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Europe postale: Le rouleau compresseur
by Henk Monday March 11, 2002 at 01:06 AM

Le 12 mars prochain, le Parlement européen examinera en deuxième lecture un projet de directive fixant de nouvelles étapes de la libéralisation marchande du service public postal.

Europe postale: Le rouleau compresseur

Le 12 mars prochain, le Parlement européen examinera en deuxième lecture un projet de directive fixant de nouvelles étapes de la libéralisation marchande du service public postal.

En suivant de près les évolutions juridiques ce qui est difficile pour le citoyen «lambda» , on est frappé par la formidable ténacité de la technostructure européenne (elle-même très imbriquée dans les Etats membres) à faire avancer ses dossiers, même si cela prend des décennies.
Concernant La Poste, les résistances à une dérégulation rapide sont fortes dans certains pays. Si le Parlement européen et des coalitions de pays parviennent à retarder le processus, il n'est nullement entamé dans sa cohérence, que les pays de l'Union soient «socialistes» ou «libéraux». Une sorte de gouvernance générale de l'Europe, résistant à toute pression publique (ou démocratique), finit tôt ou tard par s'imposer.
Inversement, les évolutions du cadre juridique européen servent de prétexte aux gouvernements pour anticiper et décider des évolutions internes dites irréversibles, alors qu'elles ne sont nullement des injonctions des autorités supranationales (comme la transformation du statut de France Télécom par Lionel Jospin en 1997). La Commission, dans un communiqué de 2000 sur les «services d'intérêt général», rappelle que l'article 86 du traité d'Amsterdam, qui stipule l'ouverture à la concurrence, «est neutre pour ce qui est de la propriété» et affirme très explicitement qu'il «n'est pas nécessaire de privatiser les entreprises publiques»!
La mécanique européenne est à la fois implacable et parfaitement hypocrite: le principe européen de concurrence se traduit automatiquement dans les Etats par privatisation ou gestion privée, ce qui n'est pas textuellement la loi (même si le marché a sa logique).
L'exemple de La Poste est édifiant. Tout a démarré par un Livre vert de la Commission en 1992. Dix ans après, les choses avancent. Une directive de 1997 fixait des objectifs et un calendrier. Mais chaque palier n'est qu'une digue momentanée, vite rompue, pour faciliter l'entrée des opérateurs privés sur les segments rentables du marché.
La directive 1997 définit le «service universel» comme une «offre de services postaux fournis de manière permanente en tous points du territoire», avec accessibilité cinq jours par semaine, pour «une levée» et «une distribution au domicile de chaque personne», pour les envois jusqu'à deux kilos (10 kg pour les paquets). Autrement dit, il faut maintenir un réseau fiable si on veut que des segments de celui-ci puissent être utilisés avec profit par des compagnies privées. Mais elle définit aussi des «services réservés» (dont les Etats précisent le mode de gestion, sous monopole ou par des aides publiques) dont la fourniture est «nécessaire au maintien du service universel». Mais avec interdiction que les bénéfices servent à financer des services ouverts à la concurrence: on appelle cela une «distorsion». Autrement dit: monopole, à la rigueur, mais sans la péréquation tarifaire qui permet des prix accessibles unifiés. En réalité, on veut tuer le monopole.
La directive 1997 le préservait encore pour la distribution des lettres jusqu'à 350 grammes, soit une ouverture de 3% du marché. Or une nouvelle proposition de directive en 2000 prévoit, dans le paquet suivant, de passer à 20% d'ouverture: monopole limité aux lettres de moins de 50 grammes (ou à deux fois et demie le tarif de base), marché ouvert pour le courrier express, le courrier international excepté. Le Conseil européen du 15 octobre 2001 a adopté ce projet aménagé. Il doit passer en deuxième lecture au Parlement européen le 12 mars. Une étape dite de «compromis» a été trouvée, maintenant le monopole à 100 grammes début 2003, puis 50 grammes en 2006, vers une libéralisation totale en 2009. En douceur en somme, mais sans retour possible. Sous aucun prétexte les députés ne doivent voter ce faux «compromis».
Comment résister?
· L'Europe n'est pas extérieure aux Etats, mais imbriquée dans leur technostructure, celle qui échappe le plus aux alternances politiques. Il faut donc résister à la logique du tout marchand à la fois sur le plan européen et sur le plan national.
· Aucune injonction européenne n'oblige La Poste en France à démanteler son réseau (projet Soft) avec éclatement en trois directions séparées: courrier, colis et clientèles financières. Avec des budgets propres, des contrats de gestion, des établissements séparés. Bref, une préparation minutieuse à la livraison au privé des segments rentables du réseau.

par
Dominique Mezzi