L'OMC et la mondialisation « éthique » by Denis Horman Tuesday October 30, 2001 at 10:50 AM |
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« Mondialisation éthique », c'est un des mots-clé de la lettre ouverte, adressée par notre premier ministre aux « anti-mondialistes ». « Ne pas freiner la mondialisation », recommande-t-il à ceux-ci, « mais l'encadrer éthiquement, là est le défi.
Je l'appellerais « mondialisation éthique », un triangle formé du libre-échange, de la connaissance et de la démocratie. Ou en d'autres termes: le commerce, la coopération et la prévention des conflits ».
A l'instar des fabricants de l'idéologie néolibérale - groupes de lobbying des entreprises, experts des grandes institutions financières et économiques internationales, hauts fonctionnaires étatiques - Guy Verhofstadt serine les grandes évidences, pleines de bon sens: le développement est lié à la croissance - la croissance est conditionnée
par le « libre-échange » ou encore par l'intégration des pays dans les échanges internationaux - cette intégration ne peut se faire que par la libéralisation sans entrave des capitaux, par les privatisations, la flexibilité du travail, bref par la soumission aux lois naturelles du marché - cette libéralisation est gage de développement. Ainsi, la boucle est bouclée.
Mike Moore, directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), entonne régulièrement le même couplet: « L'OMC a été créée pour donner à chaque nation, chaque gouvernement membre, la possibilité d'élever les niveaux de vie, d'accroître la production et les échanges de marchandises et de services, et de promouvoir un développement durable ». Conscient que cette affirmation peut en laisser plus d'un sceptique, Pascal Lamy, Commissaire européen au commerce extérieur et négociateur à l'OMC, au nom des Quinze pays membre de l'Union européenne, ajoute toutefois: « Nous devons faire partager par des
secteurs de l'opinion, jusque-là indifférents, notre conviction que cette libéralisation est bonne ».
Misère du capital !
Mais quels sont les résultats concrets de ce mécanisme vertueux du développement, du soi-disant libre-échange, piloté par de puissants groupes industriels et financiers, avec l'aval du pouvoir politique et ses grandes institutions internationales, le FMI, la Banque mondiale,
l'OMC, l'OCDE...? Dans son Rapport 1999, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) résumait bien le constat amer, partagé par ceux et celles que notre premier ministre qualifie péjorativement « d'anti-mondialistes »: « Le 20ème siècle s'achève dans un climat de crise et l'on s'interroge de plus en plus sur la validité des orientations préconisées au cours des dix dernières années. L'ampleur de la pauvreté humaine, à la fin de ce siècle est une insulte à la dignité humaine. La prochaine génération ne mérite pas de recevoir un tel monde en héritage ».
L'indignation, la révolte et les mobilisations internationales des nouveaux mouvements sociaux s'appuient sur la conviction forte « qu'un autre monde est possible ». Oui, le commerce et les investissements pourraient favoriser le développement. Oui, l'essor vertigineux des
sciences et des techniques ou encore l'universalité effective de la production, des échanges, de la connaissance et de la communication pourraient offrir des possibilités inouïes de libération et permettre l'avènement d'une mondialisation sociale et éthique. Oui, l'augmentation continuelle de la richesse globale pourrait entraîner la satisfaction des besoins essentiels de tous les habitants de la planète et rendre ainsi effective l'application des droits humains fondamentaux. Oui, les gains de productivité et les profits plantureux, engrangés par les firmes multinationales, pourraient réduire substantiellement le temps de travail contraint et libérer la créativité citoyenne.
Malheureusement, il n'en est pas ainsi. Le modèle néolibéral, capitaliste plus précisément, fait coexister, d'une manière de plus en plus criante, la précarité et la misère à un pôle, les profits et l'opulence à un autre. La liberté totale de circulation des capitaux, l'explosion du volume des transactions spéculatives et l'impunité des
paradis fiscaux, la défiscalisation des revenus financiers et l'extension des fonds de pension privés, l'engrenage de la dette publique provoquent la montée du chômage, la dégradation des conditions de travail et le démantèlement des systèmes de protection sociale. Et cela, pas seulement au Sud de la planète, mais au Nord également. Ainsi, Guy Verhofstadt aurait pu signaler, dans sa « lettre ouverte aux antimondialistes » que, dans la riche Europe qu'il préside actuellement, 65 millions de personnes, sur une population de quelque 380 millions d'habitants, vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Derrière les chiffres frénétiques de la Bourse et de la spéculation financière, le pillage du tiers monde, les catastrophes écologiques, sociales, économiques, humaines, il y a, non pas les lois naturelles du marché, mais des rapports sociaux, des rapports de force, des intérêts radicalement divergents. Il y a la confiscation des grands
moyens de production et d'échange, de la richesse sociale, du bien commun par une poignée de groupes économiques et financiers. Marx, en son temps, pointait déjà cette contradiction fondamentale, inhérente au mode de production capitaliste : la contradiction entre la socialisation du processus productif et l'appropriation privée des moyens de production et du profit par une minorité de personnes et de
groupes. Cela révèle pleinement le caractère économiquement absurde, socialement intenable et démocratiquement inacceptable de ce système. Système conforté, dans ses oeuvres destructrices, par le pouvoir politique, par le type de mondialisation « éthique » prônée et assumée par nos gouvernements.
Réformer ou démettre l'OMC ?
La position adoptée par le Conseil des ministres, en préparation de la prochaine Conférence de l'OMC , prévue du 9 au 13 novembre prochain à Doha (Qatar) en est une des dernières illustrations. Cette position, reflétant la résolution d'une Commission sénatoriale, plaide pour la
tenue de la Conférence et pour de nouvelles négociations qui devraient accorder une priorité au développement des pays pauvres, contribuer au respect des droits des travailleurs, des accords internationaux sur l'environnement, démocratiser l'OMC, etc.
Mais, peut-il en être ainsi ? Depuis sa création en 1995, l'OMC entend faire prévaloir les principes du « libre-échange » - c'est-à-dire la loi des plus forts - sur toute autre considération, quelle soit sociale, environnementale, culturelle, démocratique. L'OMC a mis en place deux mécanismes dévastateurs pour imposer le « libre-échange »:
il s'agit de « la clause de la nation la plus favorisée » et de « la clause du traitement national », auxquelles sont soumis les 142 Etats membres de l'OMC. En fait, l'objectif fondamental de l'OMC - qui a été créée par les gouvernements des Etats les plus puissants et imposée aux autres - est de mettre en compétition toutes les économies du monde et de livrer des pans entiers de celles-ci à l'appétit des multinationales. Quand des activités de production ou des zones entières, à des niveaux de productivité différents, sont mises en concurrence directe, les plus fortes ne stimulent pas les autres, elles les écrasent. L'Accord du Gatt-OMC sur l'agriculture, avec l'
ouverture des frontières dans les pays du Sud et leur mise en concurrence directe, a déjà ruiné des millions de paysans. L'Accord général sur le commerce des services (AGGS) a provoqué la privatisation de nombreux services publics et menace aujourd'hui des secteurs comme l'éducation et la santé. L'Accord sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC) transforme le patrimoine génétique de l'humanité en marchandises et permet son accaparement par les multinationales. Pour couronner le tout, l'organe de règlement des différends (ORD) de l'OMC, première cour de justice internationale au service des firmes multinationales et des Etats les plus puissants, peut déclarer contraires à la « liberté du commerce » les législations nationales en matière de droit au travail, d'
environnement ou de santé publique et en demander la mise en sommeil ou l'abrogation.
Les mouvements pour une autre mondialisation prônent un autre modèle de développement, basé sur la satisfaction des besoins fondamentaux, démocratiquement déterminés. Cela implique, pour plusieurs d'entre eux, une appropriation et une gestion collective de l'économie, conditions pour une gestion démocratique de celle-ci.
Des alternatives concrètes
Et en attendant ! Des réseaux internationaux - comme ATTAC ou les Marches européennes contre le chômage, la précarité et les exclusions - ne se contentent pas de projeter la vision d'un autre modèle de société. Ils élaborent et popularisent, dans les débats et les mobilisations, des réponses, des alternatives qui se concrétisent, par exemple, par une redistribution globale de la richesse sociale, par une réforme en profondeur de la fiscalité (avec l'indispensable levée du secret bancaire, un impôt progressif sur les patrimoines et revenus, la fermeture des paradis fiscaux.), par l'arrêt des privatisations et le maintien et développement des services publics, par le rétablissement de mécanismes publics de contrôle des mouvements de capitaux, par l'annulation de la dette du tiers monde et la mise en place d'échanges commerciaux équitables, etc.
Au-delà du débat ouvert sur « réformer, soumettre ou démettre l'OMC », le mouvement contre la mondialisation libérale avance des exigences immédiates : le refus aujourd'hui d'un nouveau cycle de libéralisation et de toute extension des pouvoirs et domaines de compétence de l'OMC ; une évaluation, avec la pleine participation des associations citoyennes, du bilan, ainsi que des règles et pratiques de cette organisation depuis sa création ; sa subordination aux chartes internationales comme la Déclaration universelle des droits de l'homme, et aux conventions internationales relatives aux droits économiques, sociaux et culturels, aux normes sanitaires et
environnementales.
Les nouveaux mouvements sociaux internationaux, diversifiés et porteurs d'espoir, comprennent que c'est à travers les résistances, les mobilisations et les luttes - qui n'ont rien à voir avec la « violence gratuite » - que les choses peuvent changer. Conscients également que la lutte, tous azimuts, engagée contre le terrorisme par les Etats-Unis et leurs alliés, les placent devant de nouveaux défis. Le 24 septembre dernier, dans un discours devant l'Institut d'
Economie Internationale, l'Ambassadeur américain du Commerce, Robert Zoellick posait les bases d'un nouveau McCarthisme, visant les « anti-mondialistes ». « Les terroristes haïssent les idées dont l'Amérique s'est fait le champion autour du monde », a-t-il dit. « Il est inévitable que les gens se demandent s'il y a des connections intellectuelles avec d'autres qui ont déclenché la violence vis-à-vis de la finance internationale, la mondialisation et les Etats-Unis ».
Le 19 septembre, la Commission européenne a proposé au Conseil des ministres de l'UE une proposition de loi (décision-cadre) relative à la lutte contre le terrorisme. L'article 1 annonce la couleur par une définition très large de l'infraction terroriste : « lorsque l'auteur
les commet de façon illicite dans le but de porter gravement atteinte, notamment par l'intimidation de la population ou de détruire les structures politiques, économiques ou sociales d'un pays ou d'une organisation internationale ».
« Quelle sera alors l'attitude des autorités de poursuivre à l'égard des organisations pacifiques, des mouvements syndicaux ou anti-mondialistes qui veulent protester », se demande Olivier De Schutter, secrétaire général de la Ligue des droits de l'homme -section belge-, attirant, aux côtés d'Amnesty International, l'attention contre le risque d'une réduction drastique des droits fondamentaux ?
*Denis Horman, chargé de recherches au GRESEA, Membre d'Attac-Belgique et auteur de «Mondialisation Excluante, nouvelles solidarités,soumettre ou démettre L'OMC», Ed. L'harmattan - Gresea - Cetim, 2001, 160pp. Article publié en collaboration avec le journal d'ATTAC Liège.Paru dans le Grain de sable.