arch/ive/ief (2000 - 2005)

Le Procureur général des États-Unis, John Ashcroft, a fait l'offre suivante aux citoyens du monde entier, incluant les immigrants illégaux se trouvant aux États-Unis : si quelque étranger peut fournir des renseignements jugés valables concernant des terroristes ou des actes de terrorisme, les autorités américaines feront ce qu'elles peuvent pour lui faciliter l'obtention d'un visa et/ou possiblement de la citoyenneté américaine : la délation est entrée au coeur de la politique américaine d'immigration à travers un programme baptisé «  responsible cooporators program » ! Qui sait : éventuellement un quota de renseignement sera peut-être demandé à tous les citoyens américains en guise de preuve de loyauté. Nous n'en sommes cependant pas encore rendus là : si les autorités américaines exigent de leurs futurs citoyens qu'ils fassent preuve de responsabilité envers leur terre d'accueil, il semble bien pour l'instant que la déresponsabilisation assumée dans la solidarité du silence peut contenter l'État. Le grand État démocrate américain est heureux que l'on sache que 60 % d'Américains sont prêts à laisser les militaires s'occuper de la justice de la Cité en secret.

En tout cas, même si le gouvernement américain en venait à perdre une partie de ses citoyens « de souche », il n'est pas interdit de penser que sa campagne on ne peut plus agressive d'immigration, qui fait si fièrement miroiter le rêve américain auprès des délateurs potentiels du monde entier, campagne d'immigration jumelée à une persistance tout à fait plausible du gouvernement américain dans l'aveuglement total à l'égard de la misère qu'il engendre partout dans le monde, cette campagne donc pourrait, en quelques générations, faire de l'Amérique un immense refuge en forme de forteresse pour des mouchards, des agents secrets, des mercenaires et tout le reste.

Mais il faut mettre un bémol à la possibilité d'une telle régénération de l'empire américain. À la lumière de ce que nous savons maintenant - c'est-à-dire que l'Amérique a décidé d'entourer du plus grand secret non seulement les enquêtes mais les éventuels procès et sentences que pourraient subir des milliers de suspects en « détention préventives » - il ne serait pas étonnant que tous ceux qui avaient l'intention de se mettre à table craignent d'être confondus avec ceux-là mêmes qu'ils pourraient moucharder. En effet, il faut savoir que des officiels du département américain de la justice ont précisé qu'il reviendrait aux procureurs fédéraux de décider de la pertinence des informations fournies par les délateurs. On peut dès lors comprendre qu'un informateur potentiel y pensera deux fois avant de courir le risque de voir ses informations jugées non pertinentes pour l'obtention d'un visa ou de la citoyenneté mais suffisamment incriminantes pour l'inculper sous quelque chef d'accusation relatif au terrorisme. Cette possibilité est d'autant plus plausible que le fort ressentiment qui anime les Américains les prédispose aux satisfactions de la vengeance immédiate. En effet, tout le monde est en mesure de voir que le triomphalisme américain cherche toutes les occasions de jouir de lui-même, à commencer par ceux qui sont au parfum du profond secret terroriste. Ces derniers savent bien qu'ils peuvent être aisément reconnus coupables par association et qu'ils ont donc toutes les chances de passer aux mains de l'administration militaire et, du coup, aux oubliettes.

Et puis d'autres raisons portent à croire qu'il n'y aura pas de ruée vers l'or au département américain de la délation. Qui voudrait devenir citoyen d'un pays où, sans même porter le fardeau de la délation, on risque la mort à tout instant : les avions se précipitent sur les tours ; le trafic aérien est tellement dense que les avions se font tomber les uns les autres ; sans parler du danger mortel que représente la réception du courrier.

Trêve de badineries : la société américaine est de plus en plus inquiétante et pas seulement à cause de ces nouvelles calamités. Il est ahurissant de constater l'évolution fulgurante de l'esprit fascisant au sein du gouvernement américain qui en est maintenant presque rendu à l'assumer solennellement. Il y a à peine un mois, les USA lançaient des ballons d'essais médiatiques pour savoir ce que le public américain pouvait bien penser de l'idée d'envoyer des suspects se faire extorquer des aveux sous la torture dans des pays dont la mauvaise réputation est de toute façon irréparable (Cf.Les américains à la recherche de sous-traitants de la torture). Il s'agissait au fond d'ouvrir la possibilité pour les Américains de se raconter que les coupables sont ceux qui sont prêts à fournir la marchandise-torture et non ceux qui la consomment. Qui sait, peut-être que la société de consommation américaine, forte de la lutte qu'elle a remportée contre le distributeur de poison qu'est l'industrie du tabac, aurait pu plaider qu'elle ne connaissait pas tous les dangers associés à l'usage de la marchandise-torture ?

Eh bien tous ces stratagèmes font désormais partie du passé. Plus besoin de dénier les conséquences morales des « nécessités de la guerre » : il suffit de les cacher... avec l'assentiment du peuple. C'est du moins ce que le sondage susmentionné prétend. Il y a de quoi être un peu sceptique...

En effet, habituellement si friands de chasses à l'homme en direct, d'émissions télévisuelles où le public est invité à participer à la réparation du tort fait à la société à travers le crime en contribuant à la chasse aux criminels (je pense à des émissions comme « America's most wanted »), les Américains, qui sont heureux d'avoir augmenté leur accès aux divers procès en cours aux USA (via la télédiffusion) et qui trouvent que ce n'est pas encore assez puisqu'on les jugent accros au rituel fictionnel des « court dramas », eh bien ces Américains ne seraient pas intéressés à connaître le sort que réserve la Sainte Justice à ceux qui auraient contribué au pire crime perpétré en terre d'Amérique de tout temps ? On peut en douter ! Il y a tout de même matière pour un grand spectacle religieux !

Que les Américains ne se laissent pas commettre dans des réponses toutes formelles commandées par l'État - je parle évidemment des sondages - et fassent entendre leur vraie voix : debout Américains ! Exigez au moins des jeux comme à l'habitude ! Personne ne pourra vous refuser de voir le plus tôt possible la série « The Black Cave » (of the Pentagon) après « The West Wing » (of the White House).

Ce texte a été écrit par un combattant d'élite mobilisé pour la nouvelle opération de réflexion radicale : « Critique immuable ». N'hésitez pas à vous rendre aux quartiers généraux de la résistance de la raison : http://www.critiqueimmuable.org.