L'axe du Mal by Igancio Ramonet Sunday March 03, 2002 at 02:25 PM |
Trois fronts. Les citoyens doivent savoir que la mondialisation libérale attaque désormais les sociétés sur trois fronts.
Central parce qu'il concerne l'humanité dans son ensemble, le premier front est celui de l'économie. Il demeure placé sous la conduite de ce qu'il faut vraiment appeler l'« axe du Mal (1) », constitué par le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Cet axe maléfique continue d'imposer au monde la dictature du marché, la prééminence du secteur privé, le culte du profit, et de provoquer, dans l'ensemble de la planète, de terrifiants dégâts : hyperfaillite frauduleuse d'Enron, crise monétaire en Turquie, effondrement calamiteux de l'Argentine, dévastations écologiques partout...
Et la prochaine Conférence internationale sur le financement du développement, qui se tient à Monterrey (Mexique) du 18 au 22 mars, risque d'aggraver le désastre général en affirmant que le secteur privé doit devenir le principal acteur du développement du Sud (2). Il est scandaleux que les chefs d'Etat et de gouvernement, en particulier ceux de l'Union européenne, refusent d'adopter, en faveur du développement, les indispensables mesures qui, seules, peuvent sauver de la misère les deux tiers de l'humanité.
On peut en retenir dix : annuler totalement la dette des pays pauvres ; mettre en place un système de règlement généreux, juste et équitable de la dette des pays du Sud ; définir des garanties pour que les futurs financements soient engagés dans des conditions satisfaisantes et utilisés en faveur du développement durable ; obtenir des pays riches qu'ils s'engagent à consacrer au moins 0,7 % de leur richesse au financement du développement ; rééquilibrer les termes de l'échange entre le Nord et le Sud ; garantir la souveraineté alimentaire dans chaque pays ; contrôler les mouvements irrationnels de capitaux ; interdire le secret bancaire ; déclarer hors-la-loi les paradis fiscaux ; et mettre en place enfin une taxation internationale des transactions financières.
Le deuxième front, clandestin, silencieux, invisible, est celui de l'idéologie. Avec la collaboration active d'universités, de prestigieux instituts de recherche (Heritage Foundation, American Enterprise Institute, Cato Institute), de grands médias (CNN, The Financial Times, The Wall Street Journal, The Economist, imités en France et ailleurs par une foule de journalistes asservis), une véritable industrie de la persuasion a été mise en place afin de convaincre la planète que la mondialisation libérale apporterait enfin le bonheur universel. En s'appuyant sur le pouvoir de l'information, des idéologues ont ainsi construit, avec la passive complicité des dominés, ce qu'on pourrait appeler un délicieux despotisme (3).
Cette manipulation a été relancée, après le 11 septembre, avec la création par le Pentagone d'un très orwellien Bureau d'influence stratégique (BIS), chargé de diffuser de fausses informations pour « influencer les opinions publiques et les dirigeants politiques aussi bien dans les pays amis que dans les Etats ennemis (4) ». Comme dans les années les plus sombres du maccarthysme et de la guerre froide, une sorte de ministère de la désinformation et de la propagande a donc été mis sur pied chargé d'établir, comme dans les dictatures ubuesques, la vérité officielle. La ficelle était si grosse que le Bureau en question a dû être officiellement fermé, fin février.
Le troisième front, inexistant jusqu'à présent, est militaire. Il a été ouvert au lendemain du traumatisme du 11 septembre 2001. Et vise à doter la mondialisation libérale d'un appareil de sécurité en bonne et due forme. Un moment tentés de confier cette mission à l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN), les Etats-Unis ont décidé d'assumer seuls cette mission et de se doter de moyens considérables pour l'exercer avec la plus impressionnante efficacité (lire l'article de Paul-Marie de La Gorce). La récente guerre en Afghanistan contre le régime des talibans et contre le réseau Al-Qaida a convaincu Washington qu'il est inutile, pour des missions de cette envergure, de demander une collaboration militaire autre que minimale à ses principaux alliés stratégiques, Royaume-Uni et France, ou même à l'OTAN (5).
Cette attitude de mépris a été confirmée lors de l'annonce récente, faite sans consultation de ses alliés, de l'intention de Washington d'attaquer prochainement l'Irak. Les protestations des chancelleries européennes, qui s'estompent déjà, n'ont nullement impressionné l'administration américaine. La fonction des vassaux est de s'incliner, et l'Amérique aspire désormais à exercer une domination politique absolue. « Les Etats-Unis sont en quelque sorte le premier Etat proto-mondial, constate William Pfaff. Ils ont la capacité de prendre la tête d'une version moderne de l'empire universel, un empire spontané dont les membres se soumettent volontairement à son autorité (6). »
Cet empire aspire à réaliser dans les faits la mondialisation libérale. Tous les opposants, tous les dissidents et tous les résistants doivent maintenant savoir qu'ils seront combattus sur ces trois fronts : économique, idéologique et militaire. Et que le temps du respect des droits humains semble révolu, comme le prouve l'établissement de ce scandaleux « bagne tropical » à Guantanamo où plusieurs Européens sont séquestrés dans des cages... L'axe du Mal (FMI, Banque mondiale, OMC) dissimulait son vrai visage. On le connaît à présent.
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(1) Dans son discours sur l'état de l'Union du 29 janvier 2002, le président des Etats-Unis, M. George W. Bush, a évoqué un « axe du Mal » constitué, selon lui, par l'Irak, l'Iran et la Corée du Nord.
(2) Lire : « Projet de conclusions et décisions de la Conférence internationale sur le financement du développement », Nations unies, assemblée générale, 30 janvier 2002, document A / AC.257 / L.13.
(3) Lire Propagandes silencieuses, Galilée, Paris, 2000.
(4) International Herald Tribune, 20 février 2002.
(5) Lire Guerres du XXIe siècle, Galilée, en librairie le 14 mars 2002.
(6) International Herald Tribune, 7 janvier 2002.