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Affaire des otages français au Liban, affaire nucléaire
by Infonucléaire Tuesday February 19, 2002 at 07:19 PM
infonucleaire@altern.org

L'affaire des otages du Liban a davantage été au centre d'un enjeu nucléaire que d'un enjeu financier

Contentieux franco-iranien : «L'enjeu était plus nucléaire que financier»

Dominique Lorentz a travaillé pendant cinq ans sur les questions nucléaires, et notamment sur le contentieux franco-iranien lié à la négociation sur l'accord Eurodif (lire ci-dessus). En 1997, Dominique Lorentz a publié Une guerre, puis, en 2001, Affaires atomiques. Son travail, à la croisée du journalisme et de la recherche historique, a consisté à exploiter des milliers de documents officiels, articles de presse, livres, portant sur les cinquante dernières années. Pour elle, les enjeux du contentieux Eurodif, fortement liés aux attentats en France en 1986 et aux prises d'otages, sont avant tout d'ordre nucléaire. Elle estime que la libération des otages en 1988 s'explique parce que, au même moment, «Jacques Chirac a accordé à la République islamique ce qu'elle réclamait depuis près de dix ans».

Vous expliquez dans votre recherche que les négociations sur la libération des otages ont correspondu aux évolutions des discussions sur Eurodif. Que stipulait cet accord?

L'affaire des otages du Liban a davantage été au centre d'un enjeu nucléaire que d'un enjeu financier. En 1974, à l'époque du shah, la France signe avec l'Iran un vaste accord de coopération nucléaire, qui comprend, d'une part, la vente de centrales et d'équipements nucléaires, et, d'autre part, dans un volet juridiquement séparé, l'accord Eurodif. Cet accord stipulait que:

1. L'Iran apporte 1 milliard de dollars à la France sous forme de prêt, via le canal du Commissariat à l'énergie atomique.

2. Le remboursement de ce prêt doit commencer en 1981, l'année de la mise en service de l'usine d'enrichissement d'uranium d'Eurodif, située sur le site de fabrication de la bombe atomique française.

3. L'Iran entre dans le capital d'Eurodif, via une participation dans une société, Sofidif, où l'Iran détient 40 %. Cette même société détenait 25 % du capital d'Eurodif. Au total, l'Iran possédait donc la minorité de blocage.

4. En cette qualité, l'Iran a le droit de retirer jusqu'à 10 % de la production d'uranium enrichi, ce qui est énorme parce que cette production représente un tiers de la production dans le monde.


Comment est né le contentieux entre la France et l'Iran?

Khomeiny, une fois au pouvoir, a revendiqué les accords signés par le shah. Or la France a refusé aux Iraniens le droit d'exercer leur statut d'actionnaires d'Eurodif. En fait, Khomeiny n'a rompu que le volet sur la vente des centrales nucléaires, mais pas le contrat Eurodif. La réalisation de cet accord a été la principale revendication de la République islamique entre 1981 et 1991. Face à la mauvaise volonté de la France, Khomeiny a commencé sa pression, à travers des actions terroristes qui sont devenues visibles du grand public en 1985 et 1986, lors de la prise d'otages au Liban et à l'occasion d'attentats sur le sol français.

La droite a-t-elle entamé des négociations avant les législatives de 1986?

Il n'existe aucune preuve formelle, seulement des témoignages. Mais tout laisse supposer que l'intervention de l'équipe Chirac a perturbé les négociations avec les socialistes (1). Mais je suis convaincue que ces derniers étaient très loin de détenir une solution pour le règlement du contentieux Eurodif. Pour preuve, il faudra encore cinq ans pour obtenir la fin de ce conflit. Si les Iraniens ont laissé Chirac jouer son jeu, c'était pour ne pas faire de cadeau électoral à la gauche car, depuis cinq ans, entre 1981 et 1986, la République islamique se heurtait à Mitterrand qui refusait de céder.

En fait, la première ouverture s'est traduite par le versement, dès 1986, d'une partie du remboursement du prêt?

Oui, même si l'enjeu du contentieux n'est pas financier. S'il n'est pas inexistant, il n'est pas central. Il reste que la France a accordé deux versements, l'un de 300 millions de dollars, l'autre de 330 millions de dollars, en novembre 1986 puis en décembre 1987. Pour les Français, ces versements sont une façon de ne pas rompre la relation, un geste de bonne volonté. Il n'est pas possible de dire s'il y a eu en parallèle une rançon. Et, si rançon il y a eu, elle vient fatalement des fonds secrets de Matignon, qui sont faits pour cela. Mais, bizarrement, ces deux versements ne sont pas explicitement évoqués dans le règlement final, en décembre 1991.

Pourquoi, finalement, les otages ont-ils été libérés? Dans «Affaires atomiques», vous écrivez que c'est parce que «Jac ques Chirac a accordé à la République islamique ce qu'elle réclamait depuis près de dix ans».

Oui, ces versements n'expliquent pas la libération des otages. Ceux-ci sont libérés le 5 mai 1988 parce que, le 6 mai, Jacques Chirac a signé avec l'Etat iranien, en qualité de Premier ministre, un accord dont la condition de réalisation était le retour des otages. Cet accord stipule qu'à compter du retour des otages: les relations diplomatiques avec l'Iran sont restaurées; l'Iran devient actionnaire d'Eurodif à travers une prise de participation directe dans Eurodif; des licences d'exportation d'uranium seront accordées à l'Iran, qui pourra enfin retirer l'uranium réclamé depuis 1981; l'aspect financier, c'est-à-dire le remboursement du prêt, sera réglé.

L'accord signé par Jacques Chirac fera de la France l'un des principaux partenaires de l'Iran dans sa course à l'arme atomique. Ce qui est frappant c'est que Mitterrand, une fois réélu, va appliquer à la lettre, bon gré mal gré, les termes de l'accord signé par Jacques Chirac, qui deviendra l'accord final en décembre 1991. Dans cette affaire, Jean-Charles Marchiani et Charles Pasqua n'ont été que les exécutants des décisions prises par le Premier ministre Jacques Chirac.

>(1) Le 9 janvier 2002, sur RFI, Eric Rouleau, le négociateur de François Mitterrand, a confirmé cette thèse en expliquant «des envoyés de M. Chirac surenchérissaient» parallèlement à la négociation officielle.

Par Fabrice TASSEL
Libération le mardi 19 février 2002

 

Pour avoir plus d'infos:

1) Regardez le reportage en Realvideo 39Kb de 52mn."La République atomique" ou les secrets du pacte nucléaire France-Iran.

Le documentaire diffusé le mercredi 14 novembre sur Arte, plonge au coeur des relations franco-iraniennes en établissant des liens entre la vague d'attentats des années 1980 en France et les ambitions nucléaires de l'Iran.

Au centre de ce film de David Carr-Brown et Dominique Lorentz, l'entrée de l'Iran du Chah en 1974 dans le capital d'Eurodif, consortium d'enrichissement de l'uranium mis en oeuvre par la France. Manifestation, selon les auteurs, de la volonté de Téhéran de se doter de la bombe atomique.

Mais l'arrivée de Khomeiny au pouvoir en 1979 change la donne. "Les Etats-Unis, aidés par la France, voulurent que l'Iran renonce à ses ambitions nucléaires, ce que la République islamique n'a pas accepté. Elle fit alors pression sur eux de 1980 à 1991", explique Dominique Lorentz.

Les années 1985 et 1986 furent marquées par les otages français au Liban, les attentats à Paris (FNAC, Hôtel de Ville, Pub Renault) et l'assassinat de Georges Besse le 17 novembre 1986.

Information peu connue du grand public et expliquée dans le film : avant de diriger Renault, M. Besse fut l'un des grands responsables du programme nucléaire français, jusqu'à devenir patron... d'Eurodif. Et le groupe Action Directe, responsable de sa mort, était "intimement lié" aux Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL), selon Mme Lorentz.

Fin décembre 1991, un accord de règlement du contentieux franco-iranien a été enfin signé. Il reconnaît bien l'Iran comme actionnaire d'Eurodif. Un pacte dont plusieurs dispositions restent aujourd'hui secrètes.

Sur son application, les avis de Paris et des auteurs du documentaire divergent. De source diplomatique française, on indique que "l'Iran est bien membre d'Eurodif. Mais en l'absence de centrale nucléaire civile opérant en Iran, il n'y a pas de livraison d'uranium enrichi. En outre, cet uranium est très faiblement enrichi et non susceptible d'usage militaire".

L'Iran possède pourtant officiellement cinq petits réacteurs de recherche civile et doit mettre en service une centrale civile à Busher, sur le Golfe, avec l'aide de Moscou.

"Les Iraniens ne se sont pas battus pied à pied pendant dix ans pour ne pas exercer leur droit sur l'uranium enrichi d'Eurodif", juge Laurent Beccaria, co-producteur du film et éditeur aux Arènes de deux livres de Dominique Lorentz sur le sujet, "Une guerre" (1997) et "Affaires atomiques" (février .

A partir de sources ouvertes et de déclarations officielles, l'auteur y raconte la stratégie délibérée des grandes puissances --parallèle au discours sur la non-prolifération-- de dissémination de l'arme nucléaire, pour d'excellentes raisons stratégiques et diplomatiques.

"La France a travaillé non seulement avec l'Iran, mais aussi avec l'Irak, l'Egypte, le Pakistan, l'Inde, la Chine et l'Arabie Saoudite, c'est-à-dire les principaux acteurs du conflit actuel", résume Mme Lorentz. A ce jour, aucun des deux livres n'a été attaqué en justice ou officiellement démenti.

La fin du documentaire est troublante. En visite à Paris en 1999, le président iranien Mohammad Khatami dépose une gerbe au Panthéon sur la tombe de Pierre et Marie Curie, les pionniers français de l'atome.


2) L'Iran construit-il des armes nucléaires ?



3) Si l'Irak a la bombe c'est grâce à la France