Innocence et irresponsabilité by Jean Zin Wednesday October 31, 2001 at 03:45 PM |
"Les Américains se sentent on ne peut plus innocents face aux attaques terroristes dont ils sont l'objet." Un texte de Jean Zin.Profitez-en pour lire sur son excellent site une relecture de Hegel,Marx et Debord qui fait la nique aux vielles gardes.
Innocence et irresponsabilité
Les Américains se sentent on ne peut plus innocents face aux attaques terroristes dont ils sont l'objet. Comment nier l'innocence des victimes mais on ne peut refuser, au nom de cette innocence, toute réflexion sur les causes et l'émotion nous fait glisser trop facilement de l'innocence des morts à celle de l'Amérique, de la démocratie, de la civilisation occidentale ! Non, nous ne sommes pas tous américains ! D'abord, les Américains cela n'existe pas plus que les Israéliens ou le Arabes ! La plus grande démocratie, laissez moi rire, on sait ce que vaut cette oligarchie de marché aux mains de la finance. L'Europe ne vaut guère mieux sans doute, la honte du colonialisme empêche de faire la leçon à quiconque mais l'Europe n'est pas l'Amérique, ni dans le soutien de la politique agressive d'Israël ou des multinationales, des OGM, de l'OMC, de la CIA (du terrorisme italien aux massacres chiliens), ni dans la domination du monde en général et du mépris des accords de Kyôto en particulier, etc. Non, nous ne sommes pas tous des américains, des dominants !
L'innocence de l'Amérique, c'est celle du libéralisme, de l'irresponsabilité des actionnaires qui se lavent les mains des effets de leurs placements. Les victimes du terrorisme sont aussi innocentes que les victimes des catastrophes climatiques ou des licenciements. Quelles sont donc les valeurs partagées dont on se regorge sinon la seule valeur marchande où les choses valent plus que les gens ? Chacun est donc bien innocent de tout, mais nous sommes collectivement responsables. Pas moyen de se dérober à cette responsabilité collective, il nous faut assumer les conséquences de nos actes, les effets de notre production et de notre consommation, de l'action de notre gouvernement. Il ne suffit pas de se détourner de ce qui se décide en notre nom, s'enfermer dans le divertissement d'un monde virtuel. Ce rejet du symbolique revient inévitablement dans le réel avec toute son horreur. Innocents parce qu'irresponsables, nous sommes coupables d'irresponsabilité au moins. Il ne s'agit de culpabiliser personne, qu'y pouvions-nous? mais d'en tirer désormais les conséquences en assumant nos responsabilités collectives, redonner sens à la citoyenneté et à la démocratie. Arrêtons d'être de simples innocents, il nous faut devenir responsables d'un monde qui dépend de ce que nous en ferons. Nous n'avons pas le choix. Ce qui ce fait sans nous, se fait contre nous. Le temps de l'innocence d'une enfance irresponsable est terminé. Nous devons construire ensemble notre avenir commun.
Hélas, rien ne permet de dire qu'on en est là, encore submergés par l'émotion, la bonne conscience, le besoin de vengeance, le combat du bien contre le mal, la croyance qu'il suffit de la violence pour éradiquer le mal et la folie, les discours moralisateurs à la gloire de l'occident... Il faudra bien pourtant devenir un peu plus intelligents, plus attentifs aux injustices, aux impasses d'un développement inégal et aux risques écologiques.
13/09/01