Congrès Marx International III by IMAVO Tuesday September 25, 2001 at 10:55 AM |
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Le troisième congrès Marx International (Paris) rassemble des centaines de chercheurs et d'activistes et s'exprimera aussi sur la mondialisation et la guerre. Une délégation d'Imavo sera présent/ Het derde internationaal Marx-congres (Parijs) verzamelt honderden onderzoekers en activisten en zal zich ook uitspreken over oorlog en globalisering. Een delegatie van Imavo (het Instituut voor Marxistische Vorming) zal aanwezig zijn.
Artikel uit l'Humanité
24 Septembre 2001 - CULTURES
Les mille visages d'un " monde commun "
Douze jours après les attentats qui ont frappé les Etats-Unis, entretien avec Jacques Bidet, président du congrès Marx international, à l'initiative duquel des chercheurs de toute la planète se retrouvent, cette fin de semaine à Paris, autour du thème : " Le capital et l'humanité ".
Un millier de chercheurs venus d'une soixantaine de pays, 120 ateliers, quatre " plénums "... Initié par la revue Actuel Marx, le congrès Marx international III va réunir, de mercredi à samedi, à la Sorbonne et à Nanterre (1), nombre de ceux qui, de par le monde, entendent penser - repenser ? -, et les multiples effets de la domination planétaire du capital financier, et la façon dont celle-ci " pénètre, dans ses fibres les plus intimes l'existence de chaque habitant de la planète ", et l'émergence " d'acteurs nouveaux ", de Seattle à Gênes, et du Chiapas au Brésil... Préparée depuis deux ans - sous le titre " Le capital et l'humanité " -, cette rencontre se tient, bien sûr, sous le choc des attentats de New York et de Washington et de leurs multiples répercussions. Rencontre avec Jacques Bidet, philosophe, professeur à l'université Paris-X, et président du congrès Marx international (2).
Le programme du congrès Marx international ne se trouve-t-il pas remis en cause à la suite des événements qui bouleversent la planète depuis le 11 septembre ?
Jacques Bidet. Nous vivons tous dans le temps " réel ", et la réflexion des chercheurs professionnels, comme celle de tout un chacun, se trouve mobilisée par ces événements qui nous bouleversent et nous interrogent. Dans un moment aussi " politique ", où l'on parle tout autour de nous politique, guerre, violence, justice, les discussions prévues seront constamment confrontées à ce défi. Nous avons du reste ajouté des séances supplémentaires, le vendredi après-midi avec ATTAC (Susan George) et le samedi matin, " Après Manhattan ", avec Georges Labica. Samir Amin, retour de Durban, sera aussi des nôtres. Dans ce contexte, le congrès Marx s'ouvre à toutes les personnes qui se sentent concernées et prendra la forme d'un grand rendez-vous entre les chercheurs et les citoyens. Tout en restant au niveau de recherche fondamental qu'il s'est fixé...
Vous avez choisi pour titre - et ce depuis deux ans - " Le capital et l'humanité ". Qu'avez-vous voulu dire par là et quel rapport cela a-t-il avec les temps que nous vivons ?
Jacques Bidet. Depuis deux ans, en effet, nous sommes au travail avec une dizaine d'équipes de recherches de diverses disciplines, comme l'économie, la sociologie, le droit, la philosophie, l'histoire, mais aussi sur des champs comme l'écologie, le mouvement social, le féminisme, avec une grande question : celle du capitalisme et de l'humanité. On nous dira que la question est aussi vieille que le capitalisme. Oui et non. En un sens même, elle est nouvelle, complètement renouvelée. Le capitalisme s'est d'abord manifesté comme une nouvelle forme de production et de société dans un ancien monde qu'il n'avait pas forgé, et sur lequel il n'avait encore qu'une prise superficielle. Puis, il s'est développé à l'échelle des Etats nations modernes. Non pas du reste simplement comme une structure de classes particulière, comme un type de société qui succède à un autre et se propage partout. Mais aussi comme un système des nations dominé par l'axe " centre périphéries ", aujourd'hui dit Nord-Sud. Et l'on en vient maintenant à un moment historique où l'international se dépasse en " mondial ". L'impérialisme est plus fort que jamais, mais il est en même temps déjà pris dans une logique, dans une spirale qui est celle d'une domination à caractère d'Etat mondial.
Comment est-il possible d'articuler ce double mouvement ?
Jacques Bidet. Ce sont là deux dimensions à considérer ensemble. Comme l'avait prévu Marx, le capitalisme a liquidé les anciens mondes, avec leurs valeurs religieuses, nationales, familiales. Et cela d'abord parce que la puissance de la production (et de destruction) technoscientifique a remis en cause tout lien traditionnel, toute frontière. On produit ici, on pollue partout. On peut produire n'importe quoi, n'importe où : le capital va là où le profit est le plus grand. Il va et vient, suscitant la vie et semant la mort. Les plus grandes puissances gardent, certes, une capacité économique propre. Mais l'humanité entière est brassée comme une marmite sur le feu. Et de ce brassage, découle une aspiration universelle à ce que des droits fondamentaux, matériels et culturels soient reconnus à tous et assurés par une autorité démocratique qui s'impose à tous. Il nous faut une autorité mondiale démocratique capable de réguler les flux financiers, de protéger les économies fragiles, d'imposer les transferts technologiques, la stabilisation du cours des matières premières, la protection des espaces et des espèces, etc. De détruire les paradis fiscaux où s'amasse la fortune des maffias de la drogue et du terrorisme, étroitement mêlée à celle des transnationales. Or, c'est le capitalisme qui prétend aujourd'hui s'imposer comme la loi commune, comme le principe d'un droit étatique mondial, dont la seule règle est que tout est achetable, " appropriable " et par nature soumis au marché.
Peut-on parler, en ce cas, de " droit " ?
Jacques Bidet. Je dis bien : un droit étatique mondial. Dont on peut aussi bien dire qu'il est un non-droit, échappant en effet à tout contrôle citoyen. Il se fait valoir par des institutions pratiquement supranationales, comme l'OMC dont le programme est celui de la privatisation universelle des activités matérielles et intellectuelles, sous l'arbitrage ultime d'un Organe de règlement des différents (ORD), doté du pouvoir de contraindre économiquement les récalcitrants. Le capital, sous cette forme " mondiale ", supranationale, se confronte à l'humanité dans des formes sans précédent. Il est vrai qu'il nous faut désormais, à l'échelle du monde, des institutions communes pour prendre la mesure des besoins et des risques communs : pour que l'eau potable, l'énergie et l'éducation parviennent à tous, pour que la santé et la sécurité soient assurées à tous. Mais c'est précisément " le capital ", la puissance économique, politique et militaire rassemblée dans les grands centres de l'impérialisme, qui prétend avoir vocation à gérer, selon la " loi " du marché, ce monde commun, et qui s'avance comme le trésorier pilleur et le gendarme universel. On comprend qu'il accumule contre lui une haine immense. Il y a, sans doute, quelque rapport entre la mort de centaines de milliers d'enfants irakiens du fait de l'embargo et la folie meurtrière des kamikazes, la pire des issues. Mais le capitalisme universel fait en même temps surgir le peuple des citoyens du monde. On l'a vu à Seattle, à la Villette. On le voit tous les jours dans des initiatives comme celles des sans-papiers, des sans-terre, des antisommets en tous genres où l'on apprend à se rassembler à la base et à l'échelle du monde. Un mouvement au-delà des " internationales " : mondial, mais tout autant local, dans chaque bureau, entreprise, école, quartier, dans chaque nation. · chaque niveau où peut s'exercer notre responsabilité désormais universelle.
Qu'attendez-vous de ce congrès ? Quels sont vos objectifs ?
Jacques Bidet. Nous assumons, pour notre part, nos responsabilités de chercheurs et d'intellectuels. Nous refusons que les universités et centres de recherche soient artificiellement coupés de la vie commune. " Marx " signifie ici la critique radicale de la société capitaliste, non une dogmatique, mais l'exigence de confronter les questions théoriques et scientifiques à leurs enjeux pratiques et politiques. Nous sommes de plus en plus nombreux à nous être dit : " Chercheur, sous l'uniforme, sous la langue cryptée de ta discipline, sous la forme spécialisée de savoir où tu excelles, qui te distingue et te sépare des autres, tu restes un citoyen. Non seulement pour "faire de la politique" à l'université - ce qui est hautement nécessaire et il y a pour cela des formes d'organisation appropriées. Mais, et ce qui est autre chose, pour assumer la dimension politique de tout savoir, de toute recherche. " Voilà notre objectif...
Entretien réalisé par Jean - Paul Monferran
(1) Pour tout renseignement : Congrès Marx international, 19, boulevard du Midi, 92000 Nanterre. Site : http://www.u-paris10.fr/ActuelMarx/
(2) Jacques Bidet vient de diriger, avec Eustache Kouvélakis, la publication d'un Dictionnaire Marx contemporain (PUF, 604 pages, 175 francs). Il a récemment publié, toujours aux PUF, Théorie générale, Théorie du droit, de l'économie et de la politique.
ZIE OOK MEER INFO op http://www.u-paris10.fr/ActuelMarx/index3.htm