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Nouvelle de Doha (1) La guerre au Sud
by Raoul Marc Jennar Friday November 09, 2001 at 09:46 PM
urfig.jel@noos.fr

LA 4e CONFERENCE MINISTRERIELLE DE L'ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE (OMC)

Ce vendredi s'est ouverte la conférence qui doit reprendre le travail
bloqué, il y a deux ans, à Seattle. Un très mauvais remake.

Les pays industrialisés, Union européenne en tête, demandent, comme en 1999,
un nouveau cycle de négociations afin d'étendre les matières placées sous
l'autorité de l'OMC et de son organe de règlement des différends, seul
instrument international capable d'imposer à un pays de modifier sa
Constitution, ses lois et ses règlements s'ils font obstacle au
libre-échange tel que défini par les accords de l'OMC négociés par les
gouvernements et ratifiés par les parlements.

Les 15 gouvernements européens, des communistes français aux fascistes
italiens, ont donné au négociateur européen Pascal Lamy le même mandat qu'en
1999. Ils ont ajouté, avec l'hypocrisie qui caractérise les déclarations
européennes, qu'il conviendra de "prendre en compte les attentes des pays en
développement" Ce qu'ils ne font nullement privilégiant l'alliance qui les
unit aux autres pays riches.

En effet, les pays industrialises se livrent a une véritable guerre contre
les pays du Sud en imposant l'idéologie libre-échangiste, mais en se
protégeant contre le libre-échange lorsque celui-ci est contraire à leurs
intérêts (accord agricole, accord textile, accord sur les droits de
propriété intellectuelle). Mais non seulement, ils imposent des règles pour
lesquelles ils s'accordent des exceptions, mais ils refusent l'évaluation de
leur impact socio-économique et veulent étendre leur dogme libre-échangiste
à de nouvelles matières contre l'avis des PVD.

Pour arriver à leurs fins, l'Union européenne et les USA qui brandissent en
toutes occasions vers le reste du monde les drapeaux de la démocratie et de
l'Etat de droit, n'hésitent pas à bafouer les règles qu'ils ont eux-mêmes
établies. Du point de vue transparence et démocratie des procédures de
décision a l'OMC, rien n'a changé depuis Seattle et aucune des leçons n'a
été retenue. Les choses se sont même aggravées

L'OMC est une institution qui doit fonctionner sur la base du consensus,
mais celui-ci est systématiquement détourné par des pratiques laissant la
place libre à l'arbitraire :
- les pays qui ne s'expriment pas (parce qu'ils n'ont pas de représentation
diplomatique à Genève ou parce qu'ils disposent de trop peu de personnel
qualifié pour suivre la dizaine de réunions quotidiennes à l'OMC) sont
considérés comme ayant donné leur accord;

- les consultations dites informelles des pays riches entre eux et avec
quelques partenaires de circonstance se sont poursuivies et même
systématisées. Les décisions qui en sortent sont présentées aux autres comme
étant à prendre ou à laisser.

Au cours de la préparation de Doha, de nouvelles pratiques se sont ajoutées
:

- des super consultations informelles où tous les types de pays sont
représentés, où l'accès est refusé aux membres non invités et on tente
d'isoler les plus réticents (après la réunion de Singapour, les pays riches
se sont réjouis d'avoir "isolé" l'Inde, comme "s'il était possible d'isoler
un milliard d'êtres humains")

- l'abandon du consensus qui n'est pas remplacé par un vote majoritaire,
mais par l'arbitraire du président du Conseil général de l'OMC. Le projet de
déclaration à soumettre aux ministres réunis à Doha a été préparé par le
président du conseil général et le directeur général avec le soutien de la
Quad, cette alliance des pays riches (Union Européenne, USA, Japon, Canada).
Un premier brouillon avait provoqué une levée de boucliers parmi les PVD :
toutes les attentes des pays riches étaient inscrites dans le texte, aucune
demande des PVD n'était rencontrée. Un deuxième projet fut présenté le 27
octobre. Il n'est pas fondamentalement différent. Lors de la réunion du
Conseil général le 31 octobre, 22 pays du Sud ont exprimé leur désaccord .
Parmi eux, des pays comme l'Egypte ou l'Inde. Mais aussi la Tanzanie
s'exprimant au nom des Pays les Moins Avancés, le Zimbabwe s'exprimant au
nom du groupe africain. C'est alors que le coup de force voulu par les
Européens et les Américains a été opéré. Le président du conseil général de
l'OMC a envoyé son projet afin qu'il soit examiné par les ministres réunis à
Doha sans indiquer que ce projet avait suscité oppositions, critiques et
amendements. En signalant simplement que ce texte ne constituait pas une
décision du Conseil général. Contre l'avis d'un grand nombre de PVD et du
Nigeria, dont la lettre officielle de protestation n'a pas été annexée aux
document soumis à la conférence ministérielle.

Ainsi, le document voulu par les pays riches - même si les Européens font
semblant d'exprimer quelques réserves à son propos - est le seul document
officiel transmis à la conférence qui commence.

Mais cette violation des règles de l'OMC ne suffit pas. Depuis hier, chacun
de leur côte, Union européenne et USA rencontrent ici à Doha, les PVD, un
par un. On peut s'imaginer que ce n'est pas pour solliciter leur point de
vue...

Autre avancée dans le manque de démocratie, le quadrumvirat (Harbinson,
président du Conseil général, Mike Moore, directeur général de l'OMC, Pascal
Lamy, négociateur européen et Robert Zoellick, négociateur américain) a mis
en place six consultations informelles sur les sujets pour lesquels ils
veulent obtenir des résultats. La présidence de chacun de ces groupes de
travail a été confiée à des pays qui ne sont pas hostiles au nouveau round.

Le refus d'entendre la voix du Sud - et celle des ONG qui soutiennent les
PVD et dont la présence à Doha est très limitée (un peu plus de deux cents
pour plus de 400 organisations patronales) - a justifié la manifestation
organisée par les ONG au moment de la cérémonie d'ouverture, les militants
brandissant le slogan '"no voice at the WTO".

On ne peut, au terme de cette première journée, conjecturer du résultat
final de cette conférence. Le refus occidental de modifier l'accord sur les
droits de propriété intellectuelle (en particulier sur la question de
l'accès aux médicaments essentiels) pourrait provoquer la rupture. Mais
certains pensent que les PVD pourraient aussi monnayer le nouveau round en
réclamant des avancées en leur faveur. Ce marchandage va certainement
constituer une part importante du menu des jours à venir. Jusqu'au compromis
ou jusqu'à l'échec. A moins que, pour sauver la face de tous, un nouveau
round sans contenu décisif ne fasse le consensus.

A Doha,
Raoul Marc Jennar
09 novembre 2001
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