arch/ive/ief (2000 - 2005)

Un spectre hante l'Europe... La grande conspiration contre l'Etat
by Peter Mertens Thursday August 23, 2001 at 01:26 PM
mertens.peter@pi.be 03.272.23.63

«Un spectre hante l'Europe: le spectre du communisme. Toutes les puissances de la vieille Europe se sont unies en une Sainte-Alliance pour traquer ce spectre: le pape et le tsar, Metternich et Guizot, les radicaux de France et les policiers d'Allemagne…». C'est ainsi que Marx et Engels commençaient leur Manifeste du Parti communiste.

Un siècle et demi plus tard, la chasse aux sorcières a repris: contre les jeunes, syndicalistes, paysans sans terre et travailleurs sans emploi qui refusent les diktats du capitalisme international.
Le nouveau pape de l’hégémonie mondiale, George W. Bush, président des Etats-Unis est catégorique: «Ce sont précisément ces manifestants qui condamnent les gens à la misère». Tony Blair, la nouvelle Thatcher en pantalon, traite le mouvement de protestation de «cirque ambulant d’anarchistes violents». Et dans notre pays, le ministre Duquesne évoque la nécessité d’une «tolérance zéro» contre «la violence internationale».1

Les nouvelles lois européennes contre la criminalité condamnent la «conspiration» qui ne cesse de grandir contre le pouvoir. «Lorsque deux personnes s’entendent sur un objectif commun tendant à influencer le pouvoir, on parle dans l’Union européenne d’une organisation criminelle».2 Contre la «conspiration» de Gênes où 300.000 manifestants se sont réunis pour influencer le pouvoir, une force de 21.000 hommes a été mise en place sous la direction de l’armée américaine et du Police Department.3

Après la chute du Mur, la chute de la sacro-sainte pensée unique

La semaine dernière, c’était l’anniversaire de la chute du Mur de Berlin. Cette chute après laquelle la faucille et le marteau seraient à jamais rangés au placard, la classe ouvrière devant apprendre à vivre avec le moindre mal que représente le système capitaliste. «La liberté a triomphé», criait-on alors que même le Vatican s’achetait un morceau du Mur.

L’événement a incité André Leysen, à l’époque président du groupe de travail Europe centrale et orientale, à écrire son petit livre Van Lenin tot McDonalds (De Lénine à McDonalds). On y lit: «Pour la première fois dans l’histoire, on a l’impression qu’il existe une réelle chance d’une unité de l’Occident. La barrière idéologique du communisme est tombée.»4

Pour consacrer la fin des idéologies, on s’est même emparé des terminologies. La colombe de la paix de Picasso a été grillée dans l’uranium appauvri des «missions de la paix», des «interventions humanitaires» et des actions pour faire respecter les «droits de l’homme» ou pour restaurer la «démocratie» et la «liberté». C’était l’avènement du «nouvel ordre mondial».

Contre la privatisation des bénéfices et la globalisation de la pauvreté

A peine dix ans plus tard, 300.000 manifestants descendent dans la rue pour démasquer la sacro-sainte pensée unique. Où est notre participation? Où est la démocratie pour les six milliard d’êtres humains? Où est la liberté d’expression pour les paysans sans terre et pour les ouvriers sans emploi? Où sont nos droits à la santé et à l’éducation? Où sont nos droits au travail et à l’épanouissement? Où est notre liberté d’association? Quels droits ont les ouvriers et les étudiants dans l’antre du tigre sud-coréen? Quel est l’avenir des dizaines de milliers de paysans brésiliens ou népalais? De quelle sécurité bénéficient les ouvriers de la sidérurgie, du secteur automobile ou des services publics?

La chute du socialisme a inauguré une nouvelle époque de guerre et d’incertitude. C’est avec les bombardements «chirurgicaux» que le «nouvel ordre mondial» a été apporté en Irak et en Yougoslavie. Le gouffre qui sépare le tiers monde du monde riche n’a cessé de se creuser et, en Occident, les cadences de travail et la productivité sont devenues insupportables, alors que la Sécurité sociale a été démantelée et les services publics vendus au privé.

Le mouvement résume ses protestations dans un slogan: «contre la privatisation des bénéfices, la socialisation des pertes et la globalisation de la misère». Toute la richesse est privatisée: des fruits du travail jusqu’aux gènes humains et la science, en passant par l’eau, les plantes, les semences et même les organes. Et toute la pauvreté est socialisée. Pourquoi au contraire ne pas socialiser les bénéfices? Une telle société doit être possible. C’est à elle que tous aspirent.

Le comeback de la rage contre le capitalisme

Evidemment, il existe ceux qui, comme la «gauche plurielle» en France, veulent donner un «visage humain» à l’impérialisme et «humaniser la globalisation». Ils prêchent un capitalisme qui «ne réduit pas tout en marchandise» et appellent de leurs voeux «une économie de marché sans société de marché». C’est comme si on demandait à Dutroux de mettre sa cave à disposition comme jardin d’enfants. Ou à General Motors de mieux réglementer ses « excès ».

Mais le nombre de ceux qui déclarent que «le temps du capitalisme est terminé» ne cesse d’augmenter. Les lois du capitalisme et sa légitimité autoproclamée sont de plus en plus remises en question. La journaliste canadienne Naomi Klein décrit le mouvement de l’intérieur dans son livre «No Logo» : «Je veux parler de l’impact du mot «capitalisme» qui était résolument passé de mode jusqu’au 18 juin 1999, quand des activistes organisaient une manifestation ‘anticapitaliste’ en plein coeur de Londres. Depuis le mot capitalisme a connu un retour en force foudroyant. CNN parlait du ‘capitalisme’ et à Washington, on voyait des jeunes filles avec des foulards à l’inscription «Capitalism Sux». Ce changement s’est fait en une année et c’est pourquoi je suis tellement optimiste et très patient quand je parle des possibilités de changement».

CIA: «le mouvement antiglobalisation

est l’un des plus grands problèmes…»

C’est ce que craignent le plus les multinationales comme Monsanto, General Motors, Totalfina, les Etats et les chefs d’Etat. La CIA considère le mouvement antiglobalisation comme l’un des huit «problèmes» à résoudre durant les quinze années à venir: «Un mouvement antiglobalisation croissant devient un force politique et culturelle puissante, constante et mondiale qui menace les intérêts des gouvernements occidentaux et des entreprises.»5

C’est contre ce nouveau «spectre de l’anticapitalisme», que la meute constituée par la Police européenne (en gestation), Interpol et la CIA est envoyée à la chasse. Pour qu’il ne se transforme pas en «Manifeste pour le communisme», en plaidoyer pour une société sans classe à laquelle on pourra accéder via une phase de démocratie socialiste, pour la majorité écrasante de la population mondiale, et de dictature prolétarienne pour une petite minorité d’exploiteurs. Dans ce sens, la fin du Manifeste communiste de Marx et Engels redevient un guide pour le XXIème siècle : «Les communistes ne s’abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Les prolétaires n’ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner.»

1 Het Parool, 20 juin 2001. • 2 NAR, n°168. • 3 Junge Welt, 8 août 2001. • 4 André Leysen, Van Lenin tot Mc Donald’s, Lannoo, 1991. • 5 http://www.odci.gov/cia/publications/globaltrends2015/index.html. •