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Il n'y a pas de bons ou de méchants contestataires: interview avec M. Benasayag
by PASCAL MARTIN/ Le Soir Tuesday July 24, 2001 at 01:19 PM

Le Soir a donné aujourd'hui (24.07.01) la parole à des "antimondialistes:

La manifestation de Gênes fut la plus importante du mouvement antimondialisation mais aussi la plus violente.

Cela révèle une incompréhension. Si on doit parler de violence, il faut d'abord parler du refus des grands de ce monde d'avaliser le protocole de Kyoto; de leur refus de renégocier la dette du tiers monde; de leur volonté de garder dans leurs pays les laboratoires censés travailler sur les maladies infectieuses qu'ils prétendent aider à combattre. Il faut aussi parler de l'impudeur des grands de ce monde qui se livrent à une mise en scène d'une provocation incroyable, se cachant derrière des barbelés et des policiers armés, pour dire « non » à la planète. Ce non-là n'est pas un non politique ou économique. Pour moi, pour le mouvement zapatiste, pour le mouvement alternatif en Amérique latine, c'est un non à la vie.

Il reste que le mouvement antimondialisation a plus d'une fois débouché sur la guerre urbaine.

Il est parcouru par plusieurs hypothèses. Certains pensent qu'il faut le formater, lui donner une forme plus classique. C'est très, très bien. D'autres pensent qu'il faut renvoyer au système un reflet de sa violence et manifestent de façon plus violente. Le mouvement n'appartient à personne et il est pour tout le monde. Personne ne peut dire quelle sera la bonne hypothèse pour dépasser l'horreur actuelle. De la multiplicité des voix sortira peut-être quelque chose.

« La mondialisation dépend d'un objectif : faire céder les grands de ce monde, ces nains moraux »
Vous n'écartez donc pas la violence en tant que moyen d'action ?

Il ne faut écarter aucune voix. Chacun choisit la sienne. Je vous rappelle que si l'on parle de la violence des manifestants, la plupart des blessés et le mort appartiennent à leurs rangs.

Il faut poser la question des liaisons dangereuses entre des manifestants dits pacifiques et les casseurs.

Je ne sais pas ce qu'on appelle des « casseurs ». Si ce sont des policiers infiltrés, il faut effectivement les empêcher de nuire. D'un autre côté, face à une affaire comme celle de Sémira Adamu, je comprends très bien que des jeunes aient envie d'exprimer leur colère d'une façon plus active.

N'est-il pas temps pour le mouvement antimondialisation de faire son introspection s'il ne veut pas définitivement salir son image ?

La question n'est pas de salir ou non notre image. L'image de l'antimondialisation ne dépend pas de quelques vitrines cassées. Elle dépend d'un objectif : faire céder les grands de ce monde, ces nains moraux.

La violence est-elle vraiment un moyen de les faire céder ?

Je ne dirai pas que la violence est un moyen. La vérité, c'est que la mondialisation, c'est grave. Alors, que des jeunes s'énervent un peu plus ou un peu moins n'est vraiment pas central. Il n'y a pas de bons contestataires, polis et s'arrêtant au feu rouge, et des méchants contestataires. En ce qui me concerne, je pense que résister c'est créer. Je suis convaincu que l'on ne peut pas dépasser le néolibéralisme par l'affrontement, qu'on ne le dépassera que par des alternatives.

Mais vous ne condamnez pas la violence pour autant...

Prétendre que celui qui ne condamne pas la violence est pour, relève du terrorisme intellectuel.

N'y a-t-il pas dans le mouvement antimondialisation une espèce de romantisme révolutionnaire qui implique une conquête des symboles ?

Peut-être. Alors, il faut que le mouvement de l'antimondialisation mûrisse. On ne dépassera pas le néolibéralisme par un affrontement viril et héroïque avec les « méchants ».

Les chefs d'Etat du G 8 ont finalement reconnu la nécessité d'organiser le dialogue. Qu'en pensez-vous ?

C'est d'une insolence incroyable face à la mort d'un homme, aux blessures d'autres hommes.·

Propos recueillis par PASCAL MARTIN

Michel Benasayag est l'auteur de « Parcours », Ed. Calmann-Lévy.

© Rossel et Cie SA, Le Soir en ligne, Bruxelles, 2001