le film "Navigators" de Ken Loach by Kham Friday February 15, 2002 at 11:59 PM |
Une interview de Ken Loach Cinéma solidaire
Quelques semaines après la sortie de "Navigators", Ken Loach revient sur le propos de son film, la situation des chemins de fer britanniques et les enjeux nouveaux nés de la mondialisation néolibérale.
- "Navigators" témoigne d'une connaissance très pointue de la condition des travailleurs des chemins de fer. D'où vous vient-elle?
Ken Loach - Le scénario du film a été écrit par Rob Dawber, qui a travaillé sur les voies pendant dix-sept ans. J'espère que le film reflète sa connaissance et son expérience. D'autre part, de nombreux rôles sont tenus par des gens qui sont ou ont été cheminots. Pendant le tournage, j'avais toujours des experts sous la main pour me conseiller.
- Votre film montre les conséquences de la privatisation du rail. Comment les chemins de fer britanniques en sont- ils arrivés là?
K. Loach - Les chemins de fer ont été la dernière grande industrie privatisée par le gouvernement de Margaret Thatcher et John Major. Ces derniers étaient persuadés que seuls les capitaux privés et les mécanismes du marché pouvaient conduire à l'efficacité et à l'augmentation de la productivité.
Les conséquences, comme dans toutes les privatisations, ont été désastreuses. Dans une société rationnelle, il y aurait un équilibre entre les besoins de la société et ses capacités à les satisfaire. Il y aurait un usage réfléchi et ordonné des ressources. Il y aurait de bonnes conditions de formation et de travail, avec des salaires suffisants et la sécurité de l'emploi. Mais les besoins des capitaux privés ne sont pas compatibles avec de telles exigences.
Alors qu'ils étaient encore propriété publique, les chemins de fer ont été divisés en unités séparées. On a recherché différents acheteurs pour les voies et les trains. Les conditions de travail se sont détériorées. Les procédures de sécurité ont été modifiées. Des centaines de travailleurs expérimentés ont quitté les chemins de fer. La culture cheminote de la sécurisation des activités, construite sur plusieurs générations, a été consciemment attaquée.
Le gouvernement travailliste semble surpris du désordre actuel, pourtant prédit par les cheminots. Comme leurs prédécesseurs, les travaillistes sont idéologiquement acquis aux privatisations. Malgré une adhésion populaire exceptionnelle à l'idée de renationalisation, le gouvernement refuse de remettre les chemins de fer en propriété publique et de développer un système de transports digne de ce nom, utilisant les technologies les plus avancées. Au lieu de cela, il augmente les subventions aux patrons du secteur, et le chaos continue.
-L'extension du capitalisme globalisé est en train de détruire l'idée même de solidarité ouvrière. Ce n'est pas très prometteur... Qu'en pensez-vous?
K. Loach - C'est vrai, la facilité qu'il y a aujourd'hui à faire circuler en un instant des capitaux dans le monde entier, à la recherche des profits les plus rapides, est un défi pour le mouvement ouvrier. Les directions bureaucratiques de nombreux syndicats britanniques semblent incapables d'y répondre. Mais la lutte contre la précarisation et la flexibilité, contre les privatisations et les licenciements réclame un nouvel internationalisme. Pour que nous ayions la moindre chance de remporter quelques victoires, particulièrement dans la nouvelle Europe "intégrée", nous devons créer et développer des contacts à la base. A chaque fois que j'ai eu la chance de voir s'opérer de tels contacts, j'ai toujours été surpris de l'immense bonne volonté et du sens de la solidarité qui ne demandent qu'à s'épanouir.
- La fin de Navigators est très sombre pour les travailleurs. Est-ce parce que vous pensez qu'il n'y a pas, aujourd'hui, d'autre perspective?
K. Loach - La fin du film est sombre, effectivement, parce que nous ne voulions pas entretenir de faux espoirs. Le travail non sécurisé et les conditions de travail précaires sont des conséquences inévitables de la privatisation, ce n'est pas une question de malchance individuelle. Il n'y a qu'une issue, en réalité: revenir à la propriété publique des chemins de fer, et que ceux-ci soient gérés par les gens qui y travaillent, en partenariat avec ceux qui les utilisent.
- Si vous n'aviez pas de contraintes, quel serait le film de vos rêves?
K. Loach - Le film de mes rêves, c'est le prochain. Le cinéma de mes rêves, c'est autre chose. Peut-être est-ce un cinéma fonctionnant selon les principes que nous voudrions voir appliqués aux chemins de fer...