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Le père Noël est un macho ( Aden n°60)
by Gilles Martin Saturday January 05, 2002 at 02:31 PM
adendif@skynet.be

Star Academy vous emmerde, le machisme du père Noël aussi ? Lisez ce dernier d'Aden

Aden
Nouvelles de marronnage culturel.
Numéro 60, 01/01/2002
" Tout en ce monde sue le crime : le journal, la muraille et le visage de l'homme. "
Charles Baudelaire

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L'édito
Au-delà des superficiels vœux que nous recevons systématiquement dans la tronche, Aden vous souhaite une formidable année pleine de rebellions, de sens critique, de créativité, de poésie, d'émotions, de désirs et, surtout, nous souhaitons une année insupportable aux maîtres du monde. Qu'on se le dise. Et préparez-vous. 2002 sera une année faste pour Aden…
J'oubliais : merci à tous ceux qui ont contribué à faire connaître Aden car vous êtes bel et bien plus de 10.000 à recevoir ce mail corrosif.
Gilles Martin

Les brèves
Le père Noël est un macho
Les catalogues de jouets distribués massivement aux gosses pendant les fêtes sont souvent des condensés de sexisme brutal. Par exemple : " Dans le catalogue des jouets de Noël d'Auchan, dont le slogan est "La vie, la vraie", la page "Fées du logis" présente trois petites filles qui, l'air triste et résigné, un foulard dans les cheveux, repassent, manient l'aspirateur et le chariot porteur du matériel pour laver les sols. "Dès 3 ans", précise la légende...(…) Dans le catalogue de la Foirfouille, une petite fille et un petit garçon sont installés devant une cheminée, comme un petit couple. Il lit un livre, sourcils froncés ; elle tient son bébé dans les bras. " (1)
Dans ces catalogues, les jouets proposés au garçon sont généralement plus intéressants : jeux dits scientifiques, jeux à plus fort contenu éducatif. Les jeux attribués aux filles sont souvent plus passifs. Autre exemple : en magasin, la poupée Barbie vendue avec une machine à laver bat tous les records ! C'est pour s'opposer à la diffusion de ces stéréotypes que l'association féministe Mix-cité a lancé une campagne de sensibilisation en publiant un contre-catalogue de jouets : sur quelques pages, les photos d'enfants des catalogues et la réalité des adultes sont mises en regard : une fillette jouant avec une petite table à repasser et un fer en plastique, et une femme occupée à la même tâche. " 5 ans, 30 ans, dit la légende. En France, 80 % des tâches ménagères sont exécutées par les femmes. Cette inégalité s'inculque dès le plus jeune âge. Un petit garçon frappant un punching-ball, et deux hommes adultes qui se battent. En France, une femme sur dix est battue par son conjoint. Quel jouet pour apprendre le respect mutuel ? "
Dès le plus jeune âge, nos cerveaux sont envahis de clichés. Et si nous n'y prenons garde, la vie serait une succession d'étapes programmées à l'avance. N'oublions jamais que le sexisme est un instrument de mise en esclavage de la moitié de l'humanité : les femmes (‘L'autre moitié du ciel' comme les appelait un certain Mao Tse Toung). Ces jouets préparent la femme à accepter le mariage docilement, à devenir une bonne ménagère, une bonne mère de famille et, en dernière analyse, à respecter scrupuleusement l'ordre social. Le père Noël, finalement, c'est pas un cadeau.
1. Le Monde du 15/12/2001
" Star Academy ", une illusion ‘réaliste'
La télé réalité est plus que jamais d'actualité ! TF1 qui bavait devant le succès de " Loft Story " a lancé depuis des semaines sa " Star Academy ". 16 candidats, au départ, sont entrés dans cette " école " pour devenir des stars. Alors, avec l'aide de " pros " et sous l'œil de multiples caméras qui les filment 24h sur 24h, ils apprennent docilement à devenir des stars du show-bizz et ceci sous l'œil de millions de téléspectateurs assoiffés de sensations et de rêve bon marché. Car le tout est saupoudré de direct quotidien avec une grand messe le samedi soir où un apprenti sorcier est impitoyablement éjecté par les choix de ses condisciples, de ses professeurs et du public. La télévision n'a jamais été aussi proche de l'arène romaine et des gladiateurs. Tel est le lot de la télé réalité. Or, permettez-moi de me pencher sur le terme de " réalité. " Ou de me poser cette question : la " Star Academy " est-elle le reflet du monde réel ?
L'histoire de l'art fut souvent traversée par deux concepts : le réalisme et le naturalisme. En peinture, le naturaliste se contente de reproduire ‘tel quel' le paysage ou le portrait qu'il dessine. Le réaliste, lui, transpose et transfigure les phénomènes du réel à travers le prisme de sa conception du monde. (1) Il est donc légitime de s‘interroger sur ces " Reality show ". N'est-ce pas plutôt le dernier avatar d'un naturalisme plat et ennuyant à mourir où toute poésie est absente ? Et bien, non.
Le ‘réalisme' a toujours servi à mobiliser les peuples pour un projet de société. Au haut moyen âge, l'art roman était un réalisme au service de l'expansion du christianisme. Ensuite, la réalité splendide de l'œuvre d'un Michel-Ange servait à annoncer la " Renaissance. " Plus tard, le réalisme socialiste éveillait le peuple à la promesse d'un monde meilleur.
Aujourd'hui, les fresques de Michel-Ange ou l'œuvre du muraliste Siqueiros ont leur pendant contemporain, un nouvel art " réaliste " : " La télévision version TF1 "
En effet, une émission comme " Star Academy " est un arsenic idéologique redoutable. Il est le meilleur agent du réalisme néolibéral.
D'abord, on éduque des millions de téléspectateurs à l'idée que le meilleur gagne et que celui qui apprend moins bien la chorégraphie ou qui chante faux doit être impitoyablement éliminé. Bref, la loi de la jungle, la loi du plus fort ! On imagine ce que cette idéologie prépare à faire accepter dans le monde du travail.
De plus " Star Academy " enchaîne, par le biais des sentiments et de l'émotion, ces mêmes spectateurs à un projet purement commercial : la fabrication d'un CD et l'organisation d'une tournée de concerts. Bref, de la publicité à l'état brut et non stop. D'ailleurs, TF1 ne s'y trompe pas, le jingle qui annonce les pubs est la musique de l'émission.
Enfin, on vend du rêve facile qui tente de faire croire que le conte de fée est possible pour tous et que nous pourrions, nous aussi, peut-être, devenir une star. Et si cela ne devait pas être le cas, ce serait uniquement de notre propre faute. A force de nous faire rêver à l'impossible, on finit par accepter son destin : TF1 inocule le fatalisme à une échelle massive.
Je me souviens d'une expérience marquante : en vacances, j'avais regardé " Qui veut gagner des millions ". J'étais dans une pièce à regarder une boite lumineuse alors que m'entouraient l'océan, les Antilles et un peuple que je ne connaissais pas. Ce n'est pas celui qu'on regarde à la télé qui est enfermé mais bien celui qui la regarde.
" Star Academy " dévoile la détresse d'une génération à qui on livre des rêves bien maigres. Combien de temps cette illusion ‘réaliste' durera. Car quand elle mourra, les tenants du pouvoir pourront trembler. N'acceptons plus ces fantasmes de pacotilles et partons à l'assaut du ciel, reprendre possession de nos rêves véritables.
(1) A ce sujet, voir le l'entretien publié avec le peintre Somville aux Editions Aden.
C'est quoi la vie ?
L'AFP titrait ce 29 décembre : " Kaboul reprend goût à la vie : cinéma, commerce, jeux ont été longtemps interdits par les talibans ". Bien entendu, que des cinémas rouvrent à Kaboul est une bonne nouvelle et rien ne me fera regretter le régime fasciste des talibans. Mais le sel de la vie est-ce bien les jeux, le commerce et le cinéma ? Ou est-ce simplement une femme qui marche, les cheveux au vent, sans devoir se cacher ? Et on en est loin à Kaboul.
Il y a 10 ans, disparaissait l'Union Soviétique. A la naissance de ce pays, les républiques socialistes à forte population musulmane avaient vu des manifestations de femmes qui brûlaient leur voile comme symbole d'une émancipation nouvelle. C'était au début des années 20. Le monde avance parfois à reculons.
Lever le voile…
Réveillons et autres soûleries assourdissantes sont toujours saupoudrés d'un lot de conneries affligeantes. Toujours les mêmes films à la télévision, les discours de bonne année de nos dirigeants et les bonnes œuvres émouvantes de quelques stars qui aiment, sur le même pied, les pauvres, les handicapés, les enfants malades. Faut soigner son image.
Cette année, le pompon de l'hypocrisie revient à Céline Dion, Lil Bow Wow, Joey McIntyre, Jessica Simpson et George Michael qui ont tenté de s'associer à quelques huiles de l'armée américaine pour enregistrer un remake de "Feed the World" ( disque censé lutter contre la famine en Ethiopie en 1984). Il aurait été dédié aux Afghanes que la gentille armée américaine a libérées : "C'était un exemple parfait de la capacité des Américains à aider les gens qui souffrent en Afghanistan, et ce par le meilleur intermédiaire de notre savoir-faire, la chanson", a expliqué un porte-parole de Vivendi Universal. ( On soulignera le lien entre le show-bizz et l'armée.)
Le disque devait se nommer : " Lift the Veil " ( Lève le voile). Or, le projet fut rapidement abandonné car des gradés américains se sont carrément inquiétés du mépris pour l'islam et la profonde ignorance de l'Afghanistan que diffusait la chanson. C'est dire le niveau atteint et on ose à peine imaginer le contenu de la chanson…
Torture made in USA
Tucker Carlson, commentateur sur CNN, a révélé le climat liberticide qui règne pour le moment aux USA : " La torture, ce n'est pas bien. Mais le terrorisme, c'est pire. Aussi, dans certaines circonstances, la torture est un moindre mal ". Ainsi, au nom de la lutte contre le terrorisme, reviennent à l'ordre du jour des méthodes barbares. Saviez-vous qu'au moment où vous lisez ces lignes, pas moins de 1200 étrangers ont été secrètement arrêtés aux USA dont plus de 600 sont incarcérés sans jugement et sans même avoir été présentés à un juge. Le pays qui se dit le champion du monde libre se révèle incapable de mettre cette liberté en pratique sur son propre territoire. Alors, au-delà de ses frontières…
A Noël, le client est roi : " Vive la République "
La bonne nouvelle de cette fin d'année, c'est l'apparition dans les kiosques de Belgique, d'un excellent numéro de la revue Toudi consacré " Aux faces cachées de la Dynastie belge ".
Vous pensiez que la famille royale était aussi mielleuse que le sourire coincé de la Princesse Mathilde ? Ce numéro va vous secouer. Un numéro indispensable pour découvrir un pan fondamental de l'histoire de Belgique que nos gouvernants nous cachent. Mettons-nous à leur place : si ce que cette revue nous apprend était assimilé par la majorité des belges, la Dynastie devrait préparer ses valises…
Ce numéro de Toudi est disponible chez votre marchand de journaux mais aussi sur commande en nous envoyant un mail : adendif@skynet.be Prix :2,48 euros.
Larmes d'acier.
Ce 31 décembre 2001, le haut fourneau des Forges de Clabecq a définitivement cessé de battre. Les assassins se reconnaîtront. Ce cœur d'acier, je l'aimais. Dernières larmes... d'acier
Le courrier des lecteurs…
A propos de l'article sur les Nobel…
Je n'ai pas lu Naipaul. J'ai lu l'article dans le diplo et j'ai lu le discours de GaoXiang et aussi sa "montagne de l'âme". Tel que je l'ai compris, GX parle des totalitarismes divers qui mettent toujours en demeure les artistes d'illustrer leur dogme, ou alors de prendre quelques vacances dans un camp à casser des cailloux (au mieux).
La révolution culturelle n'a pas échappé à ces pratiques et tu le sais sans doute GX a eu tellement la trouille à un moment qu'il a brûlé -et donc perdu- toute la première partie de son œuvre. Y a pas que les anticommunistes primaires qui croient qu'à cette époque des gens ont été dénoncés par leurs enfants à qui on avait bien bourré le mou et que le lynchage sur rumeur faisait partie des distractions quotidiennes. D'ailleurs, justement, GX l'évoque, il décrit bien le climat de peur et surtout ses séquelles, profondes, profondes, durables, durables...
C'est toute la difficulté de cette question de l'engagement. Bien sûr que c'est bien les écrivains engagés.
Mais enfin on sait aussi qu'en Europe aujourd'hui ça peut être juste du marketing.

Moi depuis BHL quand l'engagement est trop visible, j'ai tendance à aller faire un tour. Mourir pour des idées d'accord mais de mort lente chantait Brassens. Et puis il y aura toujours des créateurs qui auront du talent pour décrire leur jardin mais aucun pour des marches militaires ou des chants révolutionnaires. Il faut aussi leur laisser cette liberté. A ton inverse, j'ai fui les prix Nobel pendant longtemps comme une "marque" bourgeoise et officielle, et finalement j'ai aimé GX qui me semble pratiquer ce que Bernard Lamarche-Vadel (dont je te recommande la lecture si tu aimes tressaillir) a bien délivré en une formule adaptée me semble-t-il au monde où nous vivons et que je te recopie ici :

"le seul grand artiste aujourd'hui est celui-là
qui apporte les preuves de son inexistence et de sa survie,
qui sont les conditions ordinaires mais occultées,
de quiconque a encore le cœur battant."
Cordialement
Pol guezennec
" Aden m'apporte beaucoup. "
C'est sous la neige du "pays des montagnes"…euh…la Suisse que je t'écris. Je voulais te féliciter pour ce que tu fais. C'est à dire se battre quand on a compris qqch car oui, beaucoup de personnes commencent à prendre conscience de tout ce qui les bouffe : ce capitalisme de merde, etc... mais trop peu de personnes osent se battre. C'est pourquoi je t'encourage à continuer sur ce chemin. Tu n'es pas tout seul. Je ne sais pas comment je suis arrivée a recevoir Aden...le destin peut-être. En tout cas, je peux dire que j'ai un sacré plaisir à le recevoir car il m'apporte beaucoup. Merci...
Aline
A la prochaine …
Gilles Martin, gilamaison@skynet.be
@den, édition du 01/01/2002, n°60, tirage: 10069 adresses électroniques.
Le manifeste d'@den.
Le 'marron', cet esclave qui à l'époque de la servitude, brisait ses chaînes pour fuir l'ordre établi, et bien, le nègre marron m'a pris à la gorge. Et ce mot que je cherchais pour dire ma révolte de l'ordre culturel et de l'ordre tout court, ce mot qui souligne à merveille ce refus qu'on voudrait balancer à la gueule de ceux qui nous macdonaldisent, qui disneyisent, qui nous transforment en clochards de la culture, je le trouvais sur cette "île inquiète"(1): le marronnage ! Aujourd'hui, en Occident, la chaîne n'emprisonne plus l'esclave au pied. Les chaînes de notre servitude sont aussi posées dans notre cerveau. Combien de Français, de Belges abrutis par Jean-Pierre Foucault ? A quoi rêvent encore les hommes écrasés par la Loterie Nationale et les rubriques zodiacales de je ne sais quel canard boiteux ? Pourquoi cet océan de verroteries ??? Le marronnage m'apprend à vouloir casser mes chaînes et à prendre le maquis de la contre-culture. C'est là qu'est le vrai but d'@den car marronnage signifie subversion et transgression d'un ordre contraire. En conséquence, je vous invite à partir dans la montagne bouter l'incendie de notre inaliénable révolte.
Gilles Martin
(1) La Martinique.