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Apres Genes, pourquoi nous devons rester dans la rue
by Starhawk Saturday September 22, 2001 at 03:08 AM

Je ferais presque n'importe quoi pour être sûre que personne, et surtout pas un jeune, n'aura à souffrir d'une telle brutalité à nouveau. Presque n'importe quoi. N'importe quoi excepté me retirer et fuir le combat.

Depuis Gênes, beaucoup de débats très sains se sont tenus pour savoir où devait aller le mouvement. Les manifestations de grande envergure deviennent plus dangereuses et plus difficiles. Les sommets se déplacent vers des endroits inaccessibles. Le FMI, la Banque Mondiale, le G8 et l'OMC continuent leurs affaires. Ce que nous faisons est-il assez efficace pour justifier les risques que nous prenons ? Devrions-nous nous concentrer plus sur le travail local, en construisant jour après jour nos réseaux de travail et d'organisation ?

J'étais à Gênes. Ce que j'ai vécu là-bas, y compris les moments de véritable terreur et d'horreur, m'a persuadée, plus que jamais, que nous devons rester dans la rue. Il faut continuer à monter des actions d'envergure, à contester les sommets, à travailler à grande échelle. Nos actions à grande échelle ont été extraordinairement efficaces. J'ai entendu des avis désespérés disant que les manifestations n'avaient eu aucun effet sur les débats du G8, de l'OMC ou du FMI/Banque mondiale. En fait ils en ont eu ; ils ont, de façon significative changé les ordres du jour et la propagande qui en a découlé. De toute façon la politique actuelle de ces institutions sera la dernière chose qui changera. Mais pour la plupart d'entre nous dans la rue, notre but n'est pas de changer le débat à l'intérieur de ces institutions. Notre projet est de saper leur légitimité, de mettre en lumière leurs programmes et leurs politiques et de faire s'élever leur coût social jusqu'à ce que leur existence devienne impossible. L'opposition aux sommets a délégitimé ces institutions comme aucun groupe local n'aurait pu le faire. Les grands sommets obéissent à des rituels établis, ce sont des manifestations ostentatoires de pouvoir qui confortent le crédit et l'autorité des corps qu'ils représentent. Quand ceux-ci sont obligés de se réunir derrière des murs, de mener une bataille de barricades pour chaque conférence, de se retirer dans des endroits isolés, le rituel est cassé et leur légitimité est sapée.

Les accords qui étaient négociés en secret sont placés sous les projecteurs d'un examen public. Le mensonge qui voudrait que la globalisation soit synonyme de démocratie est étalé au grand jour et arraché le masque de la bienfaisance.

Des organisations locales ne peuvent tout simplement pas arriver à un résultat aussi efficace que les grandes manifestations. L'organisation locale est vitale, et dans des domaines où elle est réellement active : le travail social, l'éducation, la construction du mouvement, la création d'alternatives possibles, l'amélioration de quelques-uns uns des effets immédiats de la politique globale. Nous ne pouvons et ne voulons l'abandonner et, en fait, nous ne l'avons pas fait : beaucoup d'entre nous travaillent des deux côtés. Personne ne peut aller à tous les sommets, nous avons tous besoin de nous implanter dans nos propres communautés. Mais beaucoup d'entre nous sont venus aux actions plus fortes, globales, parce que nous comprenons que les accords commerciaux et les institutions que nous contestons sont destinés à défaire notre travail local et prendre le pas sur les décisions et les aspirations des communautés locales. Nous pouvons nous donner comme but, pour chaque action d'envergure, de renforcer les réseaux locaux et de soutenir l'organisation locale. A part Washington DC, Bruxelles, Genève qui n'ont pas le choix, plus aucune ville ne voudra accueillir une autre fois une de ces réunions internationales. Et même, maintenant nous entendons des rumeurs disant que Washington pense à changer l'endroit du prochain congrès de la Banque mondiale et du FMI. Mais si nous trouvons des moyens d'organiser des actions de masse qui laissent derrière elles des ressources et des coalitions opérationnelles, alors chaque action de grande envergure peut renforcer et soutenir le travail local qui continue sur une base quotidienne.

Les sommets ne resteront pas longtemps les merveilleuses cibles juteuses qu'ils sont. Sur ces deux dernières années nous avons bénéficié d'un programme de réunions qui avait été décidé et négocié avant Seattle. Maintenant qu'ils situent les réunions dans des lieux toujours plus secrets et isolés nous devons élaborer une stratégie qui nous permette de générer de la force. Par exemple, certains d'entre nous ont parlé d'actions régionales, reliées, à grande échelle, ayant pour cibles les Bourses et les institutions financières lorsque l'OMC se réunira à Qatar en novembre. Le message que nous enverrons sera : "Si vous transportez les sommets là où nous ne pouvons les atteindre, et si vous continuez vos politiques de renforcement du pouvoir et de concentration des richesses, alors l'agitation sociale se déploiera sur ces institutions spécifiques pour défier toute la structure du capitalisme corporatiste global elle-même". Des marches, des conférences, des contre sommets, des programmes d'alternatives positives ne peuvent pas à eux seuls s'élever, à ce niveau de menace envers l'édifice du pouvoir, mais ils le peuvent s'ils sont associés à l'action directe au niveau que nous avons atteint maintenant. Bien sûr, plus nous réussissons, plus ils deviennent méchants. Mais lorsqu'ils utilisent la force contre nous, nous gagnons quand même, même si le prix de la victoire est très élevé.

Les systèmes de pouvoir se maintiennent grâce à notre crainte de la force qu'ils peuvent déployer, mais la force coûte cher. Ils ne peuvent pas se maintenir s'ils doivent, à chaque fois, user de la force pour fonctionner normalement.

Gênes a été une victoire remportée à un prix épouvantable. J'espère ne jamais revivre une nuit comme celle que j'ai passée quand ils ont attaqué le centre de médias indépendants et l'école Diaz, en sachant qu'il se perpétrait des atrocités de l'autre côté de la rue et que je ne pouvais pas les empêcher. Le prix à payer me fait souffrir, me remplit de chagrin et me met en rage. Je ferais presque n'importe quoi pour être sûre que personne, et surtout pas un jeune, n'aura à souffrir d'une telle brutalité à nouveau. Presque n'importe quoi. N'importe quoi excepté me retirer et fuir le combat. Parce que ce niveau de violence et de brutalité on le retrouve chaque jour partout dans le monde. Ce sont quatre étudiants abattus en Nouvelle Guinée, c'est la fermeture d'une école au Sénégal, les quotas de travail dans une maquiladora à la frontière mexicaine, l'abattage d'une forêt en Oregon, le prix de l'eau privatisée au Cochabamba. Ce sont les violences corporelles infligées aux jeunes, surtout aux jeunes de couleur, dans les prisons partout aux Etats-Unis et la brutalité et le meurtre continuant à exister en Colombie, en Palestine au Venezuela. Et c'est ce complet mépris de l'intégrité des écosystèmes qui nous motive tous.

Je ne vois pas le choix comme étant de se situer entre le danger d'une action d'envergure et la sécurité. Je ne vois plus aucun endroit où on soit en sécurité. Ou plutôt, je vois que, à long terme, notre cap le plus sûr est d'agir avec force, maintenant. Le choix, c'est de savoir quand et comment contester les pouvoirs qui tentent de bloquer tout espace politique à une réelle opposition. A Gênes il est clairement apparu qu'ils combattront impitoyablement pour défendre la consolidation de leur pouvoir, mais il nous reste beaucoup d'espace pour organiser et monter de grandes actions. Il faut protéger cet espace en l'utilisant, le remplissant et l'élargissant. Soit nous continuons à les combattre tous ensemble maintenant alors que nous pouvons monter des actions efficaces d'envergure ou nous les combattons plus tard par petits groupes isolés ou seuls quand ils enfoncent les portes de nos maisons au milieu de la nuit. Soit nous menons cette lutte tant qu'il y a encore des forêts vivantes, des rivières qui coulent, et que les systèmes de préservation de la vie de la planète peuvent s'adapter soit nous combattons quand le préjudice est encore plus important et plus faible l'espoir d'y remédier.

Nous avons beaucoup de choix quand à la façon de mener la lutte. Nous pouvons être plus stratèges, plus créatifs, plus performants dans ce que nous faisons. Nous pouvons apprendre à mieux préparer les gens à ce qu'ils vont devoir endurer et à mieux les aider ensuite. Nous devons nous poser des questions profondes à propos de la violence et de la non-violence, de nos tactiques et de notre vision à long terme dont j'espère parler dans un prochain courrier.

Mais ces choix ne peuvent exister qu'autant que nous gardons ouvert l'espace où les faire. Nous devons nous développer, pas diminuer. Nous devons explorer et revendiquer de nouveaux territoires politiques. Il faut que les actions de cet automne soient plus grandes, plus sauvages plus créativement choquantes et inspirantes que jamais, que ce soit pour les actions contre le FMI et la Banque Mondiale à Washington DC fin septembre ou pour de nombreuses actions locales et régionales en novembre quand l'OMC se réunira à Qatar. Nous devons rester dans les rues.

Publié en anglais sur http://www.zmag.org
Traduit par Gyeff