arch/ive/ief (2000 - 2005)

Marche des gueux sans ticket, acte III & épilogue provisoire : jugement le 18.01
by CST Friday December 07, 2001 at 07:21 PM
collectifsansticket@altern.org

La "Marche des gueux sans ticket", acte III et épilogue provisoire : jugement le 18 janvier 2002

Après 5 journées de déambulation à travers les routes et les sentiers boueux du Royaume, la vingtaine d'usagers du Collectif sans ticket amenée par la SNCB à porter en appel devant les tribunaux la question de l'accès aux transports a atteint ce vendredi les marches du Palais de Justice de Bruxelles, sous les encouragements d'une centaine de personnes et accompagnée par les chants médiévaux d'une chorale polyphonique.

« On aura tous-tous-tous bientôt les trains gratuits… » ont entonné les gueuses et gueux sans ticket sur l'air de « On ira tous à Torremolinos », alors que la foule prenait le chemin de la salle d'audience. L'accès à cette dernière était une fois de plus richement garni de policiers fédéraux chargés de fouiller toute personne désireuse d'assister aux débats. Ce déploiement de forces, combiné au refus du Président d'accepter dans l'enceinte du tribunal les gueux poursuivis s'ils ne quittaient pas leur accoutrement, a retardé l'ouverture du procès pendant une heure et demi.
La troupe de sans ticket une fois installée, le Président a énuméré les faits retenus à l'encontre des 17 usagers prévenus (entre une et quinze amendes). Maîtres Van Gehuchten, Peeters et Letellier sont ensuite intervenus pour contester le bien fondé de poursuites reposant sur un traitement discriminatoire des citoyens en matière tarifaire et contrevenant par là aux art. 9 et 10 de la Constitution belge. Evidente sur le territoire belge, cette inégalité des usagers devant les services rendus s'étend d'ailleurs à tout ressortissant de l'Union européenne, en infraction avec le droit communautaire au regard duquel il ne peut être question d'une « préférence nationale tarifaire » (réductions applicables par exemple aux minimexés en Belgique mais pas à leurs équivalents français – les RMIstes – lorsque ils se déplacent sur le réseau SNCB). Dans la foulée, les avocats du CST ont pointé, à travers les art. 82 et 86 du traité instaurant la Communauté européenne, l'irrégularité de conditions commerciales inégales (les diverses formules tarifaires, sans lien avec la situation socio-économique des usagers) pour des prestations équivalentes (les trajets en train).

La plaidoirie a aussi souligné la dimension explicitement politique de la démarche des usagers du CST, citant entre autres à titre d'illustration ce qu'en a écrit la philosophe des sciences I. Stengers : « Ce n'est pas à un aménagement humanitaire de la situation qu'il (le CST) entend aboutir (…). C'est à une véritable décision politique, traduisant une transformation de la manière dont les problèmes sont posés, c'est-à-dire un événement culturel ».

Maître Peeters a pour sa part présenté les déplacements des prévenus en tant qu'application de la notion « d'état de nécessité », le voyage sans titre de transport visant ici à préserver la valeur du droit à la mobilité, prioritaire par rapport au dommage prétendument causé à la collectivité.

Le Substitut du Procureur du Roi a quant à lui soufflé le chaud et le froid. Tout en reconnaissant que « la cause des prévenus est en tous les cas totalement justifiée aux yeux d'une politique future », il s'en est tenu à une lecture du droit réductrice et amnésique, demandant à la Cour la plus stricte application de la loi. Il a en effet estimé qu'une jurisprudence imaginative en la matière constituerait « une dérive dangereuse pour la démocratie ». Vu le peu de revenus des usagers poursuivis, c'est donc sans sourciller qu'il a réclamé des peines d'emprisonnement à l'encontre d'une pratique citoyenne qu'il juge par ailleurs « respectable et sympathique ».

Cinq usagers de la carte de droit aux transports, membres ou non du CST, ont, pour finir, apporté un faisceau d'éclairages sur le contexte et les motivations de leur démarche. En une petite heure, devant le Substitut, les trois juges et les greffières du Tribunal correctionnel, ils ont abordé les aspects suivants : la désobéissance civile et la jurisprudence comme sources vivantes du droit ; les mutations de l'environnement socio-économique, la crise du politique et les nouvelles formes de participation à la chose publique ; la mise en critique des régimes tarifaires préférentiels en vigueur aujourd'hui ; l'état de liquidation larvée d'une SNCB rongée intérieurement par une gestion financière compromettant à court terme ses missions de service public ; enfin, l'expérience et les enseignements que l'on peut associer à l'emploi de la carte de droit aux transports.

A côté de l'application stérile du réquisitoire du Substitut, une possibilité s'est dessinée pour le Tribunal dans les conclusions déposées à l'audience : faire suite aux trois propositions de questions préjudicielles (demandes de clarification adressées ici à la Cour de Justice européenne de Luxembourg) relatives à l'interprétation du droit communautaire. Peut-être alors adopterons-nous la suggestion du Président qui, ce matin, face aux applaudissements ponctuant les propos de la défense, s'est exclamé : « Faites ça quand je rendrai mon jugement ». Un jugement qui sera prononcé en audience publique le vendredi 18 janvier 2002.

Les CST de Bruxelles et de Liège