Argentine: Un jour de furie qui va rester dans l'histoire by Indymedia Argentine (Trad: Manu) Thursday December 20, 2001 at 11:44 PM |
Etat de siège? Quel état de siège?
De la Rua n'avait pas terminé de parler, disant que pour protéger la constitution et ses institutions il devait décréter l'état de siège, que les gens commençaient à se mettre aux balcons de leurs maisons.
Avec le souper encore mal digéré, le discours de De la Rua couronnait un jour de furie qui a inclus des pillages dans tout le pays (y compris la capitale), mobilisation de fonctionnaires, répression policière, plus de 400 détenus, 10 morts et des centaines de blessés.
Le chahut général a éclaté, rendant obsolète l'état de siège décrété depuis quelques minutes seulement.
Avec ce qu'ils avaient sous la main, les gens ont commencé à descendre sur les trottoirs et en quelques minutes aussi dans les rues. Pris au dépourvu, les policiers qui gardaient un supermarché Coto du quartier de San Cristobal regardèrent stupéfaits une marée de personnes qui avec des marmites, des poêles, des seaux ou ce qu'ils avaient, exprimaient le chahut accumulé de semaines, mois et années.
L'image se répétait tous les 2 ou 3 pâtés de maisons, le concert de casseroles se mélangeait au piquet, brûlant des sacs-poubelles et générant un son ensorcelant qui encourageait les gens.
A la télé, ils ont commencé à dire que les gens se mobilisaient spontanément en plusieurs endroits importants de la capitale, une dame demanda à une autre:
- Et qu'a dit De la Rua?
- Rien, qu'ils veulent imposer l'état de siège pour les pillages.
- Ils disent qu'il y a des pillages mais en réalité ceux qui pillent nos réserves, nos économies et nous affament, ce sont eux. L'état de siège qu'ils se le mettent dans le cul.
24h15: la "colonne de San Cristobal" arriva à Plaza Congreso.
Les gens avaient commencé à se mobiliser massivement vers la Plaza de Mayo, Congreso et la maison de Cavallo (où il y avait selon les sources entre 5000 et 10000 personnes). Tous les cortèges de rue qui s'étaient dispersés à San Cristobal (où j'étais avec des amis) se regroupèrent et marchèrent par l'Av. Belgrano vers le Congrès. Quelques minutes après minuit, quand régnait déjà "l'état de siège", avec quelque 300 manifestants, nous nous sommes engagés sur la place du Congrès et nous nous sommes ajoutés aux milliers qui occupaient déjà les escaliers centraux de l'édifice et chantaient contre De la Rua et Cavallo.
A ce moment, les rumeurs de démission de tout le cabinet étaient plus fortes et attendaient une confirmation, la joie des gens se calma soudain quand arrivèrent les nouvelles qu'à la Plaza de Mayo (qui en ce moment était pleine), ils dispersaient les gens avec des gaz lacrymogènes et des balles de caoutchouc.
La décision au Congrès fut unanime, tous ont regardé leurs voisins et sans rien dire (il n'y avait rien à dire), les plus de 10.000 manifestants au Congrès ont commencé à avancer vers la Plaza de Mayo.
La Av. de Mayo ressemblait à une fourmilière, des milliers de personnes allaient et venaient sans bien savoir vers où ni pour quoi, mais les chants étaient unanimes contre le gouvernement, Cavallo et l'accord.
A la hauteur de l'Av. 9 de Julio se sont rencontrées les deux colonnes qui venaient du Congrès et de la Plaza de Mayo, éclatant en un seul cri.
Certains commencèrent à dire que Cavallo était déjà tombé, qu'il fallait maintenant aller à Olivos. Et quelques milliers commencèrent à marcher vers là-bas.
Pendant ce temps, au croisement de la calle Florida et aussi à Maipu, environ 3000 personnes affrontaient la police. Un camion prit feu, près de Cabildo, essayant de retarder l'avance de l'infanterie.
Pendant approximativement une heure, les manifestants avancèrent et reculèrent devant les gaz et les balles de la police, entre la 9 de Julio et Maipu.
Evidemment, les élégantes vitrines des banques qui apparaissaient comme des énormes monstres qui retenaient la solde des travailleurs, ne furent pas étrangères au chahut général.
"… si ceci n'est pas le peuple, où est le peuple…" "… le peuple uni ne sera jamais vaincu…".
1h50. Les gens se regroupent et retournent au Congrès.
Personne ne pouvait croire ce qui se passait, des gens qui cheminaient de tous les côtés, sans bien savoir où aller, ni que dire. Cavallo et tout le cabinet avaient déjà démissionné. Allons pour De la Rua? On ne savait pas. Mais si, De la Rua aussi devait partir. Le chant du Congrès était que tous s'en aillent et ne reviennent plus.
L'image quand j'arrivai au Congrès me surprit. Je crois que c'était la meilleure carte postale de "Argentine Bonne année 2002", seulement quelques semaines à l'avance.
Les perrons et rampes du Congrès étaient pleins de gens pendant que 10 ou 15.000 personnes les regardaient d'en bas. La police attendait sur un côté mais n'intervint pas, durant plus d'une heure les gens faisaient la fête et criaient contre le gouvernement et sa politique. Contre la politique et les parlementaires, contre Menem et la corruption.
Ainsi entre les cris et les chants, les gens commencèrent à quitter les lieux, non sans incidents évidemment, comme cela semble normal ici.
Le gouvernement de De la Rua vit une agonie mortelle et les péronistes pensent en ce moment à la transition. La solution qu'ils proposent n'est pas très différente, dolariser ou dévaluer, ajuster ou piller directement le porte-monnaie des travailleurs. Tous travaillent pour le même chef, le FMI et la Banque Mondiale.
Hier le chahut s'est exprimé dans la rue mais n'a pas mis en lumière une solution pour le pays. Et ce qu'il faut, c'est une solution pour le pays.
Des problèmes comme le remboursement de la dette extérieure, le chômage et les licenciements, sont à l'ordre du jour et il faut y trouver une réponse. Les travailleurs et les chômeurs qui sont les plus touchés par la faillite virtuelle de l'économie argentine peuvent se lever et donner une réponse pour tout le peuple argentin. Nationaliser les entreprises qui ferment ou licencient, répartir les heures de travail entre les travailleurs et les sans-emploi, arrêter de payer la dette extérieure, nationaliser les banques et arrêter les prêts et intérêts usuriers aux petits commerçants et paysans ruinés sont les tâches du moment.
Les gens dans la rue ont démontré qu'ils avaient le cran et la détermination que n'ont pas les bureaucrates syndicaux, qui continuent à soutenir un gouvernement en décadence et qui refusent d'appeler à une nouvelle grève générale de durée indéterminée jusqu'à ce que tombe le gouvernement et que ce soient les travailleurs et le peuple argentin qui décident de l'avenir du pays.
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