dit que j'avais été travailleur clandestin pendant neuf ans à Jérusalem.

En fait, j'étais volontaire, payée par Médecine pour le Tiers Monde, travaillant dans des projets d'aide médicale dans la région. Je sortais tous les 3 mois, pour renouveler mon visa de tourisme. Israël ne donne pas de permis de séjour prolongé. Ensuite, ils m'ont dit que j'étais restée en Israël entre 1996 et 1997 sans visa, ce qui n'est pas vrai. Pour finir, ils m'ont accusé d'être entrée en Israël, à l'époque, avec 7 passeports différents. Ils devaient se tromper de dossier, car je n'ai changé légalement que 3 fois de passeport.

Mon sort a été décidé quand j'ai dit que j'allais à Jérusalem pour avoir un rapport des projets de notre partenaire local et que ce partenaire était palestinien. J'ai été dirigée sans explication dans ‘la chambre', sorte de salle d'attente avant d'être remis dans un avion comme refoulée. Dans cette chambre, il y avait 4 dames qui avaient travaillé en Israël sans permis pendant plusieurs années. Elles étaient sorties du pays, pour rendre visite à leur famille, et pensaient rentrer, pour reprendre leur boulot. Ces femmes avaient toutes une histoire de travail clandestin comme femme à journée ou servante. Une venait d'Ukraine, 25 ans, une autre venait de Pologne, 35 ans, et deux autres venaient de Slovaquie( 20 ans et 30 ans). L'Ukrainienne était depuis 6 jours dans ‘La chambre'. Elle a vu passer des Françaises, des Italiennes, des Africaines.

Marina, venant de Slovaquie, avait quitté son pays pour aller gagner sa vie en Suisse. Elle y a vécu 2 ans comme servante dans une famille bourgeoise. " Depuis la séparation de la Slovaquie et de la Tchéquie, la situation en Slovaquie s'est nettement détériorée. Les investisseurs et les industries se sont installés en Tchéquie. Mon père a dû aller en Tchéquie chercher du travail; c'est un ouvrier en bâtiment. Il travaille à 1000 km de chez lui et revient une fois par mois, pour retrouver sa famille en Slovaquie ". Marina voulait une autre vie, elle a donc pris son baluchon et est allée à la recherche du travail, à l'âge de 18 ans Elle a été dénoncée et remise à la frontière. Après cela, elle a tenté sa chance en Italie. Elle a pu ainsi y travailler un an et demi et s'est vue encore reconduite à la frontière. Finalement elle est arrivée à Elat, en Israël où elle croyait avoir trouvé une situation professionnelle et sentimentale stable. Elle y a travaillé pendant 2 ans et demi. Maintenant, elle se retrouve de nouveau refoulée. Le vécu de toutes ces femmes dans la ‘Chambre' parle vraiment et concrètement de la misère du monde. Ce sont des gens qui cherchent un meilleur avenir, qui se battent aussi.

J'ai vécu trois expériences dans cette chambre. Je me suis sentie travailleur clandestin refoulé, comme ces femmes. Je me suis sentie comme une réfugiée palestinienne à qui Israël refuse le droit de retourner chez elle. Et je suis frustrée de ne pas pouvoir concrètement apporter ma solidarité au peuple palestinien.

Un sentiment de grande colère m'a envahit. Le policier qui nous gardait s'est présenté comme quelqu'un de non religieux, de philosophe connaissant Sartre et Camus. Il disait tout le temps à " mes collègues de chambre " : " Elle est vraiment nerveuse ". Je lui ai répondu: ‘Je ne suis pas nerveuse, je suis en colère'. En partant il me lança : " Il ne faut pas rester en colère contre Israël ".

J'ai été finalement embarquée dans le 1er avion, le lendemain à 4h de l'après-midi. Marina espérait de pouvoir repartir dimanche matin dans un avion pour Prague. Ainsi que pour la dame hongroise. Seule l'Ukrainienne ne savait pas quand elle allait être expulsée.

Quatre millions de Palestiniens expulsés de leur pays. Une occupation de la Cisjordanie et de Gaza qui dure depuis 35 ans. Toute une population abandonnée aux chars et avions israéliens. L'aide médicale entravée voire interdite. Des dizaines de milliers de blessés en comptant la première Intifadah. Pour un grand nombre à vie. Des milliers de morts… Jénin…

Et je suis dans cet avion, expulsée. J'enrage… La lutte continue… Je recommencerai…
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